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L’ECHEC

Topo de Marcel Légaut du 1er août 1961 :  extrait n°9 (Il s’agit du dernier de la série). 

ATTEINDRE LA SÉRÉNITÉ

Une question se pose pour terminer : comment atteindre cette sérénité dans le dénuement qui est indispensable pour que ce dénuement soit perçu de façon suffisamment  continu  et  ainsi  soit  présent dans sa vie ?

Je crois que ça correspond à une troisième étape  du  développement  de  l'homme.  Nous  avons  parlé de deux étapes, indépendamment de la vocation singulière qui se trouve être un peu à côté : la découverte de l'amour et celle de la paternité. La troisième étape et la dernière, c'est la découverte de la mort. Du moment où la mort commence à devenir réelle, non pas la mort de l’autre ni la mort en général sur un plan philosophique mais sa propre mort, non pas la mort de soi que l'on considère comme l'autre (par exemple qui d'entre nous n’a pas rêvé un jour d'assister à son enterrement). La mort, sa mort à soi, c'est au moment où ça commence à devenir réel, alors les dispositions intérieures de l'homme sont telles qu’il peut porter dans une certaine sérénité la vision de ses échecs. Tant qu'il n’a pas découvert qu’il est mortel, qu'il va mourir, l’homme n'est pas encore suffisamment adulte pour correspondre à la lumière  qu'il doit pouvoir porter sur les échecs de base de son existence.

Le troisième développement : l'homme conscient de sa propre mort. C'est au moment où il  commence à être conscient de sa propre mort véritable, possible, prochaine ou éloignée mais  certaine, qu'il est capable de pouvoir entrer ordinairement dans la vision de son échec sans en être écrasé, dénaturé, démoralisé... 

C’est pourquoi il n'y a pas  d'être  plus  capable  d'une  communion spirituelle par le dedans que celui qui est proche de sa mort et qui parle à ceux qui l'entourent. Je connais des personnes qui étaient pratiquement  sans  communication  spirituelle  réelle avec aucun autre et qui, au moment de leur mort, en disant par exemple : "Réconciliez- vous", ont mis dans cette simple parole une autorité qu'ils n’auraient jamais eue s'ils étaient bien portants. C'est au maximum du dénuement que l'homme possède le maximum de puissance spirituelle. C'est plus il est pauvre qu'il est riche de dons et qu'il est capable de donner. Celui qui s’approche de la mort est dans le dénuement parfait qui lui permet de dire des choses qu'il n’aurait jamais osé dire, qu'il n'aurait pas été capable de dire en pleine vie.

Extrait de l’échange du  topo du 1er août 1961 où Xavier Huot ne mentionne que les réponses de Marcel Légaut (pour l’intégralité du texte,  se reporter à « Topo des Granges de Lesches », étés 1958 à 1961).

Il faut dépasser le stade d'avoir des réponses à toutes les questions. L'adulte vit plus de questions que de réponses. L'enfant se nourrit surtout de réponses mais l’adulte doit savoir se nourrir de questions.

La nécessité de prendre conscience de l'échec permet éventuellement, si on n'en est pas totalement écrasé, de le rendre "providentiel". La prise de conscience est un premier acte de dignité humaine. Celui qui se refuse à en prendre conscience tourne le dos à sa grandeur.