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LÉGAUT ET SES LECTEURS

Il faut se rendre à l’évidence : le nom de Légaut est devenu presque confidentiel chez les chrétiens et ne dit rien – sauf exception – aux non-croyants. Comment expliquer cette méconnaissance (après une réelle notoriété, dans les années 70) ? Comment expliquer que ses livres n’attirent que peu de lecteurs ? Je me propose de répondre à cette dernière question en suggérant une explication – peu soulignée – parmi d’autres possibles.

On peut dire que Légaut ne fait rien pour séduire le lecteur. En exagérant un peu, on pourrait même dire qu’il « décourage » le lecteur potentiel – celui ou celle en tout cas qui l’aborde, en ouvrant un de ses livres avec une certaine curiosité, voire avec attention.

Voici une personne, intriguée par ce titre L’homme à la recherche de son humanité, qui se met à lire la première page de l’introduction. Elle se rend compte d’emblée qu’elle a affaire à un auteur « pas comme les autres » : Légaut n’enseigne pas une nouvelle conception de la vie spirituelle ; il incite à une démarche personnelle, à une mise en route – dont il ne cache pas qu’elle est coûteuse.

« Cette démarche est difficile. Elle exige de la ténacité. Elle demande recueillement et réflexion. L’homme doit se dégager des emprises puissantes de l’activité quotidienne. Il doit parvenir à une réelle connaissance de la vie à partir de la sienne propre» (p 7)

Légaut précise que son livre n’est nullement un ouvrage de spéculation mais « une sorte de témoignage » rendant compte « d’une recherche menée par l’auteur afin d’en vivre personnellement ». Si, sur la base de cette précision, le lecteur potentiel s’imagine que l’auteur fera le récit de ses découvertes, de ses enthousiasmes, mais aussi de ses résistances, de ses combats, voire de ses échecs, il ne peut qu’être déçu : le témoignage de Légaut est dépersonnalisé : il ne dit pas Je, il dit : L’homme.

Légaut avertit son lecteur qu’il ne tirera profit de son ouvrage que s’il a « assez vécu » et, d’autre part, que s’il lit dans certaines dispositions : « à l’heure où (il) est vraiment à lui-même dans la lucidité et une authenticité suffisante »(p.8). Dispositions dont il dira, dans un autre ouvrage (Intériorité et Engagement, p.17-18), que nous n’en sommes pas tout-à-fait maîtres ; qu’elles sont « le fruit d’une lente et secrète préparation du passé ».

Légaut déclare sans ambages qu’il est « austère ». Il ne propose pas « Les 8 secrets du bonheur » ni « Les 6 dimensions pour alimenter son bien-être psychologique ». Rien chez lui qui ressemble aux recettes du développement personnel. Devenir soi, ce titre peut attirer. Si on ouvre le livre au hasard, on peut tomber sur ces lignes : « Il est des exigences intimes qui imposent des choix décisifs et irrévocables. Elles obligent par suite à des renoncements et à des sacrifices dont les conséquences dans l’avenir ne sont pas prévisibles. » (p.111). Il est à craindre que des phrases de ce genre, quand on ignore tout du contexte, provoquent un recul: « Pas pour moi ! »

Légaut est un homme qui a mené une existence hors norme. Moins par la décision spectaculaire de passer de l’enseignement universitaire au métier de paysan-berger que par son écoute persévérante des appels intérieurs auxquels il se rendait attentif et par son courage à y répondre – convaincu que c’était là la seule manière de s’accomplir comme homme. Son œuvre est le miroir de sa vie : complexe, ardue, déroutante parfois, et par-dessus tout : exigeante.

C’est dire que pour lire Légaut il faut bien plus qu’une attention soutenue : une amorce déjà, chez le lecteur, de ce dont il témoigne et un effort – précise-t-il – pour se mettre au niveau des dispositions de l’auteur lorsqu’il écrivait. Cela n’explique-t-il pas – en partie – que bon nombre des personnes qu’attire le berger de la Drôme soient déconcertées et renoncent à tenter l’aventure ?

Jean-B. MER
(Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.) 01/11/2023


Nous venons d’apprendre le décès de Thérèse DE SCOTT survenu dans la maison de retraite de sa congrégation où elle se trouvait depuis plusieurs mois après avoir quitté LOUVAIN LA NEUVE. Nous consacrerons un article sur sa vie, son œuvre et sa rencontre avec Marcel Légaut dans notre prochain numéro de Quelques Nouvelles.