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Rencontre avec Jésus-Christ (4)

C'est presque le milieu sociologique dans lequel vivent les petits séminaristes qui va, en pesant sur leurs sentiments, sur leurs évidences, leur permettre d'affirmer intérieurement qu'ils sont appelés. D'ailleurs, c'est bien ce qui se passe. Nous élevons nos petits séminaristes en serre close. Nous élevons nos grands séminaristes à peu près de la même manière. Quand ils sont obligés de faire le service militaire, on s'arrange pour qu'ils ne fassent pas de vœux trop définitifs avant de revenir du service. Enfin nous essayons de les protéger de mille manières, au maximum, et en même temps de les influencer directement, sainement, honnêtement, mais réel-lement au maximum. C'est peut-être un peu moins vrai maintenant mais, il y a 20 ou 30 ans, une des grandes politiques de nos séminaires consistait à séparer au maximum les enfants de leurs familles par crainte qu'ils ne perdent un peu du climat favorable à l'éclosion de leur vocation. Qu'un climat favorable soit nécessaire, c'est indispensable; que ce climat soit essentiel, c'est certainement une erreur.

Le lendemain, on m'a demandé de parler avec les élèves de première et de philo. J'avais là, devant moi, une quarantaine de jeunes de 17 à 18 ans, vraiment très sympathiques. L'Église ne sait pas l'extraordinaire privilège qu'elle a de pouvoir rassembler dans quelques-unes de ses maisons, des jeunes gens généreux avec une densité pareille de possibilités spirituelles. L'Église ne le sait pas. II n'y a pas d’autre milieu sociologique dans lequel on puisse trouver un rassemblement d'éléments aussi généreux, capables de vie spirituelle, de don. Ces jeunes gens m'ont posé un tas de questions. L'un a dit : « Monsieur, qu'est-ce que c'est que la vocation ? ». Il aurait fallu que je leur parle de bien d'autres choses et puis enfin, je ne pouvais leur parler que de moi. Je leur ai dit ce que je faisais. Mais l'un d'entre eux m'a posé cette question : « Monsieur, est-ce que vous êtes heureux ? », nous étions en communion. Seulement, au lieu d'une demi-heure ou une heure, il aurait fallu être avec ces jeunes toute une année, une année de formation à la vie. À ce moment-là, la vocation n'est plus simplement la conséquence d'un milieu sociologique favorable mais la découverte personnelle de ce que signifie être appelé.

Je retiens ceci, la plupart d'entre nous sont déistes avec Jésus-Christ et c'est une très grave hérésie. Il est peut-être plus grave, au point de vue spirituel, de se borner à croire que Jésus-Christ est Dieu que d'avoir pour lui une admiration sans limites, ou en ne le considérant que comme homme et en cherchant à le découvrir. Au bout de cette recherche se trouve précisément l'affirmation de la divinité tandis que, derrière l'affirmation de la divinité de Jésus, il y a l'inintérêt pour ce qu'il a été lui-même et finalement nous croyons en Jésus-Christ sans pouvoir en être vraiment les disciples.

Or si être chrétien, c'est d'abord être disciple, notre croyance actuelle en Jésus est en porte-à-faux parce qu'elle n'a pas en elle les éléments humains nécessaires pour que cette croyance soit réelle. Si nous croyons en Jésus comme nous croyons en Dieu, la croyance en Jésus ne nous accorde rien de nouveau. Par conséquent, nous restons sur un plan qui ressemble tout à fait, au moins en droit, à la croyance en Dieu qu'on avait avant que Jésus apparaisse. Avec quelque chose en moins cependant car la croyance en Dieu jadis était étayée par le milieu sociologique dans lequel les hommes vivaient tandis que l'atmosphère générale qui règne dans nos sociétés est incontestablement l'athéisme. Nous continuons à croire en Dieu parce que nous y avons cru jadis mais, en réalité, disons-le simplement, beaucoup de croyants sont des athées sans le savoir. Il ne suffit pas de croire qu'en voulant croire, on croit. Nous parlons de ce qui est vraiment réel, c'est-à-dire de la manière dont Dieu est vraiment présent dans nos vies quotidiennes. Nous vivons pratiquement comme des athées. Dieu est mort pour nous aussi parce que l'homme n'est pas suffisamment vivant.

Marcel LÉGAUT 1963
Archives jean Ehrhard
Ed. X. Huot Cahier n° 8, p.65-66