La joie d'être
L’expression est au cœur de la grande « prière » de Légaut : « Infimes, éphémères mais nécessaires » qui résume à merveille sa démarche d’humanisation. Je l’ai apprise par cœur et me la redis souvent. C’est en quelque sorte mon credo. Pour Légaut « la joie d’être » est l’un des fruits que recueillent les femmes et les hommes qui, dans l’épaisseur, les méandres et les épreuves de leur existence, s’efforcent, à longueur de vie et vaille que vaille, d’être fidèles aux exigences intérieures émergeant de leur conscience et ainsi découvrent peu à peu leur « mission » propre, « ce qu’ils doivent être et faire pour correspondre à tout ce qui est en eux et se réaliser pleinement ». (1) Beaucoup de ces personnes n'ont sans doute pas conscience de la lente et profonde transformation qui s’opère en elles alors qu’elles s’adonnent dans l’ordinaire des jours à pratiquer la droiture, la simplicité, l'attention à autrui, le refus du mensonge et de la duplicité. L’important c’est d’en faire l’expérience. J'ai fréquenté dans mon enfance plusieurs femmes âgées qui avaient connu de grands malheurs familiaux et qui, malgré ces adversités, témoignaient sur leur visage et dans leur comportement la « joie d’être ». J'aimais être à leurs côtés. C'est bien après leur mort que j'ai eu conscience de ce qu'elles avaient semé en moi.
Cette « joie d’être » n'est pas un sentiment vague et spontané d'autosatisfaction d'avoir réussi des activités, lequel peut s'évanouir au premier obstacle. C'est un état durable de paix et de sérénité qui advient et demeure au plus intime malgré les remous inévitables de surface. Celles et ceux qui connaissent cette stabilité de fond ne redoutent pas les éventuelles perturbations à venir. Ce qui ne signifie pas qu'ils soient insensibles, ni inconscients. Ils connaissent leur vulnérabilité, leurs misères et leurs pauvretés mais ils ont franchi une ou des étapes décisives qui ne les font plus craindre, comme auparavant, de perdre pied. « La joie d'être » irradie leur visage, colore leur manière de vivre, leur inspire le goût pour la simplicité et la vérité des relations, leur fait relativiser ce qui se donne des airs importants et les conduit à considérer comme essentiel la qualité du moment présent. Qui a rencontré personnellement Marcel Légaut a ressenti cette forme de présence authentique et fraternelle, si attachante et contagieuse.
Nous, lectrices et lecteurs de Quelques Nouvelles, vu notre âge, si, à l’école de Légaut, nous avons consenti au fil des années à nous laisser bousculer dans nos certitudes, nos habitudes, nos comportements, nos croyances, nos évidences, et si ces dépouillements ont aiguisé en nous la conscience de l’essentiel, alors nous expérimentons cette « joie d’être » même si nous sommes toujours en chemin.
Pour moi, « la joie d'être » n'est donc pas une belle formule mais une expérience. Et je me sens en communion profonde avec tous ceux qui l'expérimentent, quels que soient leurs parcours. Je n'en connais qu'un nombre restreint, croisés au hasard de rencontres, de lectures, de compagnonnages communs, d'émissions de télévision. Mais je sais qu'ils sont en réalité infiniment plus nombreux dans le temps et l'espace. C'est pour moi une cause de bonheur permanent et imprenable. Je suis très reconnaissant à Marcel Légaut de m'avoir montré le chemin.
Jacques Musset
(1) L’homme à la recherche de son humanité, Marcel Légaut, Aubier, 1971, p.192
RENCONTRES DE PÂQUES à Mirmande du 2 au 5 avril 2024 inscriptions auprès de Françoise Servigne (cf. adresse à la fin du document) possibilité de commander le dépliant complet des Rencontres 2024 à la même adresse. |