• Enteteautrespages

DEVENIR DISCIPLE DE JÉSUS (3)

Comment peut-on arriver à se rendre réel ce que Jésus a vécu, il y a vingt siècles ? Une première condition estqu'on se pose la question et qu'on pense que cette question est importante. Nous sommes encore plus ou moins interpellés par cette aventure qui s'est passée il y a vingt siècles pendant quelques mois. Dans certaines rencontres, on avait facilement tendance à comparer Jésus à quelques grands fondateurs de religion comme Mahomet, Bouddha. Mais il y a une différence de base. Un homme comme Jésus n'a vécu que trente-trois ans et il a eu une vie publique de quelques mois, une vie qui s'est terminée d'une façon catastrophique. Or sa vie a eu une autre percussion spirituelle quand on la compare à celle de Mahomet qui a vécu longtemps, qui a utilisé tous les moyens humains pour instaurer la religion qu'il enseignait, avec tous les moyens de puissance. Quelle différence radicale !

Alors, une première question. Pour devenir véritablement disciple, qu'est-ce qui s'est donc passé il y a vingt siècles, pour qu'une telle réalité, une telle chose impossible se soit produite ? Il y a une attente, une recherche, qui est nécessaire, et malheur à nous si l'enseignement qu'on nous donne la supprime. Car si l'enseignement que nous recevons au catéchisme supprime la question, au lieu d'être un chemin, il devient un obstacle. Il faut que l'enseignement que nous donnons aux enfants, celui que nous recevons, nous ouvre sur la question, de manière à nous stimuler pour que nous tentions toute notre vie d'essayer de la résoudre ou, du moins, de la porter, et non pas de la ranger parmi les questions résolues pour passer dans d'autres domaines.

Nous savons évidemment ce que Jésus nous dit, ce que l'Église nous dit de Jésus, à travers les Écritures, à travers la tradition. Voilà la base. Une base insuffisante parce que tout le monde peut connaître parfaitement l'Ancien Testament, le Nouveau et la tradition, et rester sur un plan intellectuel ou sur un plan affectif qui n'en fera jamais un disciple. Il faut que sa vie soit transformée, il faut qu'il comprenne les Écritures et la tradition à la lumière de ce qu'il vit lui-même. Sa vie spirituelle doit se développer au contact de ce qui lui est donné objectivement du dehors mais, s'il ne se l'approprie pas d'une façon très personnelle, ce qui lui est donné objectivement du dehors restera pour lui un costume, restera pour lui un langage. S'il est particulièrement affectif, ça lui permettra peut-être quelques transferts de cœur mais cela ne remplacera pas ce qu'il y a de singulier dans ce qui fait le disciple à ses risques et périls.

On peut lire objectivement l'Écriture. Il faut le faire intelligemment. De ce côté, nous avons fait quelques progrès depuis un siècle. Car l'Ancien Testament est de quelques milliers d'années derrière nous, le Nouveau lui-même date de vingt siècles avec une mentalité fort différente de la nôtre, et toute la tradition que nous pouvons recueillir de l'Église est, elle aussi, marquée par les temps et les lieux où elle s'est formée, développée, transformée. Donc il y a une certaine manière littérale de lire les Écritures, la tradition, qui tout en étant, je dirais, scrupuleuse, n'est pas suffisamment intelligente pour découvrir la veine secrète, l'esprit profond qui, au-delà des lettres, à travers les événements, grâce aux circonstances, petit à petit s'est développé à travers les Écritures et la tradition. Pourque ces choses soient vécues et non pas simplement dites d'une façon abstraite et par conséquent inutile dans une bonne mesure, il faut découvrir soi-même les transformations profondes qui existent en nous à mesure que nous sommes fidèles à ce que nous devons être. Il faut être des hommes intérieurs pour être capables de recevoir intérieurement un message qui nous est proposé du dehors. (à suivre)

Marcel LÉGAUT, Bruxelles 1976
Articles et conférences
Cahier 8 Tome II p.275 (éd. Xavier Huot)