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La mémoire d’une naissance…

           Décembre n’est pas un temps pour « oublier »,  même certains mots… Dans un monde bouleversé,  se contenter d’être  n’est  pas  la  posture  qui me conviendrait. (Voir QQN, oct. 2017)  Aussi, en guise de vérification,  ai-je  rouvert, à cette date du 9 juillet 1942, [1] le Journal d’Etty Hillesum, souvent relu, médité, partagé, lorsque j’étais en activité  à Marsanne, dans la Drôme… L’extermination des Juifs est enclenchée aux Pays-Bas… A l’arraché,  d’heure en  heure ce jour-là,  Etty note ce qui brûle en elle.  Lucide, elle veut « oublier »  les grands mots consolateurs. Le lendemain, elle  se ravise et se promet, si elle survit à cette époque, d’écrire sur Dieu, la Vie, la Mort, la Souffrance, l’Eternité des « petites histoires sur fond de silence ». Le 12 juillet,  dans une prière  intime, par vingt fois elle s’adresse à « son Dieu »  pour se dire et Lui dire l’immense douleur humaine de ce destin de masse. Que sait-elle de Dieu ? Est-ce important ?   Quelques semaines plus tard,  dans  le camp de transit vers Auschwitz,  elle se donne pour mission d’être « un baume versé sur tant de plaies » et même, « le cœur pensant de la baraque ». Ainsi nous livre-t-elle   sur  la Vie, la Souffrance, la  Mort, l’Eternité,  et sur sa relation à « son Dieu » des paroles inoubliables.  Elle avait 28 ans.

J’ai ouvert alors un autre livre, la   Méditation d’un chrétien du XXe siècle , que Légaut, au soir de sa longue vie nous a léguée  comme une sorte de  5e évangile, le sien. Trois chapitres en forment le Prologue :  le premier — Itinéraire — témoigne de l’émergence d’une mission,  celle de son auteur ; le troisième s’adresse à une femme, Marie, — Notre Dame de l’Espérance — , la mère de Jésus,  « vous qui fûtes, écrit Légaut, au commencement de celui avec qui s’acheva votre accomplissement. »  Entre ces deux « commencements », l’auteur insère et déploie comme  le centre d’un  triptyque,  la solennelle Méditation pour une veillée de Noël .  Elle  situe les deux commencements – celui de l’émergence d’une mission et celui de l’attente d’une naissance — sur l’horizon immense, immémorial, de l’univers.   En levant le voile familier de nos évidences et de nos traditions, fussent-elles des plus  vénérables, Légaut en appelle à une foi adulte.  Avec une sobre justesse,  il pointe le but à poursuivre :  « se donner une représentation de Dieu  et atteindre à une intelligence de Jésus  qui  [… ]   soient plus proches de la vérité  que celles du passé. »

 Ceci nécessitera toujours des choix harmonisés entre, d’une part la « recherche » visant à l’acquisition d’un « savoir » multiforme et, d’autre part, la « quête spirituelle » proprement dite, qui sera toujours singulière. Première évoquée,  la quête spirituelle  fait l’objet d’une prière  à Jésus.

 « O l’homme attendu de tant de manières erronées et pourtant justement espéré, improbable au point d’être incroyable et pourtant,   quand vous êtes  apparu,  cru de foi, même si  fatalement vous  fûtes et vous êtes encore méconnu. Montrez-vous à nous dans le secret du cœur, là où fondamentalement nous sommes des hommes, et plus précisément nous-mêmes, dans l’essentiel de notre propre réalité… » [2]

Cependant,  la « recherche », — en sciences humaines, notamment, mais pas uniquement — fait peu après de la part de Légaut, chrétien de la modernité,  l’objet d’une  véritable injonction. Il FAUT, insiste-t-il  en finale  de sa méditation,  faire nôtre ce passé,  jusque dans la préhistoire de notre terre et dans le développement des Mondes, il nous faut l’habiter, y prendre notre place, si minuscule soit-elle, si infime, mais singulière. Il faut…s’affronter à la taille du Cosmos et,  dans ces conditions,  cultiver le souvenir vivant de Jésus, la présence de lui en nous, de nous en lui...

Je connais des amis qui, en cette veille de Noël, dans le silence de leur maison, relisaient en couple  ce chapitre 2,  attentifs  à l’écho pour eux-mêmes de cette prière à Jésus.  Et conscients pour eux-mêmes  de  cette injonction  de Légaut, l’éveilleur. 

Thérèse

[1]  Les écrits d’Etty Hillesum et les Lettres de Westerbork,  édition intégrale, Seuil 2008.

[2]   Méditation d’un chrétien du XXe siècle, p. 49