ACCÉDER À UNE FOI AUTHENTIQUE. INTERPELLATIONS
Ce qui nous manque le plus, à vous comme à moi, c’est que notre foi est trop facile. Nous croyons trop facilement en Dieu ; nous croyons trop facilement en Jésus-Christ parce que ce n’est pas en Jésus-Christ que nous croyons vraiment, c’est dans l’idée que nous nous en faisons à partir des textes, à partir de l’évangile. De même pour Dieu, ce n’est pas à partir de textes mais c’est à partir d’un vieil atavisme continuellement combattu par la science, par le quotidien de notre existence mais qui est dur, qui résiste fort et qui, au moins à certaines heures, triomphe encore. De telle sorte que nous croyons en Dieu plus par superstition que par une véritable foi car nous n’avons pas suffisamment étreint avec vigueur toutes les difficultés, toutes les impensabilités que Dieu nous propose pour être véritablement atteint et, par un biais ou un autre, en y échappant, nous arrivons à tenir la croyance en Dieu sans avoir une véritable foi en Dieu.
Le résultat, c’est qu’en définitive, dans notre vie… beaucoup de croyants (probablement aussi quelques-uns d’entre nous), se conduisent au fond pratiquement comme des athées. L’athéisme pratique dépasse de beaucoup la zone des gens qui se disent athées. L’athéisme pratique, l’athéisme vulgaire, c’est quelque chose qui est au fond du cœur de chacun d’entre nous. Ce ne sont pas du tout les difficultés que nous devons étreindre et qui nous obligent à approfondir ce qu’est notre foi, qui nous conduisent vers l’athéisme, ce sont au contraire les facilités que nous nous accordons pour pouvoir continuer à croire sans avoir besoin d’étreindre ces difficultés. Ce qui nous manque à tous, c’est de réaliser combien est difficile l’accès à une foi véritablement authentique.
Mais comment sentez-vous tout cela ? C’était un des aspects par lequel j’essayais d’avoir contact avec vous, tout à l’heure, quand je voulais vous parler. Je me disais : au fond, ils viennent aux Granges, qu’est-ce qu’ils viennent y faire ? Qu’est-ce qu’ils vont y chercher ? Est-ce qu’ils viennent même y chercher quelque chose ? Quand nous étions au départ du groupe, les camarades qui venaient, on savait qu’ils venaient chercher quelque chose, que nous cherchions ensemble. Le vieillissement fait partie des choses de la nature. Ce groupe est un groupe vieux, pas simplement parce qu’il y a des vieux mais parce qu’il a déjà 40 ans d’existence derrière lui. En vérité, quand vous venez ici, est-ce que vous cherchez quelque chose ? On peut venir ici pour chercher simplement l’ambiance, le bon air, le silence (ce qui est un paradoxe) et, pour les enfants, l’amitié, ce qui est vrai au moins pour ceux qui se connaissent avant d’arriver, parce que quelqu’un qui arrive pour la première fois ici ne la trouve peut-être pas tout de suite. C’est difficile d’entrer en communion un peu réelle avec celui qui arrive pour la première fois. Il faut une certaine disponibilité, ce n’est pas toujours facile, l’amitié.
Mais autre chose encore. Le fait que dans les méditations qu’on fait ici, en particulier dans celles que je vous fais, on ne les fait pas toujours partout comme ça de la même manière. De telle sorte qu’il y a une certaine... je ne dis pas curiosité, mais on a l’impression qu’on respire peut-être un peu mieux. Depuis que Jean XXIII est venu sur le trône pontifical, les chrétiens, avec une brave candeur, se disent : enfin on respire. C’était peut-être parce qu’on ne respirait peut-être pas si bien que ça avant...
Mais pour que cette attente, cette recherche, soit réelle, est-ce qu’elle est vraiment préparée par le temps où vous vivez dans votre métier ? (parce que, pratiquement je suis un peu en dehors du jeu en ce moment). Est-ce que, pendant l’année, il y a en nous, en vous, une recherche qui vous oriente, d’une façon plus ou moins directement impérative, vers un séjour ici, (d’une dizaine, d’une quinzaine de jours) de façon à pouvoir grandir dans la foi parce que la foi vous est difficile ? Parce que la pratique religieuse vous est difficile ? Non, la pratique religieuse est toujours très facile ! Plus on est vieux, plus elle est facile parce qu’elle est nourrie par l’habitude. Plus on a l’habitude d’une pratique religieuse déterminée, plus il est facile de prier, facile de prier superficiellement en croyant prier profondément. C’est là que se trouve le joint qui me permet de vous retrouver un peu. (À suivre)
Marcel Légaut
Topos de Granges (1963)
Ed. Xavier Huot pp.26-27