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Pourquoi je suis resté catholique ? (suite 4)

Le pharisaïsme que Jésus critique, ce n'est pas le pharisaïsme d'un hypocrite, c'est la suffisance d'un bon chrétien (en transposant) qui se contente, qui se protège, qui se contente d'observer la loi et les praques pour se protéger des exigences qui montent en lui mais qui vont beaucoup plus loin que cette sorte de pratique. Donc chez lui déjà il y a une transformation et c‘est à ce point qu'après avoir critiqué, n'ayant aucun titre universitaire devant les scribes et les docteurs de son temps, prenant des positions de plus en plus brutales à mesure que la polémique se faisait de plus en plus violente, sa position est devenue impossible. C'est pourquoi il a été rejeté.

Revenons sur son itinéraire... D'une piété héréditaire, héritire de la vigueur spirituelle du passé, et quel passé, celui d'Israël, par un travail intérieur où Dieu est très présent, (comme ça peut être un travail intérieur pour chacun d'entre nous mais à une échelle différente, la sienne, la nôtre), critiquant grâce à la ferveur qu'il avait reçue de son passé l'héritage d'Israël pour le dépasser. C'est ainsi que son message est pour nous quelque chose de semblable. Nous avons à hériter du passé pleinement et, grâce à la vigueur que nous recevons de ce passé, nous avons à le criquer à la lumière des nécessités, des exigences de notre époque. Et c’est ainsi que, le critiquant, nous serons en mesure (dans quelle mesure je n’ose pas le préciser) de permettre à l’Eglise de progresser.

L'Église ne peut pas donner ce que nous sommes en mesure de lui proposer. Elle ne peut tout au plus que le refuser et c'est alors, la grande chose spéciale, dans la mesure où l'Église ne peut pas l'accepter, elle persécutera celui qui lui apporte. Et c'est peut-être à travers cette persécution qu'elle recevra le message qui lui permettra de se développer et de retrouver dans les temps qui viennent le souffle de la vieillesse.

La grande idée de Jésus, me semble-t-il, c'est d'être essentiellement fidèle au passé et d'être suffisamment de son temps pour permettre une lumière nouvelle, 

quelque chose de valable pour notre génération. Il faut que nous la critiquions mais, grâce à cette critique et à cause de cette critique, nous devenions singuliers. Une société lorsqu'elle est bien prospère n'accepte pas la singularité de ses membres. Donc nous serons marginalisés, persécutés quelquefois, mais nous portons la fécondité de la société. Comme la société dure et que l'individu passe, cet individu sera vaincu, il aura échoué dans sa mission mais, en échouant dans sa mission, grâce à la fidélité fondamentale qui l'a conduit à cela, il ouvre la porte de la fécondité, le fruit de sa fidélité. C'est de cette manière que l'Église peut se propager dans son milieu sans perdre trop la percussion spirituelle qui en est à l'origine. Cela ne se dit pas dans les Eglises mais c’est continuellement dans l'Ecriture.

Nos ancêtres, les Juifs d'Israël, n'ont jamais compris eurs prophètes qu'après les avoir tués parce que ces prophètes, en se singularisant par rapport au milieu dans lequel ils se trouvaient se trouvaient marginalisés d'une façon ou d'une autre et on les faisait disparaître. C'est après que cette mission se continue malgré qu'il est extrêmement visible qu'elle va échouer, cela montre bien qu'elle est la conséquence non pas d'un projet qu'on s'est donné à l'avance et dont on attend la réussite, c'est la conséquence d'une fidélité à des exigences intérieures qui, à mesure qu'elles s'accentuent, nous font découvrir de plus en plus que ce à quoi nous nous sommes consacrés est nécessairement un échec car c'est, à travers cet échec et grâce à cet échec, qu’elle aura sa fécondité, c’est-à-dire qu’elle est le fruit d’une fidélité fondamentale.

Voilà me semble-t-il des choses très importantes pour notre temps. L'Église vit de la fidélité, du sacrifice de fidélité de ses membres les plus vivants. Et n'allez pas les chercher trop loin, ils sont à la base et il est rare qu'ils soient à la tête. Quand ils sont à la tête, on les descend assez vite parce qu’on les refuse un peu plus vite.

Marcel LEGAUT, Le Seuil, Belgique (février 1989)