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ÊTRE DES VIVANTS … OUVERTS !

Ce qui est essentiel pour notre vie spirituelle, ce qui manque à notre vie spirituelle, ce n’est pas la doctrine, c’est d’être des vivants, c’est-à-dire de connaître, de découvrir ce qu’est la vie humaine. Quand on a l’esprit un peu pieux par nature, par formation, les livres qui sont un peu trop lucides, qui sont un peu trop méchants, voire même un peu cyniques, qui montrent la vie sous des jours pas sympathiques, on n’a pas tendance à les relire parce qu’on les porte difficilement, on voudrait penser que c’est exagéré. Au fond, ce n’est pas exagéré. Ce qui est mauvais dans ces livres, ce n’est pas tellement ce qu’ils disent, c’est ce qu’ils ne disent pas à côté. Car en définitive ces livres ne sont pas des œuvres de croyants, ce sont des œuvres d’incroyants. Le jour où un croyant sera capable de regarder et de montrer la vie telle qu’elle est, grâce à sa foi, avec autant de noirceur que quelqu’un qui ne croit pas et qui découvre cela par réaction contre la foi, à ce moment-là, nous aurons de nouveau une extraordinaire possibilité de rayonnement. Cela, il faut le mériter. (…) Les générations se suivent et ne se ressemblent pas... Elles se ressemblent terriblement mais en utilisant des masques différents.

On nous a souvent reproché dans le groupe de faire un peu chapelle fermée. Mais dans notre génération actuelle, ceux qui montent actuellement font à leur manière chapelle fermée. II n’y a pas de chapelle plus fermée que celle qui se dit essentiellement ouverte. Il y a une manière de se croire ouvert qui est une façon d’être encore fermé. Les seuls gens ouverts sont seulement ceux qui, par leur intériorité, arrivent à ne pas pouvoir se contenter de ce qu’ils sont et non pas ceux qui professent une idéologie ou une doctrine qui est censée être ouverte, car toute doctrine ou toute idéologie est en soi fermée, comme toute appartenance à une société est en soi appartenance à une société fermée. Il n’y a pas de société, pas de doctrine qui puisse atteindre le niveau d’universalité qui permette à l’homme d’être véritablement ouvert sur tous les hommes. C’est pourquoi, il est si important pour nous autres de découvrir ce que c’est que l’amour, ce que c’est que la paternité, pas sur le plan de la doctrine, sur le plan de la morale, pas simplement sur le plan lyrique, sur le plan idéologique mais sur le plan réel.

Nous pouvons être de bons parents, nous pouvons croire être de bons parents mais au fond en être de fort médiocres parce que nous ne sommes que comme les autres. Nous avons chacun à découvrir l’amour et la paternité non pas tellement au départ qu’ultérieurement. Et la ferveur de notre foi, la puissance de notre foi sera, dans ce domaine-là, mesurée par la distance que nous percevrons entre ce que nous devrions être dans ces deux domaines et ce que nous sommes. C’est en affirmant la distance entre ce que nous concevons devoir être pour être véritablement père ou mari, et ce que nous sommes véritablement dans ce domaine que nous manifestons la vigueur de notre foi. Parce que, à ce moment-là, c’est bien à la lumière de notre vie que nous comprenons l’évangile ; parce que, à ce moment-là, ayant bien compris ce qu’est notre vie, nous sommes beaucoup mieux placés pour bien comprendre ce qu’est Jésus au-delà de l’évangile.

Marcel Légaut Topos des Granges (1963)
Ed. Xavier Huot p.29-30