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Pape François. In memoriam !

Juger le pape à travers le prisme politique droite gauche n’a aucun sens. Le souci de François a toujours été d’actualiser la doctrine sociale de l’Église avec sa sensibilité propre d’homme issu de l’Amérique latine. Sa seule ambition : nous donner le goût de relire l’Évangile pour le rendre vivant dans nos vies de chrétiens trop souvent tournées vers des rites, des habitudes et des réflexes de pensée d’où le souffle de l’Esprit reste absent. Avoir le souci des plus pauvres en nous tournant « vers les périphéries », respecter la planète, notre maison commune, travailler à faire davantage de l’Église « un hôpital de campagne », être fidèles à la prière, nous sommes avec lui bien au-delà des étiquettes. C’est tout cela que j’ai ressenti avec le pape François. Il nous a poussés à mieux vivre notre foi et à mieux comprendre notre monde traversé par de grands courants de pensée et de mœurs différents sans juger systématiquement mais plutôt en essayant de répandre un peu plus la joie du « parfum de l’Évangile ». (JD, Journal La Croix, courrier des lecteurs, vendredi 9 mai 2025, page 15).

Les femmes votent pour élire leurs dirigeants. Mais les catholiques sont privés de voter pour le dirigeant le plus cher à leur cœur : le pape ! Quand on y réfléchit, cela paraît vraiment étrange. Partout les femmes chrétiennes sont les plus proches des pauvres, des abandonnés sur les rives de la vie, elles transmettent la foi aux enfants. Elles sont les piliers des familles et des paroisses. Elles sont aussi les premières à souffrir des guerres, des famines, des luttes de pouvoir des hommes. Dans un conclave, leurs voix seraient sûrement celle de la miséricorde de Jésus. Des femmes enfermées avec les cardinaux en conclave ? Non, cela ne semble pas possible dans le rite actuel. Par contre, pourquoi pas des femmes dans les congrégations préparatoires qui apporteraient leur expérience et leurs attentes ? (MH, Journal La Croix, courrier des lecteurs, vendredi 9 mai 2025, page 15).

Directeur de l’Observatoire géopolitique du religieux de l’Institut de relations internationales et stratégiques, François Mabille analyse la diplomatie de François dans le cadre plus général d’un catholicisme sur le déclin et d’un monde en proie à de nombreuses crises. Dans quelles directions François a-t-il fait évoluer la diplomatie du Vatican ? J’en vois trois. François a tout d’abord développé une « diplomatie de mouvement » marquée par une volonté forte de faire avancer les dossiers en faisant bouger les lignes. Par exemple, dans les relations du Saint-Siège avec la République populaire de Chine. Il a préféré signer et reconduire tous les deux ans un « préaccord », là où ses prédécesseurs se contentaient du statu quo. Son deuxième axe fort, c’était sa volonté de promouvoir le Vatican comme acteur de « paix intégrale ». Enfin, le dernier axe était un investissement marqué sur le terrain des relations avec l’Islam. François a promu un régime de tolérance. Il souhaitait obtenir des leaders musulmans, en plus de la classique condamnation de la violence terroriste, la liberté religieuse des minorités, notamment chrétiennes.

On dit parfois que François avait une vision en accord avec celle du Sud global et très critique avec l’ordre mondial issu de l’hégémonie occidentale. François a clairement pu exprimer un ressentiment anti-occidental. Il regardait le monde depuis son point de vue d’origine, en l’occurrence celui d’un argentin. Dans ses discours, il a parlé à maintes reprises de « colonisation idéologique de l’Occident ». Il désignait ainsi l’emprise intellectuelle de l’Occident qui, selon lui, cause des désordres. Cette critique allait de pair avec celle des populismes européens ou américains qu’il condamnait fermement bien qu’il ait peiné à en analyser la cause. Son discours sur l’accueil des migrants était assez caractéristique de cela. Lorsque de nombreux réfugiés fuyaient la Syrie, François semblait appelé à s’en prendre davantage aux opinions occidentales réticentes à leur accueil qu’au régime qui faisait fuir les Syriens. (FM, La lettre de Témoignage Chrétien du 24 avril 2025 : François idéaliste pacifiste ? in « Le Vatican, la papauté face à un monde en crise » (Ed Eyrolles, 216 p, 20 euros).

