Pourquoi je suis resté catholique ? (suite 7)
Pour nous autres, dans notre société occidentale, nous allons tout droit vers une situation de diaspora, c'est-à- dire qu'il y aura des chrétiens partout et qu'ils seront partout en minorité. Pour le moment, nous avons des structures, des paroisses. Ces paroisses, d'une part, ne correspondent plus, à cause de leur population, de l'hétérogénéité de leur population, à une formation spirituelle véritable. Donc d'une certaine manière, elles sont à adapter déjà. On pourrait les adapter, comme on essaie de le faire d'ailleurs, par des petits groupes qui s'efforcent, étant suffisamment homogènes, d'avoir les mêmes besoins et les mêmes possibilités. D'autre part, dans nos campagnes, nous avons une situation où il est impossible d'avoir véritablement quelque chose qui ressemble à une paroisse. C'est ce que les sectes font en ce moment. En France, elles gagnent beaucoup de terrain, c'est parce qu’elles savent s'adapter immédiatement à la situation de diaspora où elles se trouvent. Ce sont des minorités infimes mais là où 5 ou 6 se rassemblent, et ce n'est pas tous les dimanches, ils se rassemblent de temps en temps, et en plus dans une certaine région il y a un rassemblement général, une fois ou deux dans l'année, où les gens prennent un peu conscience de l'importance de leur réalité spirituelle. Pour ma part, il faut que ces choses-là naissent dans notre Église.
Mais c'est comme si tout ce qui se fait en dehors des paroisses n'existe pas. Jusqu'à présent, ça ne nous a pas gênés. Actuellement, faut-il maintenir des coutumes et comportements qui ne correspondent pas à la situation, aux traditions de l'endroit d'où l'on est ? Donc, si l'Église veut être universelle, il faut qu'elle s'a5ache tout particulièrement à ce qu'il y ait dans ce culte ou dans sa morale ce qui peut être vécu authentiquement par des gens de milieux tout à fait différents, des peuples différents, ceci est important.
Prenons un exemple concret. Il y a quelques années, un évêque en Afrique, dans son parcours pastoral, avait oublié le pain et le vin et il a consacré avec les aliments du pays. Il a été évidemment dénoncé. Paul VI n'a pas voulu le recevoir et l'a obligé à être simplement curé de campagne. Je pense que Paul VI était extrêmement angoissé. Je suis même à peu près convaincu que Paul VI comprenait très bien que ce n'était pas le pain et le vin qui étaient importants, c'était le geste que l'on pouvait faire et la manière de ra5acher ce geste, ce5e
cérémonie, à ce qui s'était passé au dernier soir. Et combien d'autres exemples on pourrait donner de ce5e manière. Relativiser ce qui n'est pas possible d'être universel. Cela ne veut pas dire qu'on ne le fait pas, ça veut dire qu'on ne lui donne pas ce caractère absolu qui dans une certaine mesure nous enferme dans notre propre ésotérisme. Quand nos missionnaires pour avoir du vin et du pain dans leur mission, prennent du raisin sec, le me5ent dans de l'eau pour faire du vin. Pour sûr, c'est ridicule, c'est tout de même une pratique qui est certaine.
Je vais vous donner encore un autre exemple encore plus piquant et qui est à la télévision, ce5e fois-ci. Lors d'un des derniers voyages qu'a fait Jean-Paul II, en France, il célébrait la messe, il s'est aperçu qu'il n'y avait pas de vin dans le calice. En homme intelligent, il a fait semblant de boire. Vous voyez le bouleversement si la télévision avait dû aller chercher du vin. Il a eu raison. Il ne faut pas prendre les choses à la le5re à tel point que d'une certaine façon on gâche tout pour faire ce qui doit être fait. Ce que Jean-Paul a fait, c'est très bien. Mais dans une certaine mesure, nous avons chacun à notre dimension aux heures où nous avons nous-mêmes à prendre des initiatives parce que c'est à nous de les prendre et non pas aux autres, avoir une liberté de ce genre.
Un vieux laïc, comme je vous le disais tout à l'heure, c'est sa mission d'être un homme libre. Il y a mille manières d'abuser de la liberté mais il y a une manière d'être vivant. On n'est pas enfermé par l'obéissance. Il n'y a pas de possibilité créatrice qui parte d'une simple docilité, qui parte d'une crédulité. Il y a quelque chose en nous qui doit être nouveau par le fait même de notre fidélité car nous sommes dans un siècle différent du siècle où ont été élaborées règles et doctrines. Je crois que les gens qui vivent comme je peux vous le dire vivent de l'Église et dans la mesure où ils vivent de l'Église, ils en souffrent. Et c'est grâce à ce5e souffrance qu'ils ont dans leur vie une possibilité de fécondité qui permet à l'Église de cheminer malgré le lourd manteau qu'elle traîne après 20 siècles de christianisme. Ma mère et ma croix ! Ma mère parce que je l'ai reçue, la croix.
Marcel LEGAUT Le Seuil, Belgique (février 1989)