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Les topos  des Granges de Lesches  durant les étés 1958 à 1961

ToposDesGranges

Notre ami Xavier Huot, qui depuis des années engrange la mémoire sans fond (!) des conférences de Marcel Légaut  avec une patience et une minutie de bénédictin, vient de publier «  Les topos des Granges de Lesches des années 1958 à 1961 ». Il y en a une quarantaine. La suite est en chantier. Ils ont été prononcés par Légaut durant les périodes d’été où ses « camarades », hommes et femmes, montaient aux Granges pour  se ressourcer mutuellement dans l’ambiance communautaire qu’ils avaient créée avant la guerre. L’été n’était pas la saison où Légaut était le plus disponible pour partager avec ses amis  à cause du travail harassant qui lui mangeait ses journées. Toutefois les dimanches après-midi et les jours de pluie, il se rendait disponible. Il choisissait les sujets de ses topos ou il répondait aux demandes de ses camarades. Au cours des mois de juillet et août, il  faisait de huit à dix topos suivis d’échanges. Légaut n’était pas seul à prendre  la parole au cours des semaines. C’est dire l’intense fermentation spirituelle qui régnait à l’époque dans ce bout du monde de la Drôme.  On réfléchissait sur tous les sujets, on discutait,  on interrogeait, on objectait. Ce dont Légaut parlait était le résultat de sa réflexion et de sa méditation personnelle durant l’automne, l’hiver et le printemps.

 La lecture de ces topos de Légaut m’a beaucoup passionné et impressionné. Pour avoir lu à partir de 1970, début de la parution de ses trois grands livres, non seulement ces ouvrages mais les suivants où il a sans cesse décliné et approfondi les contenus jusqu’à sa mort en 1990,  j’ai été heureux de trouver dans ses topos de 1958 à 1961 sa pensée future en gestation et mûrissement. En ces années, quinze à vingt ans après son enracinement aux Granges, il est arrivé à une maturation humaine et spirituelle exceptionnelle, fruit d’un long cheminement mais qui s’est activée depuis 1940 dans le désert et la solitude des Granges. C’est dans ce creuset que s’est élaborée ce qu’il appelait sa trilogie, parue de 1970 à 1974 : « L’homme à la recherche de son humanité », « Introduction à l’intelligence du passé et de l’avenir du Christianisme », « Mutation de l’Eglise et conversion personnelle ».

 Dans ses topos, dix ans avant la publication de ces ouvrages majeurs,  on trouve déjà les lignes de force de sa démarche ainsi que le vocabulaire singulier qu’il emploie pour la désigner.  Apparaissent et sont même déjà bien affermies les notions suivantes qui sont comme l’ossature de sa pensée :   foi en soi et carence d’être,  général et universel, prise en charge personnelle de sa propre existence,  activité créatrice base de l’appropriation de son vécu, importance de la fidélité,  prise  de conscience de sa grandeur humaine, nécessité de la relecture de sa vie pour en découvrir le sens,  le prochain, paternité et filiation spirituelle, mission et fonction, réflexion sur l’échec,  distinction entre faute et péché, foi et idéologie, inspiration et révélation,  l’importance de la recherche et du questionnement permanents sans tabou ni  a priori,  sa mort à vivre comme le sceau posé sur son existence en maturation permanente, Dieu comme présence intérieure, la prière comme activité écoutante, Jésus à découvrir par ce que l’on perçoit de son humanité et non à partir de doctrines dogmatiques,  religion d’autorité et religion d’appel, la communauté de foi, l’essentiel et l’indispensable, l’accomplissement spirituel...

 Quand je pense aux conditions de vie difficile dans lesquelles  sa pensée s’est forgée à partir  de l’expérience intérieure qu’il vivait en profondeur et du regard de lucidité qu’il portait sur les évolutions de la société et de l’Eglise,  je vois mieux que Légaut avait une stature hors du commun pour avoir creusé son sillon avec une liberté et une fidélité qui ne s’est jamais démentie, même aux heures incertaines.

 Tout être humain qui a suffisamment vécu  s’interroge sur ses racines pour découvrir  les terres dans lesquelles sa vie a surgi et s’est enracinée. Cela vaut pour ses racines familiales et éducatives, autant que pour les racines de sa vie spirituelle. En nous mettant entre les mains la réflexion vivante de l’homme et du chrétien Légaut des années 1958-1961, Xavier Huot nous plonge dans le terreau spirituel d’où est sortie son oeuvre.  Il a fallu à celui qui a été et demeure notre père spirituel et celui de  dizaines de milliers de personnes une très longue maturation  intime. Fils spirituel de cet homme,  j’en  suis très ému.  C’est pour moi un stimulant : l’aventure spirituelle de chacun  est un mouvement  sans fin d’humanisation à travers situations et événements qu’il traverse, quels qu’ils soient. C’est aussi un encouragement : au fur et à mesure que les années passent, celui qui  s’efforce comme Légaut de s’approprier son vécu pour devenir lui-même expérimente qu’il a trouvé sa voie propre. Merci infiniment , Marcel Légaut, de nous montrer le chemin.

 

 Jacques Musset

 

Ce cahier peut être commandé au secrétariet de l'ACML : Françoise Servigne, 407, avenue de la Libération, 77350 - Le Mee-sur-Seine tél 01.60.68 49 91 ou 06 62 57 65 11 Prix 15 euros