• Enteteautrespages

FAIRE DE LA MORT SA MORT

On est condamné à mourir mais, spirituellement parlant, on est appelé à découvrir sa mort, à la mériter. La mort pour qu’elle soit sa mort doit être méritée. Elle est rarement méritée complètement, elle ne l’est même jamais. Je crois qu’un seul homme l’a vraiment méritée, c’est Jésus-Christ. Chacun d’entre nous, nous devons la mériter autant que nous pouvons
La foi est d’autant plus vivante, par exemple dans le domaine de la vie familiale, conjugale, que nous découvrons la distance qui sépare ce que nous sommes de ce que nous devrions être. Non pas de ce que nous devrions être pour satisfaire la morale mais de ce que nous devrions être pour correspondre, grâce à notre recherche intérieure, à tout ce que l’amour et la paternité manifestent devant nos yeux pour vraiment s’accomplir.

Nous sommes bien au-delà de la morale. Je dirais même que la morale, là encore nous empoisonne l’existence parce qu’elle nous fait croire que nous sommes ce que nous devons être lorsque nous sommes ce qu’elle veut que nous soyons. La morale n’est pas exigeante, elle est faite pour tout le monde. L’appel de l’amour et de la paternité est beaucoup plus exigeant.
Chacun d’entre nous doit découvrir à sa manière l’amour et la paternité. Notre foi est d’autant plus vivante que nous voyons la distance infranchissable qui sépare ce que nous sommes de ce que nous devrions être. C’est vrai sur le plan de l’amour, c’est vrai sur le plan de la paternité, c’est vrai sur tous les autres plans de la vie.

Plus une œuvre est spirituelle, plus cette œuvre est mortelle, plus elle est caduque d’une certaine manière, caduque par son incarnation. Le drame de Jésus-Christ, me semble-t-il, est précisément d’avoir voulu communiquer aux hommes le sens qu’il avait de la paternité de Dieu, le sens qu’il avait de sa mission qu’il voulait nous transmettre de manière qu’à sa suite nous continuions à réaliser l’œuvre qu’il avait commencée. Le drame de Jésus-Christ, c’est de s’être aperçu qu’en définitive, ce rêve de Dieu sur l’homme était impossible sans la mort. Il fallait que l’échec, la mort, vienne pour ainsi dire apporter à l’effort humain en son extrémité sa réalité propre pour que, au-delà d’elle, l’œuvre puisse réussir.

Dans le christianisme, nous parlons bien de la mort de Jésus mais immédiatement nous parlons de sa résurrection. Mais en vérité, il y a une manière de parler de la résurrection qui détruit la profondeur et la réalité de la mort du Christ. On ne peut atteindre la valeur profonde de la résurrection qu’à travers l’approfondissement de sa mort.

Notre mort, la mort physique, ne fera qu’expliciter du dehors, d’une manière extérieure, d’une manière superficielle, la mort que nous devons progressivement mériter par les approfondissements que notre foi doit faire en nous à travers les difficultés qu’elle nous découvre à mesure que nous la suivons, que nous progressons en elle. Le plus croyant est celui qui découvre au maximum les difficultés insurmontables pour pouvoir être croyant dans une plénitude totale humaine.

Marcel LÉGAUT

Topos des Granges (été 1963)
Ed. Xavier Huot p.30-31