LA PHARMACIE DE LEGAUT
Le lendemain de la journée d’études aux Archives Nationales en octobre 2015, Bernard me suggérait de faire un topo à Mirmande peu après Pâques sur la thématique « La nature maîtresse d’humanité », inspirée d’un sous chapitre de « Appropriation de l’évènement – Ouverture au réel » du remarquable « Devenir Soi » de Marcel LEGAUT paru en 1980. Il m’était également demandé de prendre en compte l’encyclique « Laudato si » et le contexte de la COP21.
Je découvrais alors un sujet vaste et lourd à porter. Je dois l’avouer, les horizons que j’entrevoyais alors m’ont accablé jusqu’au moment où j’ai entrevu « une bonne étoile ». La tentation du déni pourrait être grande face à une situation dégradée de la planète qui ne concerne pas uniquement la grave problématique du changement climatique, un art de vivre occidental aujourd’hui désorienté qui se diffuse partout, une démographie « galopante » et un modèle économique dominant, inique et chancelant basé sur un capitalisme insolvable. A l’issue de la préparation de mon topo je découvrais les trois questions de Dominique BOURG qu’il présentait en conclusion de son diagnostic du monde dans lequel nous vivons*: « On voit que désormais les conditions sont réunies pour : 1) se reposer différemment la question de Dieu 2) s’interroger sur ce qu’est être un homme », 3) réfléchir sur ce que doit être la finalité d’une société ».
Dans un raccourci bien trop simple et trop rapide, je me disais alors que ce que j’avais reçu de Légaut m’apportait de quoi répondre aux deux premières questions précédentes. Il me restait à m’interroger sur le troisième point.
Au cours de mes recherches de ces derniers mois, je découvrais le mot « PHARMAKON », qui désigne ce qui est à la fois remède et poison, dans « Politique de l’inimitié » d’Achille MBEMBE. J’observais aussi qu’Achille MBEMBE intitulait un de ses chapitres : «La Pharmacie de Fanon ». Peu après, j’entendis Bernard STIEGLER** évoquer une « Pharmacie de Platon »***. Au « prescripteur-thérapeute» auteur d’une « pharmacie », incombe le soin de proposer des « Pharmaka », autrement dit des « remèdes technologiques et/ou méthodologiques» en veillant à neutraliser leurs effets toxiques L’idée m’est alors venue qu’une « pharmacie de LEGAUT » pouvait, elle aussi exister. Dans une sorte de vision terre à terre, je voyais même dans « son officine » des « préparations » rangées deux par deux ! Hallucinations ? Procédons à un début d’inventaire. Qu’avons-nous sur les « étagères » de Légaut? Je vois comme des « flacons » repérés par des mots tels : (Fabriquer/Créer), (Se souvenir/Faire mémoire), (Obéir/Etre fidèle), (Fonction/Mission), (Croyance/Foi)….etc.
En regardant de plus près son œuvre écrite, on voit que Légaut « s’affaire » bien souvent en travaillant le sens de mots regroupés deux par deux. Il les distingue, il explique l’un à l’aide de l’autre, il suggère leur degré d’imbrication, leur interaction. D’une certaine manière, on comprend que le premier mot peut agir comme le ferait le premier étage de la fusée pour le second permettant au « géonaute » , embarqué dans le « vaisseau planète-terre lancé dans l’espace », de se propulser sur le chemin de sa « mission ». Pour illustrer cela, considérons un homme qui, en quête de « vérité », commencerait par « croire » avant de prendre conscience de sa « foi » tout en regardant avec tendresse et lucidité les moments où il se redécouvre incorrigiblement superstitieux. La « pharmacie » de Légaut intéresse l’homme qui cultive son « jardin intérieur » en relation avec « ce qui n’est pas lui ». Mais seulement cela ? Osons généraliser à l’humanité ce qui de la pharmacie de Légaut intéresse l’homme « spirituel ». Que serait une société humaine qui renoncerait à son « advenir » en acceptant « d’obéir » aveuglément au modèle dominant après avoir cessé d’être « fidèle » à la sagesse héritée du fond des âges ? Que serait une société où la « fabrication » tous azimuts de « robots » et la segmentation des tâches seraient telles que l’homme deviendrait une sorte de prolétaire des temps modernes qui, perdant son savoir, n’aurait plus son potentiel de « création » et perdrait son appétit de vivre?
Légaut serait-il l’un des thérapeutes pour l’« être-bien » de l’humanité sur lequel nous devrions compter?
* Dominique BOURG in « You Tube »
** Bernard STIEGLER. Ecouter l’ émission ” Histoire Vivante” de la RTS (Version internet de la Radio Suisse Romande où la consultation d’archives sonores est très aisée) consacrée à « Ars Industrialis »
*** Jacques DERRIDA
Signé : Paul