Comment lire l'évangile?
Il s’agit de comprendre sa vie à la lumière de l’évangile ou l’évangile à la lumière de sa vie.
Chez le Pape Jean XXIII, j’ai trouvé une phrase qui m’a particulièrement plu. Ce n’est pas qu’il ait fait des choses tellement extraordinaires. Je suis persuadé que beaucoup de chrétiens avant lui le pensaient. Quand il a écrit l’encyclique Pacem in terris,il a dit : j’ai écrit ça à la lumière de la révélation. J’ai trouvé ça très intéressant.
En général, quand nous méditons l’évangile, nous essayons de comprendre notre vie à la lumière de l’évangile. C’est ce que nous faisions. Nous prenions un texte, par exemple la multiplication des pains, et nous essayions de comprendre notre vie à la lumière de cet évangile particulier. Nous voyons par exemple l’extraordinaire fécondité que peut avoir une vie chrétienne quand elle est dirigée dans sa voie, de telle sorte que ce qui lui paraissait au départ impossible, impensable, se réalise progressivement. Ainsi pour un pauvre mathématicien comme moi, le fait que j’étais absolument incapable (il y a une quarantaine d’années) de parler d’autre chose que des mathématiques, et que M. Portal était obligé de nous tirer les vers du nez lorsqu’on essayait de parler sur un texte d’évangile. Incontestablement, petit à petit, les choses sont arrivées, quelque chose qui m’était absolument impensable à l’époque où nous avons commencé.
Ce dont nous avons besoin maintenant, nous les vieux (dont les jeunes n’ont peut-être pas autant besoin mais dont les vieux ont besoin), ce n’est pas tellement de comprendre notre vie à la lumière de l’évangile, c’est de comprendre l’évangile à la lumière de notre vie. Je crois que ceci est très important. Beaucoup de vies spirituelles sont limitées par le fait qu’elles se bornent à comprendre simplement leur vie à la lumière de l’évangile. Ce qu’il nous faut maintenant découvrir, c’est précisément de découvrir l’évangile à la lumière de notre vie.
Pourquoi cela ? Parce que l’évangile, dans une large mesure, n’est qu’une étape vers Jésus-Christ. Nous ne pouvons comprendre Jésus-Christ qu’à la lumière de notre vie et non pas simplement à la lumière de l’évangile. L’évangile nous y conduit mais ne peut pas nous conduire jusqu’au bout. C’est simplement dans la mesure où nous pouvons faire quelque chose d’au-delà. C’est simplement à la lumière de notre propre vie que nous pouvons comprendre Jésus-Christ. Si nous nous bornons à ne comprendre Jésus-Christ qu’à la lumière de l’évangile, nous faisons un pas important mais un pas insuffisant et de plus en plus insuffisant à mesure que nous comprenons mieux la transcendance de Jésus par rapport à toute écriture, à tout enseignement, à toute doctrine.
La doctrine nous est nécessaire mais incontestablement il faut la dépasser, il faut la comprendre à la lumière de la vie car si on se met simplement à comprendre sa vie à la lumière de la doctrine, on l’encastre, on ne la féconde pas.
Quelle est la conséquence de cette sorte d’inconscience, de paresse ou d’étape non encore découverte qui fait que, lorsque nous lisons l’évangile, nous essayons d’y insérer notre existence au lieu d’utiliser toute notre vie pour essayer de comprendre l’évangile et par conséquent de comprendre Jésus-Christ ? C’est que notre vie spirituelle est beaucoup trop facile, il y a une facilité superficielle que vous connaissez et que les anciens parmi nous ne connaissaient pas. (à suivre)
Marcel LÉGAUT Topos des Granges (été 1963)
Ed. Xavier Huot pp. 22-23