Pour faire pousser un grain de blé, quelques grains de riz, un épis de maïs, du sorgho ou de la quinoa, quelques haricots, du manioc ou du soja… il faut quelques gouttes d’eau…
Pour lier et pétrir la pâte qui fera le pain, la galette, ou simplement la bouillie… il faut quelques gouttes d’eau…
Pour cuire cette préparation, il faut quelques flammes… Pour obtenir quelques flammes, il faut quelques bouts de bois sec… Pour pousser, le bois a besoin de quelques gouttes d’eau…
Eau douce, offerte pour la nourriture humaine. Eau douce, pour abreuver le vivant. Eau primordiale à l’origine de la Vie sur la terre, principe inouï des milliards de cellules, végétales et animales peuplant la planète.
Eau douce, en danger de disparition, lorsque l’action humaine l’exploite sans la respecter, la salit par ses techniques diverses.
Eau douce, eau pure, devenant rare.
Dans son ouvrage « Réenchanter l’eau ; plaidoyer anthropologique », Claudine Brelet([1]), après avoir décrit les cultures primitives, pour lesquelles l’eau est respectée, ritualisée, sacralisée, aborde la rupture opérée vers 4 000 ans avant J.-C. en Mésopotamie : la montée de la mer jusqu’à 2m de haut a salinisé les terres cultivables. Il s’ensuit la création « d’un système très élaboré de canaux conçus pour diriger l’eau vers les champs (…) Les pluies ne suffisent pas pour évacuer le sel restant dans les nappes phréatiques (…) C’est la première fois dans l’histoire que l’eau est instrumentalisée et que, souligne Jean-Louis Huot([2]), ‘’l’homme s’assure à cette époque dans le monde des représentations une place qu’il ne quittera pas.’’(...) Dès lors, le lien direct, quasi mystique, des premiers peuples avec la nature, va disparaître. L’eau devient une force qu’il est impératif de maîtriser (...) »
Au XXIème siècle, les conséquences catastrophiques de cette rupture du lien avec la nature sont considérables et menacent tout ce qui vit : micro-organismes, plantes, animaux, humains. L’eau est l’élément tellement indispensable à la Vie que l’on se bat pour la posséder, et en déposséder les populations qui, sans elle, ne peuvent survivre. Cela est un meurtre collectif pour préserver quelques-uns qui pourront encore profiter, quelques temps, des ressources avant la fin de l’eau douce.
Devant ces perspectives désastreuses, plusieurs voix s’élèvent pour restaurer le lien avec la nature, le lien entre les humains, le respect de la vie sous toutes ses formes : Pablo Servigne, William Clapier, Nicolas Hulot, Yann-Artus Bertrand, Pierre Rabhi, le Pape François, et autres personnes appelant à la conscience, à l’insurrection des consciences, à l’action écologique. Depuis le « Indignez-vous ! » puis « Engagez-vous ! » de Stéphane Hessel, le chemin continue vers le rassemblement nécessaire et vital de ceux qui œuvrent pour le droit fondamental écologique, « la conversion de vie, d’un paradigme autre que celui du ‘’tout économique’’ que nous subissons »([3]).
Actions de reboisement favorisant la « résilience hydrique des agrosystèmes »([4]) par la régénération de « l’eau verte » : celle créée par l’évapo-transpiration des arbres. Planter des arbres fait revenir les sources taries et, par la suite, la vie animale qui en dépend. Plusieurs actions de ce type se développent, dont celle de Lélia et Sebastiao Salgado au Brésil.
Pourquoi parler de l’eau dans cet Éditorial de « Quelques Nouvelles » ? Cette eau qui porte le mystère de la Vie, nous oblige à la respecter, à la célébrer, non pas la déifier, mais comprendre avec humilité, qu’elle nous est donnée, que nous la partageons avec tout ce qui vit. Elle nous entraîne à méditer sur notre relation au Vivant, et à tout ce qui est nourriture indispensable.
La gratitude est l’attitude silencieuse qui résulte de cette méditation.
Odile Branciard (juin2025)
[1]« Réenchanter l’eau », Actes Sud, mai 2024, Claudine Brelet, anthropologue HDR.
[2]Jean-Louis Huot, directeur des fouilles françaises en Iraq (1974-1990).
[3]William Clapier, « Effondrement ou révolution ? », p.229, février 2020, Le Passeur éditeur.
[4]Marlène Vissac, fondatrice du bureau d’études Phacelia et du programme Hydronomie. « 4 saisons » Hors-Série #37, Terre Vivante.