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POURQUOI ECRIRE ?

           

On lit plus qu’on pense. Parce que lire dispense de penser, on lit beaucoup, de sorte qu’on pense peu. Lorsqu’on écrit beaucoup on est conduit insensiblement à répéter ce qu’on a déjà écrit, répétition qui n’est qu’une dilution de ce qui a été pensé de façon plénière dans le passé, de ce qui a été vécu avant d’être dit. Qui s’arrête de lire une page pour sentir monter en lui l’écho de ce qu’il vient de lire ? Qui reprend telle page une autre fois pour en goûter de nouveau – et ce sera de nouvelle manière – la vérité, directe, imperturbable, qui va plus loin que ce qui est exposé, que ce qu’on en comprend, si bien qu’on ne sait où elle vous conduira si on y correspond dans sa vie, qu’on en a peur tout en n’ignorant pas au fond de soi que si on ne va pas là où elle commence à appeler d’aller, la vie n’est plus que vasque, vide de n’être remplie que de ce qui y a pris place, parce qu’on l’a reçu sans le savoir ou qu’on l’y a mis pour s’occuper, en accumulant ses lectures.

Mais alors, pourquoi écrire, ce qui est vraiment écrire, puisque nul ne lit, ce qui est vraiment lire ? Pour mieux penser. Oui. Mais ne pense pas à toute heure l’homme qui pense. Mais penser, c’est souvent remettre en question ce qu’on a jadis pensé. Et jusqu’où cela va-t-il aller. Que nous restera-t-il à la fin si tout sans cesse se remet en question ? L’énergie même qui nous fait penser. Cette nécessité à laquelle nous nous sommes soumis au lieu de nous dérober. Cette foi qui n’est pas la foi qui se prêche, ou qu’on impose, ou qu’on pose a priori ne pas devoir être pensée. Cette « foi » qui me prend la vie jusqu’à me dépouiller de tout ce avec quoi j’ai cru vivre, de ce à partir de quoi j’ai commencé à vivre. Me restera-t-elle, elle qui sans cesse me file des doigts ? Ce souffle me restera-t-il jusqu’à mon dernier soupir ? L’accompagnera-t-il jusqu’à lui succéder ? S’il n’en était rien, rien ne serait de ce que je suis. Mais ma manière même d’instinctivement, de vitalement m’échapper à cette réalité ultime qui nie en moi toute réalité, m’affirme que, ne serais-je que cela, le sens de ma vie est de découvrir qu’elle n’en a pas.

            Haut sommet de l’humain, il a donné le vertige aux plus grands. Et de loin, mieux encore en Orient qu’en Occident, il a été le phare pour nombre de vies parmi les plus profondes qui se sont dépouillées de ce qu’elles avaient de plus humain pour être dignes de ne plus être, c’est-à-dire de se dégager du cycle sans cesse repris des « renaissances ». Renoncement qui, paradoxalement, aide à vivre ceux dont la vie est encombrée, il est un sommet qu’il faut encore dépasser car il fait entrer

 Vie spirituelle et modernité – Marcel Légaut

Entretiens ultimes avec Thérèse De Scott p247