Quand quelqu'un a été suffisamment fidèle à ce qu'il devait être, il est intelligent de la fidélité de l'autre, même si l'autre, grâce à sa fidélité, se comporte de façon tout à fait différente de lui. Cette intelligence secrète entre deux êtres suffisamment fidèles est capitale, car c'est le fondement de la communion au niveau de l'existence. Ces deux être découvrent, sans l'avoir voulu, que ce qu'ils ont chacun vécu [intérieurement] quoique de façon différente, l'autre l'a vécu pour l'essentiel de la même manière.
Nous avons là comme une manière d'extérioriser en l'autre la réalité secrète que nous avons vécue au fond de nous-mêmes, de sorte que, en le découvrant en l'autre, nous le comprenons mieux en nous -mêmes. De ce fait, nous nous révélons mutuellement, non plus simplement l'aveu que nous pouvons nous faire de l'amitié et de l'amour, mais l'aveu que nous pouvons nous faire de l'essentiel que nous avons vécu, cette sorte de secret intime qui ne se communique pas mais qui, cependant à certaines heures, devient non pas un jardin public, mais un jardin où, dans une certaine mesure, deux êtres peuvent se reconnaître. (1)
Il n'y a pas de vie spirituelle qui, d'une manière ou d'une autre, n'ait l'occasion de rencontrer ce niveau. Il y a trois aspects, souvent très entremêlés, qui peuvent se présenter dans beaucoup de vies. Plus la communion s'approfondit, plus on s'approche de l'essentiel.
Premier aspect : Deux jeunes. Ils n'ont pas de passé, mais ils peuvent avoir une préconscience de ce qu'ils ont à vivre pour avoir une vie qui mérite d'être vécue. Lorsque la communion de vie atteint ce niveau, nous atteignons la communion au niveau de l'existence. Ce que nous deviendrons sera très différent de ce que nous avions pensé devoir devenir. Mais au niveau de l'existence, on découvrira plus tard, avec étonnement et admiration, que l'essentiel que nous rêvions de vivre à travers des formes qui n'ont pas été vécues se trouve avoir été vécu à travers des formes autres, sans que nous le sachions.
Deuxième aspect : Lorsqu'on rencontre un ancien de notre famille spirituelle. Sans que nous le sachions (mais nous en avons une certaine intuition) nous recevons de lui une lumière sur ce que nous avons à être qui dépasse de beaucoup ce que nos simples réflexions ou ce que notre milieu pourraient nous apporter. [Ce doit être] un ancien suffisamment dans notre ligne, que nous savons suffisamment accueillir pour qu'il soit vraiment révélateur - par ce qu'il est, au-delà même de ce qu'il dit et de ce qu'il fait - de ce que nous mêmes nous avons à vivre. J'appelle cela "filiation - paternité spirituelle".
Dans cette relation de l'ancien avec le jeune, le jeune reçoit beaucoup, mais je ne sais pas si l'ancien ne reçoit pas davantage. Il retrouve sa jeunesse, il redécouvre l'essentiel de ce qu'il a vécu. C'est une prise de conscience presque directe du mystère que chacun d'entre nous constitue et de l'être mystérieux qui se développe en nous au-delà de la conscience que nous en avons, de sorte que le père se retrouve dans le fils et cela le rajeunit tout en lui donnant conscience de sa réalité - et le fils, dans une certaine mesure, reçoit la révélation de ce qu'il à advenir.
Troisième aspect : l'amitié spirituelle, deux être adultes sur leur chemin se rencontrent sur l'essentiel. Ce peut être une rencontre d'une heure. Elle est essentielle pour leur développement.
(1) Tout ceci est important parce que je suis en train de frôler le christianisme. Lorsque je découvrirai à propos de Jésus ce qu'il a vécu humainement, qu'il ne sera plus pour moi simplement le rédempteur, le sauveur, la deuxième personne de la Trinité, mais l'homme qui a vécu une vie humaine, dans la mesure où j'arriverai à la reconnaître à partir des très petites connaissances que je peux avoir de lui et reconnaître son charisme fondamental, sa transcendance, son universalité, je peux découvrir en lui quelque chose que j'ai vécu moi-même et, grâce à ce que je comprends de lui, je comprends mieux ce que j'ai à vivre. La vie spirituelle, quand elle est marquée par cette présence de Jésus dont je vous parle, est essentiellement chrétienne.
Marcel LEGAUT St-Hughes -de - Biviers nov. 1980 (suite n°4 et fin)