Parmi les étrennes de Noël, Apôtres, livre aussi volumineux que captivant de Tom Bissell, écrivain américain de 45 ans, dégagé d’une éducation catholique, farouchement athée, m’accompagne... L’auteur s’est pourtant attelé pendant dix ans à une étude de terrain précise et documentée des représentations traditionnelles des apôtres, à travers le temps et l’espace. Il s’amuse des récits fabuleux, décrit les multiples interprétations légendaires, discerne les processus d’affabulation sans quitter une recherche sur le mystère de ces textes qui continuent d’inspirer un « style » de vie qui l’interroge. « Apôtres » est un livre décapant, qui ruine bien des représentations mais surligne, en creux, la source inspiratrice. Les origines du Christianisme sont à explorer, à déconstruire, à habiter autrement. Il place d’ailleurs son livre dans la mouvance du livre Le Royaume d’Emmanuel Carrère qui unit critique des formes durcies par la théologie et admiration de la source évangélique. Celle qui se vit au quotidien dans les lieux singuliers du respect absolu de l’homme en tout homme. On se rappelle les pages d’Emmanuel Carrère sur un temps de retraite à l’Arche de Jean Vanier.
Ainsi, des contemporains plus jeunes n’ont pas peur de s’emparer librement de la « parole » ancienne pour la relire à l’épreuve de l’existence concrète. Moins comme un système que comme une croissance d’existence. L’un et l’autre ne prétendent pas asséner une critique définitive mais construire un autre chemin plus respectueux de l’homme. C’est assez exactement là que Marcel Légaut avait déblayé un parcours -le sien- pour mieux aborder l’homme et Dieu. Il n’est pas d’autre lieu de la foi que ce chemin de l’humain, dans la patience et le respect des singularités.
Finalement, que ce soit les mots poétiques de Jean Debruynne, les poèmes du soir de Gérard Bessière ou le presque dernier livre de Joseph Moingt, il en va toujours du préalable de l’humain. Il est si facile de s’immerger dans des croyances déconnectées du réel. Il y a tant à faire pour restaurer la confiance en l’intelligence de la foi en l’homme !
A la prochaine rencontre de Pâques, à la Magnanerie une double chance sera donnée de rencontrer deux parcours contemporains qui ont aimé reconnaître en Marcel Légaut une voie de christianisme accordée à l’humain. Celle de Guy Miel, berger dans le Diois qui a bien connu Marcel Légaut et assure un service de diaconat dans l’église de Valence. Et celle d’Alexandre Grothendieck, mathématicien de génie - il fut l’un des penseurs les plus influents du groupe Bourbaki - qui fit, à un moment de sa vie, presque un identique retour à la terre avant de trouver en Marcel Légaut un de ces « mutants » qui lui semblaient nécessaires pour sortir des visions étriquées. Il vaut la peine de constater l’intérêt reconnu des universitaires pour « l’énigme Grothendieck » ainsi que pour Marcel Légaut qui l‘attirait mystérieusement.
Invitation donc à venir entendre à Mirmande, un professeur de mathématiques esquisser la rencontre réelle et inaboutie entre un homme en quête de sagesse et ce titre de « mutant » éclairé qu’il accordait à Marcel Légaut.
Joseph Thomas