À la droite du père. Les catholiques et les droites de 1945 à nos jours,
Seuil, 2022, 783 p., ouvrage collectif sous la direction de Florian Michel et Yann Raison du Cleuziou.
Si les droites en France ont été explorées par les travaux de René Rémond (La Droite en France, 1954, et ses rééditions), l’analyse du vote des catholiques restait un angle mort : les 3/4 des catholiques ont continué à voter à droite durant la période de 1945 à nos jours. Certes, un travail de défrichage a eu lieu, mais seuls les extrêmes ont été labourés, ne serait-ce que « La Manif pour tous ». Le choix des responsables de cet ouvrage est double :
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Assurer un développement chronologique qui rend compte des évolutions, avec de 1945 à 1958, la Libération et la revanche des démocrates chrétiens, le MRP et ses figures, dont on découvre, pour Pierre Pflimlin (plusieurs fois ministres et dernier Président du conseil de la IVème), son passé d’extrême-droite. Puis de 1958 à 1974, une interrogation : la Vème est-elle une république moderne et catholique ? Et de 1974 à 1997, une oscillation entre modernisation et restauration, avec une marginalisation du catholicisme : en 1966, 24 % des Français assistent à la messe dominicale ; en 1975, 13,5 % ; en 1986, 11 %. Avec certes l’appui de l’élection de Jean-Paul II en 1978. La dernière période (1997-2022) décrit un âge où le catholicisme est minoritaire, « se recompose avec ceux qui restent », « les catholiques de gauche étant devenus quasiment invisibles dans l’espace public ». Selon les besoins des uns et des autres, on trouvera là une synthèse informée de cette période.
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Ce livre est destiné à devenir un outil de travail.
* À chaque subdivision chronologique, une biographie tente (et réussit) de faire incarner une période, rappelant combien la chronologie dévore les hommes. Sans pouvoir être exhaustif, il indique les biographies de : Georges Bidault ; l’aveyronnais Ernest Pezet, de Robert Martel, croisé de la Mitidja dont un militant paysan alsacien, Joseph Bilger (proche du Gauleiter Bürckel de Metz), a été un temps le secrétaire ; Jean Ousset (1914-1994) acteur de la contre-révolution culturelle ; Véronique Fayet à la tête du Secours Catholique, catholique sociale et centriste à Bordeaux, etc.
* Des thèmes sont ensuite traités, permettant de comprendre le lien entre telle pratique catholique (la crèche) et le projet d’écarter le non-chrétien en installant, dans l’espace public, crèches, statues… (article « Mairie »). La tenue vestimentaire (article « Loden ») reflète une minorité contre-culturelle, et le concept de « Tombes » est élargi au silence sur les fins dernières…
* Un index des noms transforme l’usage de l’ouvrage. Si l’on a une recherche précise à faire, présences et absences marquent un territoire. Le groupe Légaut est ainsi présent par deux (ou trois ?) personnalités : Gérard Soulages, un camarade souvent cité par Légaut ; Guérard des Lauriers ; et, si cela peut être confirmé, Christine Boutin, membre de « Fidélité et Ouverture » avec Gérard Soulages. Disons-le simplement : pour des historiens, Légaut ou les membres du groupe Légaut n’existent pas, ainsi Jacques Perret, au départ du groupe Légaut, comme à Esprit que l’on va retrouver auprès de Gérard Soulages, de l’Algérie Française…
En mettant de côté fiches et notes, quels sont les chiffons rouges qui meuvent des catholiques pratiquants et les situent à droite, ou qu’agitent des hommes ou femmes politiques soucieux d’attirer ces votants assurés ? Assurément :
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la liberté d’éducation des enfants, l’enseignement privé étant essentiellement catholique avec, en 1959, la loi Debré qui débloque des fonds d’État ;
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la famille et le respect de la vie, de la conception à la mort ;
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un fond d’anticommunisme, relayé par l’anti-islamisme, avec la thématique des racines chrétiennes de l’Europe dans un contexte où sont visés par des attentats des prêtres (le curé Jacques Hamel en 2016) ou des fidèles (Notre-Dame de Nice en 2020).
Sur ces valeurs, que ces catholiques entendent imposer par la loi à leurs concitoyens, l’actualité est là pour nous rappeler l’importance du groupe de presse Bolloré (C-news et Zemmour, Canal Plus, La France catholique, Valeurs actuelles dont l’ancien directeur est refusé sous nos yeux par la rédaction du Journal du Dimanche, (cf. Le Monde du 29 juin 2023).
C’est bien là l’immense intérêt de cet ouvrage : prendre du champ, montrer l’importance des divisions liées à l’épuration, à la guerre d’Algérie, la disparition ou presque des interrogations économiques ou sociales, et permettre de lire, derrière la banale actualité, des forces en manœuvre au nom de valeurs.
Dominique LERCH