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Pour aimer...

Il y a quelques mois, suite à une invitation, j’avais pensé proposer pour Quelques Nouvelles un texte de Philippe Mac Leod qui commençait ainsi : « Il faut être seul pour aimer...» mais devant ce(e affirmation déroutante, j’avais renoncé, alors que dans la suite du texte l’auteur développait (poétiquement) son propos, et celui-ci apparaissait bien moins paradoxal qu’il n’y semblait au premier abord. Quels aléas ce texte aurait-t-il rencontré en chemin, le tout est qu’il n’est donc jamais paru. Résignation, puis oubli ont été mon lot. À moins qu’une interrogation latente sur le sort de ce qui « disparaît » avant de voir le jour, ou avant que quelque chose ne vienne au jour, peut-être, n’ait sous-tendu ma méditation, ou ne m’ait « travaillée » en arrière-plan... ?

En effet, la question plus large ou « profonde » des soubassements de toute entreprise humaine un peu conséquente était un fil que je m’étais donné... pour cet édito de mai... Qui n’a jamais flâné, simple passant dans une rue de sa ville, guettant aux abords d’une palissade bien fermée aux regards, clôturant un terrain, pour tenter d’apercevoir quand même et avant l’heure quelque aspect de l’édifice à venir, promis par l’affichage, bien avant de savoir ce qu’il « donnerait » dans le paysage jusque là familier de son quartier, et comment il le transformerait ultérieurement ?

Car - nous savons bien mais il nous faut vérifier quand même de temps à autre parce que ça ne se voit pas - à tout édifice il faut des bases solides, des fondations porteuses puissantes sous les murs eux-mêmes (ou les piliers des cathédrales), fondations calculées à partir d’une connaissance très ajustée du terrain sur lequel elles vont s’appuyer, puis un travail de déblaiement, de forage, de soutènement, etc, pour installer ensuite un « sous-œuvre » (je ne sais pas si c’est le mot juste) indispensable, long à aménager, et qui deviendra parfaitement invisible une fois l’édifice lui-même achevé...

À ce moment de ma « déambulation » mentale devant ce(e palissade, mes lectures m’ont amenée à un livre de Thomas Merton, dont la traduction française est « Nul n’est une île », livre paru dans les années 50, donc possiblement venu à la connaissance de Marcel Légaut, me disais-je. Durant ces moments de lecture personnelle, un peu « perlée », ou en survol, des mots m’ont fait comme « signe », et la démarche de Marcel Légaut m’a été très présente, j’allais jusqu’à l’imaginer lisant ce livre, ou le parcourant, ou lisant certains passages préférentiellement, un peu comme je fais actuellement peut-être, puis reprenant ensuite quelques idées ou formulations à son compte, ou plus probablement s’appuyant sur certains propos de l’auteur pour les « prolonger » alors dans une perspective que nous pourrions nommer « légautienne » et qui se dégagerait peu à peu...

Je voyais là possiblement des bases et des soubassements profonds d’une pensée s’appuyant sur une autre et s’élevant seule à partir de celle-ci...

Alors, j’ai retrouvé, sans l’avoir cherché, le thème « perdu » de la solitude, dans les réflexions de Thomas Merton vers la fin de son livre, dans un chapitre consacré au « Recueillement » (tiens donc!). L’auteur y évoque entre autres propos la « solitude de Dieu » que nous pourrions découvrir quand nous nous recueillons : nous pourrions dans notre recueillement peut-être découvrir « l’infinie solitude de Dieu en nous », dit Merton, qui nous met en garde: si nous ne pouvons entrer dans cette expérience nous ne pourrons rencontrer véritablement les autres... Je ne sais pour vous qui me lisez, mais pour moi, je n’avais jamais pensé à cela : la solitude de Dieu, et encore moins à l’infini de cette solitude, qui est son ouverture radicale... Ma solitude, ainsi que celle des autres certes je les pense, mais celle d’un dieu ? alors qu’en le disant maintenant, cela peut paraître évident. Et l’expérience de cette solitude nous ouvrirait « l’amitié invisible de Dieu ». Quelle belle base !

Mais que disait donc Philippe Mac Leod au fait ? « Il faut être seul pour aimer. Seul avec la terre et le ciel. Avec ce qui tient tout ensemble. Avec les soirs qui tombent. Les soirs lents et profonds qui font le monde si large autour de nous... »

Anne Seval