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Dans la démarche spirituelle de Marcel Légaut, ce thème est fondamental à un double titre. Ce qu’il dit à ce sujet dans ses livres est le témoignage de son propre cheminement ; c’est ce qui donne de la force et de la crédibilité à ses paroles. D’autre part, l’appropriation de la réalité vécue est pour lui une condition incontournable de toute maturation humaine et spirituelle.

Qu’entend-t-il donc par là ? Pour Légaut, s’accomplir humainement se joue et s’opère à travers la manière de vivre sa vie singulière marquée par son hérédité, ses héritages éducatifs, culturels et religieux, ses engagements familiaux, son enracinement social ainsi que par tous les événements rencontrés, y compris les plus déroutants. Pas d’humanisation en effet qui ne soit incarnée. Mais cela ne suffit pas pour « épouser son existence ». On peut en effet se contenter de subir situations et événements ou s’évader dans toutes sortes de diversions et d’illusions. En ce cas, on demeure un vécu passif au lieu de devenir un vivant, selon l’expression de Légaut.

C’est là qu’intervient la nécessité de s’approprier personnellement ce qui nous est donné de vivre pour en faire notre propre substance. Il s’agit d’un travail intérieur que chacun fait à son rythme et grâce auquel il grandit en humanité et gagne en profondeur, en liberté, en capacité de relation vraie avec autrui. En quoi consiste ce travail ? Rien à voir avec une entreprise volontariste qui tenterait d’avoir une parfaite maîtrise de son vécu. Cette entreprise est impossible et malsaine qui croit qu’à force de volonté on fait plier le réel. On connaît les résultats : « qui veut faire l’ange fait la bête ». Légaut est conscient de ses limites et de ses fragilités. Pour lui, s’approprier son vécu est tout autre chose. Il s’agit avant tout de s’efforcer de faire de toutes les réalités de sa vie une occasion et un tremplin de croissance humaine et spirituelle. Ce qui implique de ne pas fuir le réel, d’y consentir réellement, d’en recueillir les enseignements pour son propre approfondissement et de se laisser nourrir et modifier par eux.

C’est une démarche des plus actives qui fait de l’homme l’acteur de sa vie jusqu’à sa mort, une vie sans cesse en évolution et soumise à l’imprévu. Ainsi toute réalité peut être occasion d’enrichissement, aussi bien les grandes expériences humaines (l’amour humain, la paternité et la maternité), que le travail professionnel, les relations avec autrui, l’adhésion à une voie spirituelle, la traversée des épreuves, les doutes et les questionnements, les erreurs et les fautes… Il en découle une nouvelle façon de regarder sa vie et de l’assumer lucidement, dans la vérité.

Il n’y a pas une manière unique de s’approprier la réalité de sa vie. Chacun le fait à sa manière, dans une démarche d’authenticité avec lui-même que personne ne peut lui dicter. Légaut parle d’attention et de réponse aux exigences intimes qui montent en l’homme et que seul il peut percevoir. Cela ne va pas sans renoncements, sans tâtonnements. C’est en étant fidèle au long des années à ce travail d’appropriation de son vécu que l’homme constate les changements qui se sont produits en lui peu à peu. Ce sont les fruits de sa fidélité active qui s’accompagnent de paix et de sérénité. Mais ce travail intime d’appropriation est à pratiquer jusqu’au terme de l’existence. « Tant qu’on vit, on devient », dit Légaut. C’est pour cela que vieillissement et mort peuvent être aussi de remarquables lieux et sources d’approfondissement humain et spirituel.

La voie d’appropriation vécue et proposée par Marcel Légaut est exigeante, mais elle est libérante. C’est un chemin de vie. Il permet à chacun de « devenir soi et de trouver le sens de sa propre vie». Belles paroles ? Seuls ceux qui l’expérimentent dans leur histoire singulière peuvent témoigner de la fécondité de ce chemin.

Jacques MUSSET