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Rencontre avec Jésus-Christ (8)

Je vous disais donc que, si nous n'avons pas les facilités qu'ont pu connaître les premiers chrétiens, facilités d'ailleurs dangereuses, parce que l'Église, dès le commencement, a été obligée de se séparer du judaïsme et est devenue une secte, ce qui est facile à faire, que voulez-vous ? Vous connaissez « hors de l'Église, pas de salut ». On peut interpréter cette affirmation d'une manière sympathique, mais incontestablement toutes les luttes du départ sont des luttes de société contre société. Ce n'est pas du tout un universalisme qui pour ainsi dire dépasse le milieu sociologique dans lequel il se trouve et qui rayonne par conséquent, étant sur un autre plan. Mais pas du tout. Le Dieu d'Israël luttait jadis contre les dieux des pays voisins, des pays païens. Le Dieu des chrétiens se dégage petit à petit du Dieu d'Israël, mais est-ce que c'est encore le même Dieu ?

Le Dieu de Jésus-Christ, enfin le Dieu des chrétiens, était bel et bien le Dieu d'une secte et il l'a été pendant longtemps, presque jusqu'à maintenant, dans la mesure précisément où nous sommes encore persuadés que, hors de l'Église, il n'y a pas de salut, hors de l'Église visible, d'une société visible. Nous progressons incontestab-lement sur ce point. Du temps de M. Portal, quand nous parlions des Églises séparées, il nous disait : « Ne parlez surtout pas de sainteté dans les autres Églises ». Il ne fallait pas dire qu'il y avait des saints dans les autres Églises car seule l'Église catholique était sainte et pouvait engendrer des saints. Les Églises séparées, on ne devait pas les appeler « Églises » parce qu'elles n'étaient pas des églises. Lorsque Lord Halifax est venu chez M. Portal pour faire un exposé, un autre homme célèbre maintenant, Bernard Guyon qui est doyen de la faculté des Lettres d'Aix, s'est levé et lui a adressé une question avec ces mots « Alors, Monsieur, votre secte... » Grand émoi chez M. Portal. Au fond, à ce moment-là, Guyon avait exactement le langage classique.

Mais alors, vous me direz : « À quoi sert l'Église ? » Précisément, c'est ce qu'il faut trouver, c'est ce qu'il faut chercher. Il est trop facile de faire de l'Église la société de ceux qui croient au vrai Dieu. Il faut découvrir ce qu’est l'Église par rapport à un Dieu qui la dépasse de toute son immensité, de toute sa transcendance. Des recherches qui, en nous donnant une véritable mentalité universelle, redonneraient au christianisme une puissance de rayonnement qu'il ne peut pas avoir tant qu’il restera une secte.

Je suis en train de changer de sujet car actuellement il n'est pas dans mes intentions de vous parler des conditions pour que le christianisme retrouve véritablement sa puissance dans le monde ; il est question que nous devenions nous-mêmes disciples de Jésus. Mais les deux choses sont liées. Le jour où les chrétiens redeviendront vraiment disciples de Jésus, le rayonnement spirituel de l'Église ressemblera fort, et en mieux, au rayonnement spirituel de l’Église naissante parce qu'elle sera plus pure. Plus nous avançons, plus la mission de l'Église demande de pureté et d'universalité pour être vraiment à la hauteur de Jésus. Mais pour qu'elle puisse atteindre cette pureté et cette universalité, il est incontestable qu'il faut que les chrétiens entrent dans la profondeur de l'esprit de Jésus. Et c'est là le devoir que nous avons actuellement à remplir.

Pour l'atteindre, comme je vous le disais, une seule voie nous est maintenant possible, c'est la découverte de notre propre humanité. D'autres voies peuvent nous aider mais du dehors et ne vont pas très loin. Dans la Bible, il y a trois phases, trois étapes, qui me paraissent absolument capitales dans l'ascension spirituelle des hommes. La première phase se trouve dans la Genèse : « Dieu fit l’homme à son image ». Je ne sais pas très bien si à cette époque l'auteur qui a osé dire cette phrase savait ce qu'était Dieu, mais c'était la mentalité de l'époque d'expliquer l'homme à partir de Dieu, la place de l'homme dans le monde à partir de Dieu. C'est une mentalité d'ailleurs courante et qui n'est pas simplement une mentalité ancienne. (à suivre)

Marcel LÉGAUT - 1963
Archives Jean Ehrhard 
Ed. Xavier Huot  Cahier n° 8 - tome I, p. 68