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La lecture (6 et fin)

Je vais terminer cette méditation en vous parlant de la tradition. Le premier sens de tradition, c'est le sens enseignant, c'est le plus facile. On enseigne les mathématiques, ça fait une tradition enseignante. On est même allé jusqu'à vouloir enseigner la vie, c'était une vie un peu cristallisée mais dans la mesure où cette vie cristallisée accepte d'être enseignée, c’est encore une tradition enseignante. Les écoles de spiritualité, c'est une vie cristallisée. Voilà une première forme de tradition.

II y a un deuxième niveau : la tradition sur le plan inspirant. C’est la tradition des écritures. Elles sont vraiment inspirantes quand elles nous rendent inspirés, nous communiquent une sagesse par le dedans qui nous permet précisément de recevoir du passé et des inspirés du passé un fruit de communion avec eux pour nous permettre de mieux vivre. Très fréquemment les écritures sont lues comme des livres d'enseignement et non pas comme des livres inspirants. À ce moment-là, si vous prenez les écritures sur le plan enseignement, la tradition des écritures coïncide exactement avec le plan de la loi.

II y a un troisième plan qui est capital, c'est le plan de la "révélation". C'est celui où on découvre les personnes. C'est donc un plan qui va au-delà des écrits : aux auteurs. Lorsqu'on peut atteindre ainsi les personnes dans leur "présence", malgré qu'on ne les ait jamais connues ou qu'on ne les ait perçues qu'à travers leurs écrits, de manière à nous les rendre présents, plus présents que beaucoup de gens qui nous sont présents physiquement, nous atteignons le niveau de la tradition. C'est ce qui fait le centre même, ce qui nous rend utiles et même féconds les deux autres plans. (…)

Par tous ces êtres qui sont pour nous des maîtres spirituels et que nous pouvons atteindre à travers leurs œuvres inspirées, nous atteignons Jésus. Jésus est le centre autour duquel ils reçoivent leurs propres possibilités de témoigner de sorte que Jésus est proprement "révélation". Pour qu'il ait été révélation, il a fallu qu'il soit d'abord inspirant. II y a dans la vie de Jésus tout un aspect "d'inspiration" dont les évangiles ne sont qu'un écho refroidi et déjà éloigné. C'est au-delà et à travers ce qu'il nous a appris quand il nous a parlé que nous découvrons et que nous recevons sa propre révélation, la révélation de ce qu'il est lui-même, révélation qui va au-delà des enseignements qu'il peut nous donner.

La grande tentation que nous avons, c'est de réduire la révélation à l'inspiration et l'inspiration à l'enseignement. Le résultat est que, au lieu d'être la possibilité d'une vivification véritable, c'est pour nous, après un départ relativement facile, presque fatalement une cristallisation. (…) Je crois que tout un aspect grave de notre christianisme est que, pendant des siècles et des siècles et peut-être encore maintenant, nous confondons ces trois plans de tradition. En général, par paresse et par simplicité, la révélation proprement dite, qui est extrême, qui est Jésus dans son originalité essentielle, nous la restreignons. Nous rabaissons ce niveau de la révélation au niveau de l'inspiration qui est lui-même pratiquement au niveau de l'enseignement.

Voilà ce que je voulais vous dire. J’ai tout de même l'impression que ces idées ne sont pas coutumières. (Fin)

Marcel LÉGAUT
Topos des Granges de Lesches
Été 1961 - Ed.Xavier Huot p.286-287