LES DIFFICULTÉS D’ÊTRE CROYANT ET LA FUITE DEVANT LES DIFFICULTÉS
Je vais essayer d’expliquer un peu cela. Jean XXIII, lorsqu’il était nonce à Paris, demandait pourquoi Teilhard de Chardin n’enseignait pas le catéchisme comme les autres. Il soulève des tas de questions, ça embarrasse tout le monde. S’il faisait comme tout le monde, on serait plus tranquille. Mais justement le grand service qu’ont pu rendre Teilhard et quelques autres encore, c’est que des croyants faciles que nous pouvions être aient besoin de regarder à nouveau la foi pour pouvoir continuer à être croyants. Car les difficultés qu’ils rencontrent alors ne sont pas simplement des difficultés sur un chemin, ce sont les possibilités d’approfondir leur foi.
Si nous étions encore en train de concevoir l’univers à la taille de l’univers que la Bible nous propose, nous aurions beaucoup plus facilement la foi, Adam et Eve, les anges viendraient nous visiter. Newman voyait des anges partout. Avec Pascal, nous pourrions faire une histoire universelle à partir de l’an zéro. Par conséquent, nous aurions d’énormes facilités et nous ne rencontrerions pas les difficultés que nous avons pu rencontrer. Mais précisément ces difficultés, qu’elles soient bénies car ce sont elles qui nous permettent d’approfondir notre foi. Dans une large mesure, s’il y a si peu de gens religieux actuellement, c’est parce qu’ils paient les grandes facilités qu’ont eues jadis les chrétiens pour avoir la foi. Nous payons actuellement, avec des intérêts, les facilités que les chrétiens des siècles précédents ont eues pour conserver leur foi.
Si on prend le péché originel sous la forme tout-à- fait classique et commune du départ et qu’on y adhère pleinement, ça facilite les choses. Comme disait Pascal, c’est la plus grande découverte du christianisme (heureusement qu’il y en a eu d’autres). Mais si on se met à se dire que cette histoire d’hérédité, le monogénisme et tout ça, ça ne colle pas très bien, ça pose question. À ce moment-là, ça nous accule à ne pas croire trop facilement au péché originel, à ne pas nous contenter trop facilement d’une explication de cette réalité que le péché originel recouvre. Cela nous impose de découvrir autre chose que la simple conséquence d’une faute initiale qui se serait passée dans un monde singulier, dans un monde avant le nôtre.
(…) Si je vous lisais certaines pages du Père Pouget, lazariste (1847-1933), en particulier sur la manière dont il comprend les choses dont nous sommes en train de nous occuper, vous en seriez quelque peu étonnés parce qu’il y avait en lui un certain besoin de retomber facilement sur ses pieds malgré toutes les difficultés que l’esprit moderne nous proposait. L’esprit de concordisme, c’est la fuite devant les difficultés. Pour être concordiste, il y a bien quelques petites difficultés, il faut avoir beaucoup d’imagination, de la souplesse dialectique, un sens juridique extrême, le sens des nuances, peser, contre-peser, soupeser... Donc il y a bien des difficultés dans le concordisme mais elles sont sans comparaison avec celles que nous pouvons rencontrer, si nous les prenons à bras-le-corps. (À suivre)
Marcel Légaut,
Topos des Granges (1963)
Ed. Xavier Huot pp.25-26