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Marie

Marie est disciple, plus que quiconque ; elle a su être fidèle à sa mission difficile entre toutes et rester jusqu’au bout, en dépit de ses plus chères certitudes d’antan, la mère de celui que Jésus était devenu. Elle en a été le témoin attentif, actif autant qu’une femme pouvait alors l’être, et sans doute la spectatrice douloureuse, impuissante, de ce que les disciples, et les Églises à leur suite, ont fait de lui durant les trop longues années qu’elle a eu à vivre après la mort de son fils.

Cependant la place qu’elle a tenue dans les Églises où est né et s’est développé le quatrième Évangile que le texte, joignant sans doute la fiction au fait, donne à Marie d’intervenir dans la vie de Jésus tout autrement que ne le présentent les Synoptiques. Quoi qu’il en soit, l’intelligence qu’on peut avoir d’elle est liée à celle qu’on peut atteindre de son fils.

Toute dévotion qui fait abstraction de la vie terrestre de Marie la relègue à n’être qu’un personnage céleste. Cet engouement pieux n’est que le dérisoire résidu de l’amour filial qu’un disciple de Jésus porte à Marie et qu’il lie à la vénération qu’il voue à son Maître. Une telle dévotion se nourrit du transfert ambigu que la religiosité millénaire a reportée souvent sur quelque divinité féminine.

Mais pourquoi faut-il que les chrétiens se disputent particulièrement sur ce qui devrait les unir, et que, dans la  fièvre de leurs polémiques, ils exagèrent les unes et les autres le côté affectif, lequel matérialise en hiératisme ou caricature en superstition ce qui par ailleurs est spirituel et se situe au niveau de l’humain le plus profond, le plus secret ?

Au vrai, les dévotions sont certes chez les protestants moins en faveur que chez les catholiques. C’est sans doute dommage, car, par la piété qu’elles cultivent, elles aident de façon non négligeable au départ de la vie religieuse. Mais je dois reconnaître que trop souvent ces pratiques dévotionnelles sont des succédanés qui trompent les plus pieux sur ce qu’ils sont. Elles leur fournissent des alibis qui les écartent, sans qu’ils le soupçonnent, de l’authenticité spirituelle et d’une véritable intériorité ouverte sur le mystère.

Marcel LÉGAUT  Un homme de foi et son Église
DDB  2011  p. 201-202  (1° éd. 1988)