Francis Bonnefous m'a invité à écrire au sujet de ce qui se passe au Costa Rica avec l'oeuvre de Légaut. Et bien, comme il arrive souvent avec lui (car Légaut est un auteur dont aucune plateforme universitaire ni confessionnelle n'assure la promotion), tout a reposé sur le fait que le cadeau d'un livre à un ami (accompagné de quelques articles des Cuadernos de la diáspora) soit arrivé vraiment à destination. Mais cela a nécessité que le destinataire lise à fond les textes et que ceux-ci conviennent à sa recherche et confirment ses intuitions. Dans le cas contraire, la transmission de ce que Légaut signifie (un renouvellement substantiel de la vie spirituelle) ne se produit pas.
En matière si délicate comme est la vie spirituelle, après le don il n'y a qu'à attendre jusqu'à ce que l'autre accueille (ou pas) ce qui est livré. C'est ce qui s'est produit une année plus tard, quand José Amando Robles m'a envoyé une lettre enthousiaste dans laquelle il me "reprochait" de ne pas lui avoir davantage recommandé Légaut et m'exprimait son étonnement: comment se faisait-il que cet auteur ne soit pas davantage connu, ses oeuvres datant de plus de 35 ans, et traitant beaucoup plus justement de la vie spirituelle que beaucoup d'autres livres et auteurs ?
J'avais fait la connaissance de J. Amando dans un séminaire à l'été de 2006, organisé par le CETR (Centre d'Étude des Traditions Religieuses à Barcelone). Comme simple laïc, j'avais présenté Légaut et Spong, dont les ressemblances et différences m'ont permis de finir en rappellant le premier centenaire de la crise moderniste et de sa répression; fait pratiquement effacé de la mémoire du catholicisme, incluant le milieu académique.
Pendant l'année qui suivit ce séminaire (2007), personne n'eut la même réaction que J. Amando, même si j'avais fait un "cadeau-Légaut" à tous les participants. Seul un d'entre eux s'intéressa non à Légaut mais à Spong, et pas à ses explications bibliques (pour moi, le meilleur de son oeuvre) mais plutôt à son diagnostic "apocalyptique": le christianisme traverse une crise mortelle qui ne se résoudra qu'avec une réforme de la doctrine (croyances et règles morales) pareille à celle du XVIème siècle.
Quant à J. Amando, après avoir découvert Légaut, il voulut le faire connaître en Amérique Latine. C'est pour ça qu'il a écrit à son sujet dans le cadre d'une révision de la théologie de la libération, et qu'il m'a invité, au Costa Rica, en 2008. Depuis lors, j'y vais deux semaines tous les deux ans et j'y anime un séminaire sur différents sujets reliés au "christianisme socratique" et au "socratisme chrétien" de Légaut. Les participants sont les habituels du CEDI (Centre Dominicain de recherche de Heredia): des hommes et des femmes, professionnels et enseignants, résidant dans un rayon de 40 kms, et ne trouvant que là l'occasion d'échanger sur une vie spirituelle non conventionnelle. J. Amando est un sociologue à la retraite, il dirige le programme Maître Eckhart du CEDI. Il a fondé ce Centre avec Jorge Arturo Chaves, directeur du programme Louis-J. Lebret, d'économie humaniste. J'ai donné aussi deux cours à l'École Oecuménique de l'Université Nationale (la seconde du pays). Juan Manuel Fajardo, un autre membre du CEDI, m'a demandé d'y donner à nouveau un cours cet automne.
Et voilà comment des gens d'un autre continent mais finalement d'Occident, avec un passé douloureux et singulier mais pourvus d'une formation moderne, commencent à inclure l'oeuvre de Légaut parmi leurs références capitales. Comme toujours, le réel vient d'une origine infime, dont la base n'est que l'amitié, la recherche personnelle et un certain donquichotisme, comme celui de Jésus et des premières communautés en Israël, et comme celui de M. Portal, de Légaut et des siens en France, au XXème siècle.
Domingo Melero