Rencontre avec Jésus-Christ (9)
Spontanément quand nous n'avons pas l'esprit critique, quand nous n'approfondissons pas, nous essayons tous d'expliquer l’incompréhensible par du plus incompréhensible. Je vais vous en donner un exemple. Il vous arrive un malheur. Vous pourriez essayer de l'expliquer par des raisons immédiates, directes. Non, vous dites : « C'est la volonté de Dieu ». Qu'est-ce que c'est que la volonté de Dieu ? Nous n'en savons rien. Nous ne pouvons pas le comprendre. La volonté de Dieu se mérite, elle n'est pas un point de départ, c'est un point d'arrivée. Nous en faisons un point de départ. Nous expliquons ainsi les événements les moins difficiles à comprendre, que nous pourrions expliquer par des raisons simples.
À mon sens, cette phrase « Dieu a fait l'homme à son image » est beaucoup plus importante à prendre en sens inverse : pour découvrir Dieu, il faut d'abord découvrir l'homme. Si Dieu a fait l'homme à son image, c'est que cette image est précisément le chemin par lequel on peut atteindre Dieu. C'est plus le chemin pour atteindre Dieu que par exemple la splendeur de la création dont la Bible parle aussi. Par certains côtés, on peut parler de Dieu à propos de la splendeur de la création si on est poète. Incontestablement, plus la science se développe, moins l'esprit poétique a sa part, et le savant n'est pas spontanément et directement poète. Nous pouvons encore chanter des psaumes d'une certaine manière, quoique je fasse d'extrêmes réserves sur les images qu'ils utilisent, mais, en vérité, ce sont toujours des images qui nous sont tout-à-fait extérieures.
Il nous est très difficile d'atteindre Dieu à travers l'univers extérieur. Le chemin qui nous est proposé maintenant, c'est cette image de Dieu qu'est l'homme. Mais il y a dans la Bible d'autres phrases qui jalonnent les progrès spirituels. Dans l'Évangile, on nous dit que Dieu est intérieur à l'homme. C'est une intériorité qu'on peut prendre sur le plan physique, ce serait déjà un progrès mais ça ne va pas très loin.
On peut comprendre aussi que l’homme est suffisamment profond pour que Dieu puisse y résider. Pas simplement une résidence physique comme on pourrait le concevoir, mais une présence. Il fait sa demeure en prenant le mot «demeure» dans un autre sens que maison. Dieu est présent dans la structure la plus profonde de ce que nous sommes. Nous sommes suffisamment profonds pour que Dieu y soit vraiment présent. Cela montre bien que plus nous nous comprendrons, plus nous entrerons dans le mystère de notre propre réalité, de notre propre être, plus nous serons sur le chemin qui nous conduira à Dieu lui-même.
St Jean a continué et a achevé à mon sens ce progrès spirituel en disant que Dieu est Amour. Cela veut dire que, pour nous, c'est à travers l'amour que nous découvrirons Dieu. C'est à travers cet amour qui est peut-être la forme la plus totale, le fruit le plus précieux de l'intériorité de l'homme, que Dieu peut être véritablement découvert.
Ces trois formules prennent Dieu comme point de départ. Dieu a fait l'homme à son image, Dieu est intérieur à l'homme, Dieu est amour. Inversons-les et elles nous donnent le chemin qui nous permettra, non pas de l'atteindre, mais de nous en approcher. C'est à travers l'homme, non pas du tout l'homme conçu à la manière des scientifiques, mais l'homme que je suis, non pas l'homo faber ou l'homo sapiens, mais l'homme que je suis réellement. L'homme que je suis, ce n'est pas l'homme qui est à côté de moi, c'est moi-même ; le chemin qui est mon chemin, c'est mon propre chemin. C'est en étant, en me découvrant, en me connaissant, en me faisant d'une certaine manière, que je chemine vers Dieu lui-même. Et le chemin que j'ai ainsi à réaliser, c'est mon chemin, ce n'est pas le vôtre. Chacun d'entre nous a son chemin. Ces chemins ont bien quelque chose qui se ressemble mais aucun n'est interchangeable. Dieu est intérieur, Dieu est amour, ces affirmations ne font que confirmer, je dirais, la vigueur de ce que j'essaie de vous expliquer en ce moment. Elles étaient vécues, il y a vingt siècles, mais elles ne pouvaient pas être pensées.
Marcel LÉGAUT - 1963
Archives Jean Ehrhard