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On savait, mais quoi ? La pédophilie dans l’Église, de la Révolution à nos jours

Claude Langlois insiste à juste titre dans son livre On savait, mais quoi ? La pédophilie dans l’Église, de la Révolution à nos jours1, en France sur l’extrême importance du temps long qui permet de situer un événement dans la chaîne du temps. Ce qui amène l’auteur, à partir de la Révolution, avec le mariage des prêtres (un quart du clergé constitutionnel) et leur retour au culte pour les veufs ou les séparés après celle-ci. Il pose également deux préliminaires qui sont liés, en fait, à une double impossibilité pour l’Église (impossibilité d’accepter l’homosexualité et impossibilité de distinguer, de celle-ci, la pédophilie et ses ravages à hauteur de vie pour les victimes) :

• la complexité de la vie sexuelle et de ses conséquences, notamment l’avortement ;

• la question de l’ouverture des archives de l’Église, pour le Vatican actuellement ouverte pour le pontificat de Pie XII (décédé en 1958) et, pour les archives diocésaines, une gestion différenciée selon les évêchés.

En élargissant son enquête, Claude Langlois reconstitue une première partie, une « préhistoire » des crimes pédophiles dans l’Église, de la Révolution à 1945, avec notamment le tableau ci-après (p. 78) des « cas douloureux, entre départ et maintien, de 1900 à 1960 » : 

 

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Que font les différents membres de l’institution ? Dès que la relation avec le sexe féminin est stable (mariage, concubinage), le prêtre qui)e l’Église. S’il « fornique » ou pratique l’homosexualité, il reste ; cette dernière situation étant proportionnellement la plus importante par rapport au total (157 cas sur 759, soit 20 %). Par ailleurs, le combat entre congrégations enseignantes et enseignants laïques se retrouvent dans les années 1900 autour de la question de la pédophilie, l’ogre trouvant dans les élèves de la chair fraîche.

Une seconde partie, la « protohistoire », de 1950 à 1990 englobe la période 1960-1970 qui enregistre un départ massif de prêtres (2.500 en France) : « Rome donne l’impression d’avoir choisi une sécularisation régulée pour mieux empêcher toute revendication qui modifierait la discipline pluriséculaire du célibat » (p. 103). Certes, le Secours sacerdotal, puis l’Entraide sacerdotale comme la maison du divin Paraclet prennent partie des « cas douloureux », en écartant explicitement la psychanalyse freudienne (Beinaert sollicité par Marie-Thérèse Perrin, Marc Oraison, Marcel Eck) avec la montée de Tony Anatrella. Les dates importantes sont connues : 1956, Uruffe dont le curé assassine sa jeune maîtresse et son enfant ; 1967, la contraception et la loi Neuwirth ; 1968, l’encyclique Humanæ vitae ; 1975, la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse. Un monde s’écroule.

À la fin des années 90, la pédophilie cléricale, longtemps ignorée ou mêlée, émerge et est mise sur la place publique, avec notamment les études de Marie-Jo Thiel ou l’affaire Pican (mis en examen pour non-dénonciation sur plainte de quatre familles, condamné en 2001 à trois mois de prison avec sursis), couvert par Rome et applaudi par ses collègues évêques.

Après une période de « léthargie », le foyer lyonnais vient à la lumière en 2015 en même temps que l’affaire des Frères et Sœur de Saint-Jean. Très vite l’affaire Preynat devient l’affaire Barbarin avec, notamment, un collectif, La Parole libérée. L’étude de Frédéric Martel (Sodoma), le film de François Ozon (Grâce à Dieu), en juin 2019, la naissance de la Commission Sauvé (CIASE et la question de la pédophilie dans l’Église, en France, fait des « unes » de la presse. Alors qu’aux États-Unis, les premières associations de victimes sont nées en 1987 et 1992.

Une Église maîtresse d’humanité ? Comme Jean-Louis Schlegel (« Le naufrage moral de l’Église », Esprit, novembre 2021), Claude Langlois constatait : « Ne nous y trompons pas, les victimes, dont il a été si peu question dans le passé, sont bien là et interrogent un système qui a permis un fonctionnement criminel ».

Dominique LERCH

(1) Paris, Seuil, 2020, 236 p