Quelle trace François va-t-il laisser dans l’Église ? Douze ans, 2013-2025, c’est beaucoup ! Mais c’est peu à la lumière d’un pontificat comme celui de Jean-Paul II ou de Pie XII. Christoph Théobald, théologien jésuite à la double nationalité franco-allemande, a analysé, dans la Croix Hebdo du 25 avril 2025, les bouleversements qu’a engendrés le pontificat de François. Plus qu’une réforme théologique, le pape François a apporté une manière de gouverner, une manière de parler très peu ecclésiastique. Sa parole a toujours été très libre, sans langue de bois. Un style direct que l’on retrouve dans ses textes.

C’était un Latino-Américain avant tout. Il a poursuivi avec force et conviction ce que l’Amérique latine nous a apporté depuis la conférence de Medellin (Colombie) en 1968 quand l’Église sud-américaine adopta l’option préférentielle de l’Église pour les pauvres. Cette intuition s’est manifestée dans le choix des personnes qu’il a accueillies, des villes qu’il a visitées – en évitant les grandes capitales – et des hommes qu’il a créés cardinaux. Son engagement s’est exprimé encore dans son rapport aux réfugiés, sa politique de la paix difficile notamment en Ukraine, avec ce souci de maintenir toujours un contact possible avec l’autre...

Il a développé sa vision dans ses deux grandes encycliques : Laudato Si’ d’abord, où la Création devient le sujet de son discours avec beaucoup de poésie et puis Fratelli Tutti : dans ce texte extrêmement fort, le pape a proposé un commentaire très original de la parabole du Bon Samaritain. Enfin, ce rapport à la société chez François a été marqué par la disparition de tout un débat sur la place du christianisme par rapport aux autres religions.

Christoph Théobald explique, ensuite, pourquoi François a boudé la France et les grands pays occidentaux au profit des périphéries. Nous avons un deuil important à faire : nous ne sommes plus le centre du monde, et c’est une sacrée mutation car la tradition chrétienne est née dans l’espace méditerranéen. Le centre du monde n’existera plus. Rome sera toujours le centre, mais l’Église est devenue polycentrique. Le débat sur le cléricalisme devient important : va-t-on continuer en Europe à internationaliser le clergé ? Une Église qui ne produit plus en son sein les ministres dont elle a besoin est condamnée à mort. Quand on parle de polycentrisme, de quoi parle-t-on ? Parle-t-on d’un clergé universel, d’un même catéchisme ou est-ce qu’une créativité va se déployer sur chaque continent, autorisée et même encouragée par Rome ?

Le Concile Vatican II n’est-il pas encore une piste pour répondre aux défis d’aujourd’hui ? Le Concile est la grande grâce de l’Église au XXème siècle, selon la formule de Jean-Paul II. Le pape François a élargi la manière de procéder du Concile à l’ensemble du peuple de Dieu. Tout chrétien est disciple missionnaire. Que vous soyez prêtre, évêque ou simple fidèle, c’est le baptême qui nous relie. Le reste n’est pas secondaire mais second. Avec le pape François, « le baptême, c’est la porte de l’Église ». C’est le baptême qui fait l’Église et l’Église qui célèbre le baptême.

Si le pontificat de François n’a pas été marqué par des ouvertures dans les domaines théologique et disciplinaire, François restera, pour les chrétiens, un pape qui a multiplié les signes d’amitié. Il a vécu un œcuménisme de la fraternité en rendant visite, par exemple, au temple de l’Église vaudoise Valdo de Turin, ou en rencontrant de nombreux pasteurs d’Églises évangéliques, en demandant pardon pour l’attitude de son Église dans le passé.

Selon notre sensibilité, nous serons déçus ou émus par les évolutions apportées par un pontificat marqué par l’attention aux marginaux, le souci du climat et la défense des migrants. Dans les Écritures, la vie est plus importante que la doctrine, et ce qui fonde l’Église, ce n’est pas d’avoir le même point de vue dans tous les domaines de la théologie, mais de vivre et de partager la grâce de l’Évangile. (Antoine Nouis, directeur du journal Réforme, 24 avril 2025, page 2).

Jean-Jacques Chevalier