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Devenir disciple de Jésus (7)

À mesure qu'il parcourt la campagne, (…) commence à se dévoiler, à se manifester dans le cœur de Jésus (c'est du roman mais je crois que c'est vrai) cette secrète faille qui petit à petit va s'ouvrir entre la loi, la religion de son pays, celle dont il a tant reçu, celle qui s'est progressivement constituée à travers des siècles, celle de son peuple, et d'autre part ce qui est le contenu, ce qu'il est nécessaire de vivre pour correspondre à la grandeur de l'homme, grandeur qu'il découvre progressive-ment, non pas tellement chez les riches, mais chez les pauvres, chez tous ceux qui sont des marginaux d'une manière ou d'une autre. Jésus découvre précisément une grandeur, les grandeurs humbles que ceux qui possèdent ne connaissent pas. [C’est] le drame intérieur de Jésus, dont je ne connais pas [l’existence] autrement que par ce que je peux concevoir par ma propre expérience.

 Nous autres, chrétiens, nous savons que l'Église n'est pas à la hauteur de sa tâche et que, si nous avons beaucoup reçu d'elle, la meilleure chose que nous pouvons lui apporter c'est de nous apercevoir qu'elle ne nous a pas apporté tout ce qu'il fallait qu'elle nous donne pour que nous soyons à la hauteur des services que nous lui devons pour qu'elle remplisse sa mission. Cette secrète faille, elle va se manifester progressivement. Il va y avoir une lutte secrète auprès des disciples de Jésus, entre Jésus qui les ouvre dans cette direction et le milieu juif avec lequel ils sont encore très solidement solidaires. (…)

Il y a dans toutes les paraboles du royaume cette singulière critique que l'homme est trop grand, que ses possibilités spirituelles sont trop grandes, pour qu'une loi lui suffise pour les mettre en exercice. Dans la parabole des talents, (…) je vois ce serviteur avec ses dix talents dans la main. « Qu'est-ce que je vais faire de cela ? On ne m'a rien dit ». Alors il s'est dit, parce qu'il y avait quelque chose en lui, « Il faut que je les fasse fructifier ». Il les a risqués et il les a fait fructifier. Ce n'est pas par obéissance. C'est par une secrète fidélité à ce qui était en lui et qui était bien préparé par des obéissances qu'il avait connues jadis quand il était serviteur. Mais c'était bien au-delà puisqu'il n'avait jamais eu dix talents. Le seul qui est vraiment honnête est celui qui a dit : « Ce talent ne m'appartient pas. Or ce n'est pas impossible et même c'est très probable qu'il reviendra et le redemandera. Je vais donc le mettre en terre ». Il l'enterre, le talent se rouille. Parce qu'il est parfaitement honnête, il ne l'a pas risqué afin d'être certain de pouvoir le rendre et c'est le seul à se trouver condamné. Avouez que, pour critiquer la loi, on ne peut guère aller plus fort. Toutes les paraboles du royaume sont de ce genre. Nous avons besoin de méditer ces textes. Le spirituel ne se conserve pas au frigidaire. Le spirituel est continuellement à recréer et non pas à répéter.

Le drame de notre Église est qu'elle a été beaucoup plus conservatrice que créatrice. Le drame des chrétiens est qu'ils ont beaucoup plus facilement conservé et observé la loi, la nouvelle loi mais loi tout de même, que cherché à être fidèles grâce à la loi. Il ne s'agit pas de désobéir mais, malgré la loi, d'atteindre le niveau de la fidélité où chacun doit découvrir en lui-même ce que la loi ne peut pas commander mais qu'il doit réaliser personnellement, à ses risques et périls, pour correspondre à tout ce que Dieu veut de lui. C'est la « grande mutation de notre Église ». Quand les chrétiens sauront dépasser l'obéissance, ne pas être d'abord simplement des obéissants, pour atteindre la fidélité grâce à l'obéissance, l'Église sera sauvée car à ce moment-là elle sera digne de la mission que Jésus lui a confiée. (à suivre)

Marcel LÉGAUT Bruxelles 1976
Articles et Conférences Ed. Xavier Huot
Cahier 8, Tome II, pp. 218-219