« Rien n’est plus défatigant qu’une joie »
Dernières nouvelles du « Monde », 31 décembre 2020
« Rien n’est plus défatigant qu’une joie, rien n’est plus fatigant qu’une angoisse. L’être humain ne fait pas que vivre mais exerce le dur métier d’exister : il doit inventer les chemins de sa vie. L’humanité est une tâche autant qu’un don, et ce devoir d’inventer, cette tâche, l’expose « ontologiquement » à la fatigue.
Plus exaltante, mais aussi plus difficile, qu’un hier stable, est la vie dans une époque complexe, incertaine, ondoyante et liquide. Le post-moderne est sommé de s’adapter, de manière permanente, à un monde impermanent.
Nous sommes comme des caméléons sur un kaléidoscope que menace le burn out et qui, quand tout s’accélère, sentent un point de côté de l’âme. Sentiment de ne plus pouvoir suivre alors même qu’on s’y efforce.
On dort de moins en moins… S’endormir c’est descendre dans une étrange sphère d’oubli, descente indispensable à la reconstitution de la « nappe phréatique de soi ».
Le confinement a changé nos corps. Le bore-out (l’ennui) n’est pas plus facile à vivre que le burn out. Et surtout rien ne remplace la grâce et l‘appel de l’autre qui ne remplace pas sa présence. Le pain appelle le copain.
La joie, n’est-ce pas l’ouverture, la « dilatatio animae et corporis » (la dilatation du coeur et de l’esprit) ? Oui, rien de plus défatigant qu’une joie.
Interview d’Eric FIAT, philosophe, éthique médicale
Tels étaient les derniers mots imprimés du Monde le 31 décembre 2020 dernier. On y a fait de larges coupes, tout en conservant la teneur du texte. Qu’entendre ? Que dire ? Il me faisait ressentir l’atmosphère des rencontres de Mirmande. Confiné, je passe de longs moments à converser avec Marcel Légaut, le plus souvent, en dialogue avec ses contemporains... Je relis certains topos des Granges 1962 ! Je retiens ainsi :
Permanence des crises. Permanence de la crise. Savoir, se savoir installé dans une crise durable, ininterrompue : la crise du Modernisme avec sa part de délation et de lutte au plus haut sommet (née de l’impossibilité de lire les textes bibliques tels quels, face au langage de la science et de l’histoire). Nous sommes encore et peut-être plus que jamais en conflit moderniste. Les courants traditionnels, malgré le pape François, ont repris le contrôle des diocèses et imposent leur style retro, leurs soutanes et leurs génuflexions. Curieux et douloureux renversement de tendance après le temps du Concile Vatican II, chargé de tant d’espoir.
Dans ces contextes, entendre à nouveau les mots fondateurs de Marcel Légaut : approfondissement, aller aux profondeurs. Ne pas se laisser ébranler par les réactions de surface. Descendre au fond de soi.
Viser l’authenticité : valeur du temps, du silence. Non pas sincérités successives qui vous entraînent dans le superficiel, mais creusement d’un sillon puissant qui porte du fruit, silencieusement.
Singularité : croissance de soi à partir d’une expérience éprouvée, ne pas se laisser mouler de l’extérieur mais croître par appropriation patiente, faire sien l’évènement, le penser, le réfléchir.
Grandeur de l’homme : « Car c’est à travers cette grandeur humaine que nous découvrirons la grandeur de Dieu. La foi en l’homme, en soi, pas en l’homme en général, la foi en soi-même, c’est l’autre face de ce que nous appelons la foi en Dieu. Les deux choses sont intimement liées. Et nous avons besoin de croire en l’homme, de croire en nous pour pouvoir croire en Dieu. Croire en l’homme, ce n’est pas simplement être humaniste. Ce dont je suis en train de vous parler, ce n’est pas du tout une croyance d’humaniste, c’est la croyance que l’homme a en lui vis-à-vis de lui-même, c’est la foi qu’il peut avoir en soi. C’est bien autre chose qu’une confiance, c’est la foi en sa grandeur. Il y a dans ces pauvres types que nous sommes quelque chose de plus grand que nous-mêmes et ce plus grand que nous-mêmes, qui est déjà nous-mêmes, c’est la marque de Dieu. C’est par là que nous atteignons la réalité de Dieu en nous, la réalité de Dieu lui-même. »
Topo des Granges, 1962 p.37)
Cette manière déjà de parler de la foi en soi rendait pour moi la même tonalité de « joie » que ce qu’écrit Eric Fiat à la veille de cette nouvelle année. Sans bien savoir la forme que prendront nos rencontres en cette année 2021. Le programme de la rencontre de Pâques 2021 est particulièrement attirant. Comment ne pas les souhaiter réelles et présentielles ?
Joseph Thomas