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Pourquoi je suis resté catholique ? (suite 5)

La grâce d'un simple laïc, c'est de pouvoir dire des choses qu'un évêque ne peut pas dire. La grâce d'un simple laïc, c'est d'être libre et c'est notre devoir d'être libre. Notre devoir n'est pas d'être simplement obéissant et silencieux, notre devoir c'est d'être libre ; et si la mission nous en est donnée par les exigences intérieures qui montent en nous, non seulement il faut être libre silencieusement, il faut être libre en agissant. Et c'est grâce à ce#e fidélité profonde que celui qui en est le sujet, découvre progressivement une vie spirituelle sans proportion avec la vie de simple moralité qu'il aurait observée s'il avait été simplement un pratiquant.

C'est grâce à ça que l'Église survit. Elle a survécu grâce à ces êtres singuliers qui devraient être beaucoup plus nombreux car malgré tout, en ce moment, les laïcs sont tout de même plus nombreux que les corps ecclésiastiques. Cela va changer si ça continue. C'est grâce à ça que l'Église progresse, malgré la lourdeur de ses structures, malgré la pauvreté de ses membres.

La pauvreté de ses membres ! Voyez-vous, à mesure que l'Église se referme sur elle-même, elle fait comme a fait le judaïsme après la chute du temple. Les Pharisiens, maîtres de la synagogue, pour donner à Israël une consistance nouvelle puisque le temple était effondré et les Sadducéens en même temps, ont chassé toutes les sectes. En même temps, ils se sont refermés sur eux- mêmes, ils sont devenus eux-mêmes une secte. Chez nous, c'est la même chose dans une certaine mesure, il faut le dire. Les gens trop vivants qui n'ont pas compris qu'il fallait rester dans l'Église et qui en sont sortis. La pauvre Église, elle est vivante, très vivante dans son isolement. Ces gens ne sont pas dans l'Église et n'ont aucune envie d'y entrer. Le résultat, il faut le dire, nous sommes des lieux de médiocrité avec beaucoup de talents, beaucoup d'uniforme. Cela se voit.

Permettez, puisque vous semblez m'écouter, je vous dirai quelque chose d'un peu pénible : est-il pensable qu'un conclave, c'est-à-dire des gens, des cardinaux, qui se sont donnés à Dieu vraiment, qui ont vécu dans leur Église, qui ont réfléchi sur les destinées de l'Église, qui au début quand ils se sont rassemblés, avaient chacun, de par leur passé, leur expérience pastorale, une idée sur ce que devrait être l'Église, donc quelque chose d'assez précis, est-il pensable qu'un tel conclave, en moins d'un mois, ait changé radicalement les perspectives qu'ils avaient sur l'Église ?

D'un Pape, Jean-Paul I qui était évidemment ouvert, nous sommes passés, un mois et demi après, à Jean-Paul II qui était évidemment fermé. Jean-Paul II, quand il était évêque, fut un des rares évêques qui étaient tout à fait favorables à Humanae vitae, un des points les plus délicats de notre époque. Il est tout à fait naturel qu'il soit encore vigoureusement opposé [à toute modification de la doctrine], malgré toutes les polémiques qu'on peut faire naître actuellement autour de la morale sexuelle, de la bioéthique. Est-il pensable par exemple qu'une chambre des députés française change tout de même de politique en un mois, surtout avec la nécessité d'une majorité comme celle que le conclave doit rassembler pour faire une élection.

Voilà mon opinion ! Vous en ferez ce que vous voudrez. Ces gens-là n'ont pas été des pasteurs. Ils peuvent être localement parlant avec des idées suffisamment élevées, générales, voyant les choses de loin. Il ne suffit pas d'avoir suivi la promotion, surtout que trop fréquemment ce#e promotion est faite pour ceux qui sont suffisamment moyens pour ne pas porter ombre à ceux qui sont déjà en place. Tout cela, il faut le dire. Et au fond nécessairement le faire.

Nous restons catholiques, malgré cela, à cause de Jésus, parce que Jésus lui-même de son côté, de son temps, pouvait voir ce que les Sadducéens faisaient, la manière dont ils se comportaient, la manière dont ils se suffisaient, et il en est mort. Nous avons à en vivre d'une façon consciente et dans la mesure où nous y sommes appelés, nous y consacrer et éviter de partir, rester, et si jamais on vous chassait, - on ne chasse pas un vieux pieux - si vraiment on nous chassait, on resterait de l'autre côté de la porte, tout à fait contre la porte, à l'intérieur. On se mettra un petit peu dehors et c'est là qu'il y a le plus de courant d'air. Sur le seuil.

Marcel LEGAUT, Le Seuil, Belgique (février 1989)