La foi difficile et la foi trop facile
Être chrétien au début du siècle n’allait pas de soi. Quand je suis entré à l’École normale en 1919, il n’était pas très facile d’être catholique car les catholiques n’avaient pas une très bonne presse, on les jugeait de haut : intelligents mais catholiques, ou catholiques quoiqu’intelligents. Pour les camarades qui ont commencé le groupe dans les milieux primaires, il leur était encore plus difficile qu’à nous de l’enseignement secondaire d’être catholiques car non seulement il y avait une présomption de bêtise sous le titre mais il y avait une hostilité pratique. Plusieurs d’entre nous, des anciens, savent combien certains ont dû souffrir pour leur foi parce que leur avancement ou au moins leur acceptation dans le milieu de l’enseignement primaire était rendue plus ou moins difficile par le fait qu’ils étaient chrétiens.
Cette difficulté, les jeunes, ni les anciens maintenant, ne la connaissent plus. Le catholique est un être suffisamment lavé, pas seulement lavé, je dirais en un certain sens accommodant, brave pour qu’on le supporte. Et d’autre part, l’Église étant de moins en moins puissante, on la supporte de plus en plus volontiers comme quelque chose qui a encore d’assez fortes attaches dans le pays mais qui, par d’autres côtés, est suffisamment hors-jeu pour qu’on puisse la laisser mourir doucement. De telle sorte que vous ne connaissez pas les difficultés que nous avons connues nous-mêmes au départ.
Nous avons heureusement appartenu à une génération de jeunes qui étaient plus généreux, plus catholiques, plus religieux que leurs parents. Dans toutes les histoires d’anciens d’ici, il y a toujours eu, plus ou moins ouvertement, une certaine lutte entre les aspirations religieuses des jeunes que nous étions à ce moment-là et nos parents. Nos parents étaient catholiques mais d’une manière qui ne satisfaisait pas notre catholicisme. Il y avait là pour nous une difficulté supplémentaire qui, par le fait qu’elle nous obligeait à nous dresser contre, nous donnait l’occasion d’approfondir notre foi. Ces difficultés-là, vous ne les connaissez pas, nous ne les connaissons pas maintenant. Aucun d’entre nous n’a de véritables difficultés parce qu’il est catholique. Par conséquent, ces difficultés-là, je les supprime.
Notre vie catholique, notre vie de foi, est trop facile parce qu’elle est malgré tout trop extérieure. C’est là, me semble-t-il, que je peux entrer en communion avec vous réellement. S’il suffisait pour être croyant d’adhérer à une doctrine, de faire partie d’une société, nous serions vraiment des croyants avec facilité. Mais la foi est probablement tout à fait autre chose. Ce n’est pas que nous cherchions la difficulté pour elle-même, ce n’est pas par un but d’ascèse que nous cherchons la difficulté dans la foi. Mais je pense que la difficulté que nous rencontrons dans la foi est une conséquence de sa profondeur, tandis que la facilité n’est qu’une manifestation de la manière dont elle est superficielle.
(…) Ce qui nous rend facile, trop facile, notre religion, c’est la théologie, la systématisation intellectuelle, théologique. C’est ce qui rend difficile la religion chrétienne à ceux qui sont nés dans un autre climat. Pour vaincre la facilité ruineuse que nous impose notre mentalité systématique d’intellectuel de l’Occident et atteindre les véritables profondeurs de la foi, il faut que nous tirions de notre propre nature des réalités, des profondeurs qui fassent difficulté à notre théologie.
(à suivre)
Marcel Légaut Topo des Granges 1963
Ed. X. Huot pp. 23-25