Autant les deux premiers niveaux (respect de l'autre et intérêt pour l'autre) sont occasionnels, donc passagers, autant les deux derniers, communion de vie-amitié, communauté de vie-couple doivent durer par essence même. Les responsabilités que ces relations nous font contracter vont tellement à la racine de chacun d'entre nous que, dans une certaine mesure, le fait de la rupture est la manifestation d'un échec avec tout ce que cela implique comme conséquences plus ou moins désastreuses chez l'un et chez l'autre.
Incontestablement les exigences et les responsabilités qu'impliquent ces niveaux vont nous acculer à des fidélités, à des inventions, à des découvertes qui vont beaucoup plus loin que tout ce que nous avons pu rencontrer aux deux premiers niveaux. Un amour, ça se cultive ou ça se perd ; une amitié également. On insiste sur le fait que l'amour doit demeurer. On insiste moins sur le fait que l'amitié doit demeurer. Lorsque l'amitié est réelle et qu'une rupture se fait ou une extinction progressive, c'est une perte pour chacun. L'amitié doit se cultiver comme l'amour. D'ailleurs, on ne se fait des amis qu'à un certain âge. Au départ, dans la jeunesse, l'amitié est facilitée par la secrète homo- et hétérosexualité qui existe entre nous. Il y a là une facilité physiologique, psychique qui permet de se faire des amis. On devrait dire aux gens :"Rien n'est plus précieux qu'une amitié. Alors cultivez-la parce que, plus tard, vous ne vous ferez plus d’amis, vous ne ferez qu'en perdre". Cultivez votre amitié comme on pourrait dire : "Continuez à vous aimer, même si vous êtes mariés".
L'amour et l'amitié ne se développent que s'ils se recréent continuellement, à des niveaux différents peut-être mais l'un comme l'autre sont infiniment précieux pour la vie spirituelle. Le fait d'avoir conservé un amour vivant ou le fait d'avoir conservé des amitiés vivantes sont le signe d'une véritable réussite spirituelle. J'admire - car cela ne m'est pas toujours arrivé -, des gens qui ont su à temps que l'amitié, cela devait se cultiver. L'amour comme l'amitié, cela ne s’enseigne pas, c'est à chacun d’entre nous de le découvrir. Découvrir ce que l’un et l'autre exige pour demeurer et pour se développer car, pour demeurer, il faut que cela se développe.
Voilà un autre aspect de l'originalité fondamentale de cette communion et communauté de vie : cela ne vit que dans la mesure où continuellement cela se recrée. Ce n'est pas l’observance d'un contrat, ça va bien plus loin, ça va jusqu'à des exigences intimes dont le caractère impératif et la puissance d'interpellation dépasse de beaucoup ce qu'on peut connaître en temps normal. Ce troisième niveau est pour beaucoup l'occasion d’une véritable découverte spirituelle. L'amour du père ou de la mère pour l'enfant, l'amour de l'homme pour la femme, l'amitié, sont enracinés dans nos instincts fondamentaux. Nous y sommes spontanément portés mais ce n'est que dans la mesure où nous savons les cultiver que précisément la vie spirituelle va prendre son envol.
L'amour et l'amitié ne vivent, ne se développent que si on respecte l'autre, que si on lui porte intérêt. Au départ, nos instincts fondamentaux nous portent à respecter l'autre, à lui porter intérêt de façon chaleureuse mais après, nous ne sommes pas assez innocents pour croire que ces instincts nous portent spontanément à respecter l'autre et à lui porter intérêt. Petit à petit, si nous n'y faisons pas attention, si, à longueur de vie, nous ne respectons pas l'autre et si nous ne lui portons pas vraiment intérêt, notre amour n'est plus qu'un amour du passé.
Marcel LEGAUT Retraite à St Hughes de Biviers, nov. 1980 (suite 3)