• Enteteautrespages

Marcel Légaut et le handicap

Suite Edito de mars 2014

Mon enfant au tambour (Mame, 1980, 216 p.)

Quand on a quelque accès au mystère qui est le propre de chaque vie humaine, l’âge n’intervient pas car ce n’est pas tant ce qui a été vécu que comme cela a été vécu qui permet l’approche la plus poussée de celui dont on pressent la réalité singulière. L’enfant et le vieillard réussi, aux deux extrémités de la vie, peuvent être les témoins privilégiés de la grandeur humaine : l’un dans la transparence et la limpidité natives de son être, l’autre, dans cette autre transparence que permet le dépouillement final épousé et cette autre limpidité qu’est la lucidité de l’expérience qu’aucune autodéfense ne veut plus limiter, qu’aucune amertume ne veut plus troubler. Ici, dans ce livre du ressouvenir tout animé de piété paternelle, ce n’est pas seulement l’enfant avec sa jeunesse qui est le centre, mais l’être condamné à être définitivement handicapé qui, au travers de son handicap majeur, même s’il n’en a pas entièrement conscience, manifeste plus qu’un enfant du même âge, comme par réaction vitale, l’extrême et continuelle action en lui dont il est inséparablement le sujet et l’agent.

C’est aussi la famille entière –bien que particulièrement le père et la mère- qui porte ce handicap. Chacun de ses membres, à sa manière, en mesure tout le poids à travers ce qu’il peut en imaginer, en dépit de la santé qui est la sienne. Cette communion exceptionnelle donne à l’enfant handicapé une place à part dans la famille. Il est au centre de l’existence de ses parents, sans que ses frères se sentent cependant pour autant évincés, car il y a aussi beaucoup de demeures dans le cœur d’un père ou d’une mère…

 

Cette situation où tous les membres de la famille collaborent journellement, donne à ce livre un caractère de profondeur sous l’ordinaire du quotidien partagé qui éveillera un écho de la même qualité chez le lecteur qui aura connu aussi, même sous des formes différentes, des circonstances semblables dans sa vie. Ces situations, on ne peut que les porter à longueur d’années souvent nombreuses. Il faut les avoir suffisamment assumées pour les dire sans les blasphémer mais au contraire pour en épouser toute la valeur. Il faut être capable de se les dire à soi avant de les dire aux autres. Mais ainsi en les disant aux autres on est en mesure de mieux se les dire à soi-même.

Dans ce livre il y a encore autre chose d’important. Pour porter le malheur sans en être écrasé, sans s’évader d’une façon ou d’une autre comme trop souvent la société mondaine ou la religiosité viscérale à l’homme le permettent, il est capital de se sentir entouré, compris, dans la discrétion d’une amitié qui à longueur de vie s’est tissée entre les membres d’un groupe qui a fait de la vie personnelle chrétienne de ses membres le centre de son intérêt, la raison même de son existence. Cette communauté au sens précis et exigeant du terme, dont on peut dire qu’elle est de foi par son fondement et son exercice, est de l’ordre de celle que Jésus a recommandée à ses disciples : « Quand deux ou trois d’entre vous… ». Une telle communauté donne à cette famille la force de porter son destin, la lumière pour l’assumer et pour rendre finalement « providentiel » ce qui, au départ, dans sa brutalité inhumaine, n’était que la conséquence inéluctable des lois d’acier du monde de la matière et de la vie.

Marcel Légaut

editosept2014