Rencontre avec Jésus-Christ (7)
La première chose essentielle pour les chrétiens de notre époque, après avoir compris ce qu'est l'Église, c'est-à-dire après avoir dépassé le triomphalisme latent dans lequel nous sommes tous plus ou moins plongés, après s'être posé la question « pourquoi est-ce que l'Église n'est pas ce qu'elle devrait être pour être fidèle ? », c'est de découvrir toujours plus, dans la mesure où nous ne l'avons pas encore fait, la personne de Jésus. Pour cela, nous avons des moyens que les premiers chrétiens n'avaient pas. Les premiers chrétiens ont eu des facilités que nous ne pouvons plus utiliser parce que nous ne sommes pas de leur époque. Nous avons vingt siècles de christianisme derrière nous. Nous avons une expérience de ce qu'est l'homme, beaucoup plus profonde, beaucoup plus totale quoiqu'elle soit encore très incomplète, que celle que pouvaient avoir les quelques hommes qui se réunissaient auprès de Jésus.
Toute l'histoire de l'Église, son évolution à partir du tout premier départ, est essentielle pour comprendre Jésus, non pas parce que l'Église aurait correspondu à ce que le Christ en attendait, mais précisément pour comprendre pourquoi l'Église n'a pas répondu et ne pouvait pas vraiment répondre à ce que le Christ désirait instituer lors de son passage parmi nous. C'est à travers l'échec de l'Église beaucoup plus qu'à travers son succès que nous pouvons découvrir Jésus. De même, c'est à travers la mort de Jésus, beaucoup plus qu'à travers les premiers faits de son existence, ses miracles, sa première prédication, que nous trouvons l'originalité de Jésus.
Au départ, c'est un prophète comme les autres et son enseignement n'est pas tellement différent ni supérieur à celui des prophètes de jadis. Mais incontestablement, dans la dernière phase de sa vie, il y a quelque chose en lui qui manifeste sa transcendance. Cet échec de l'Église à travers vingt siècles de christianisme, les premiers apôtres ne l'avaient pas et cela leur manquait fondamentalement pour comprendre Jésus. Ils ont été obligés de chercher le premier Adam pour expliquer la mort de Jésus.
En vérité, pour nous autres maintenant, il nous faut découvrir d'autres raisons qui nous feront comprendre les causes profondes de la mort de Jésus, beaucoup mieux que la faute du premier Adam. Le péché originel existe mais il faut le découvrir. Ce que nous appelons péché originel actuellement, c'est un schéma qui correspond à une histoire qui est de moins en moins réelle. Mais ce péché originel est partout, il faut que nous le redécouvrions. C'est un point d'interrogation. Il faut que nous le découvrions, non pas à travers une histoire qui n'est pas vraie, mais il faut que nous en découvrions l'existence, la réalité profonde à travers ce que nous sommes, non seulement ce que nous sommes en tant qu'individus, ce qui est déjà vrai, mais ce que nous sommes en tant que membres de la société.
Il faut découvrir d'une certaine manière que le péché originel est une réalité qui exigeait la mort de Jésus mais non pas comme une réparation comme on l'a conçue jadis. C'est la manière la plus facile, la plus juridique, la plus simple; car le juridisme est beaucoup plus facile. Le juridisme par certains côtés n'est pas faux mais c'est le papier qui enveloppe l'affaire. Le plus difficile, ce n'est pas tant d'envelopper l'affaire que de découvrir ce qui est derrière. C'est ça qu'il faut que nous trouvions. Si nous nous contentons de l'enveloppe, en vérité, nous ne pouvons nous en contenter que d’une manière verbale, d'une manière superficielle. D'ailleurs, il n'y a pas de plus grands optimistes dans le monde que ceux qui croient au péché originel. Jadis, la croyance au péché originel était la source du pessimisme foncier de notre religion du 17ème siècle et ainsi de suite. Maintenant nous croyons au péché originel mais nous construisons la cité du monde, la cité moderne, qui ressemble fort bien à ceux qui n'y croient pas.
Marcel LÉGAUT - 1963
Archives Jean Ehrhard
Ed. Xavier Huot Cahier n° 8 - tome I, pp. 67-68