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Devenir disciple de Jésus (6)

Il y a de grandes tentations dans la vie de Jésus et elles sont particulièrement importantes à découvrir (…) pour que nous les dominions nous-mêmes. La première tentation est la tentation du succès. La puissance qui sort de lui et qui guérit, n'est-ce pas la raison de sa mission ? Les succès qui se manifestent tout autour de lui, n'est-ce pas pour ça qu'il est venu ? Est-ce qu'il ne serait pas fait pour guérir les corps, sachant que plus tard ce serait la guérison des cœurs ? (…) Dans l'Évangile, ses nombreuses nuits de prière sont peut-être les moments où Jésus, en prenant plus profondément conscience de ce qu'il vivait, a dû comprendre qu'il n'était pas venu pour guérir les corps mais pour cette autre mission tellement plus difficile, tellement plus improbable, d'être l'occasion de la conversion des cœurs.

Et voici une deuxième tentation. Israël est un peuple particulièrement vigoureux, ayant un passé particulièrement religieux, qui se trouve sous la botte romaine. Déjà plusieurs tentatives se sont fait jour pour chasser l'envahisseur. C'est un peuple dont la religion était extrêmement politique, un peuple politico-religieux, religieusement politique, un peuple dont l'histoire alliait continuellement l'action politique et l'action religieuse, un peuple élu. Jésus qui avait une si grande puissance sur les foules, est-ce qu'il ne pourrait pas justement coordonner toutes ces forces pour en faire de la violence et chasser l'envahisseur ? On a voulu le faire roi un jour et bien des gens de son temps pensaient que ce serait peut-être lui, le messie, un messie à la manière de son temps, ce messie politico-religieux qui devrait libérer Israël. Il a refusé cette tentation comme les autres.

S'il avait été un bienfaiteur des corps ou un libérateur politique, il aurait été marqué de son temps et de son lieu. Il n'aurait été qu'un grand homme de son temps. La grandeur de Jésus est précisément d'être plus grand que son temps et d'avoir eu une fidélité fondamentale qui n'était pas la simple conséquence des événements qu'il rencontrait, mais la conséquence d'une volonté qui montait en lui. La volonté de son Père lui a permis d'atteindre l'humain à une telle profondeur qu'à travers les siècles et dans les milieux les plus différents, par ce qu'il était, il puisse interpeller tout homme dans sa profondeur. Tentation de la puissance, tentation du succès.

Tentation de l'impatience. C'était un temps où on croyait assez vite à la fin du monde parce que les temps n'étaient pas heureux. Jésus aurait pu jouer, comme on le fait actuellement, sur la fin du monde pour convertir les gens. Ce fut une des grandes erreurs de Loisy de penser que Jésus s'était laissé prendre par les perspectives d'une fin du monde prochaine. Jésus, à mon sens, savait bien ce qui se pensait autour de lui. Je ne dirais pas que Paul ne s'en est pas servi pour activer, augmenter la force de sa prédication. Mais Jésus, justement parce qu'il fallait qu'il dépasse les événements, ne pouvait pas, dans son action, dans sa manière d'être, s'appuyer sur les événements. Les événements pouvaient l'aider à découvrir sa mission mais il fallait que sa fidélité fondamentale soit suffisante pour que, au-delà de ce que les événements pouvaient lui suggérer, il découvre en lui-même une volonté qui transcende les événements et qui manifeste à nos yeux maintenant un des aspects fondamentaux de sa propre transcendance. C'est ainsi que Jésus continua pendant quelques mois à prêcher le royaume. Mais ce n'est pas là la grandeur de Jésus.
(à suivre)

Marcel LÉGAUT Bruxelles 1976
Articles et Conférences Ed. Xavier Huot
Cahier 8, Tome II, pp 277-278