Authenticité et vie spirituelle
Il est assez courant de dire, non sans admiration, d’un geste ou d’une parole qu’ils sont authentiques. Ou encore, plus globalement, d’un homme ou d’une femme qu’ils sont authentiques. Chez Légaut aussi, c’est un terme qui revient fréquemment sous sa plume – mais plus lourd de sens, incontestablement, que dans le langage courant. Tentons de le cerner quelque peu.
L’authenticité chez Légaut, ç’a été d’abord, à mes yeux, le souci d’assumer totalement ce à quoi il disait croire ; et donc, celui aussi de refuser des croyances « seulement verbales » ou formulées en des termes qui pour lui étaient inacceptables. À cet égard, le passage chez Légaut de Prières d’un croyant (1933) à Prières d’homme (1978) est significatif : il manifeste l’abandon des formules pieuses du chrétien de souche qui « favorisent chez lui, par leur irréalisme, l’inflation de sentiments et d’actes de dévotion qui demeurent à demi authentiques malgré leur sincérité. » (IPAC 385)
C’est ce même souci qui a conduit Légaut à, « d’une certaine manière, rechercher Jésus-Christ en dehors de la religion». « Au fond, continue-t-il, si Jésus-Christ s’est fait homme, ce n’est pas pour qu’on l’aime comme un Dieu, c’est pour qu’on l’aime comme un homme. Ce qui manque à beaucoup de chrétiens pour que [leur] religion soit authentique, c’est qu’ils aiment Jésus-Christ comme un homme et non pas comme un Dieu » (Topo de 1958, in : Historique du Groupe Légaut, annoté par D. Lerch, p. 14)
L’authenticité a consisté pour Légaut « dans l’intégrité de l’esprit et dans la probité d’une recherche critique ». Estimant important « que ce que l’on vit soit la conséquence sans faille de ce que l’on pense et de ce qu’on affirme » (HFE 247). Mais aussi, à l’inverse, que ce que l’on dit reflète fidèlement ce dont on vit. « Quand on est jeune, il est très important de dire ce qu’on voudrait être (…) Au contraire, à partir d’un certain âge, l’adulte ne doit dire que ce qu’il vit (…) Autrement, il pourrait se prendre pour ce qu’il n’est pas et se cacher ce qu’il est réellement derrière ce qu’il voudrait être » (Q-R, 57-58)
À un certain niveau de vie spirituelle, « l’homme se refuse à la moindre distance consciente entre d’une part ce qu’il est et d’autre part ce qu’il fait et ce qu’il pense. Sans en rien se renier, il épouse totalement son action et son assentiment. Il se projette dans sa manière d’agir. Il se « profère » dans sa manière de penser. » (DS 37)
Lorsque Légaut fait remarquer que les chrétiens, pour la plupart, « ne sont pas assez intériorisés et conscients pour porter attention à la continuelle et persévérante motion [intérieure] qui les sollicite et s’efforce de les mouvoir », il ajoute, soucieux d’être vrai : « Moi-même y suis-je si habituellement sensible ? » (HFE 16). Par cette interrogation – qui est aussi un aveu – Légaut reconnaît qu’en ce qui le concerne, comme pour tout homme, la véritable authenticité n’est jamais acquise stablement : on ne peut que s’en approcher. Et même – paradoxe ! - « plus on avance vers l’authenticité, plus on reconnaît combien est radicalement infranchissable la distance qui sépare de la pure, de l’exacte authenticité » (LV 2, 64)
Jean-B. Mer (