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ENGAGEMENT ET INTÉRIORITÉ

Même si Légaut s’est tenu à l’écart des problèmes issus de la dégradation de la planète, il n’élude pas la question de l’engagement, ni sa nécessité. Il a là-dessus une pensée très ferme qu’il expose dans un livre intitulé Intériorité et Engagement (Aubier 1977). Ouvrons-le : nous y trouverons peut-être des incitations et des motivations à passer à l’action.

En fait, ce qui frappe dès la première phrase, c’est, concernant l’engagement, l’attitude manifestement dubitative de Légaut :

« Peut-on assurer qu’il suffit de s’être engagé à fond
dans une action collective ou individuelle,
dans une activité sociale et politique, ou même religieuse
pour être humainement adulte ?
Ce n’est point certain […]. » (p. 13)

Tout d’abord, on notera que dans cette interrogation initiale, ce qui intéresse Légaut, au premier chef, c’est : comment devenir « humainement adulte » ? L’intérêt qu’il porte à l’engagement concerne son rapport à cette finalité : l’engagement favorise-t-il, oui ou non, notre accomplissement d’homme ? La réponse, estime Légaut, ne va pas de soi.

L’expérience montre, en effet, selon lui, que très souvent, l’entraînement du milieu social, « l’adhésion passionnée à une idéologie peuvent avoir dispensé des efforts indispensables pour devenir un homme accompli » Et « ordinairement, les activités auxquelles l’engagement conduit à se consacrer ne poussent pas à l’approfondissement personnel. » L’engagement, souvent « distrait de soi ».

Conclusion – dont je souligne les nuances : « Un tel engagement à lui seul, si important et si persévérant qu’il soit, ne suffit pas en général pour rendre humainement adulte celui qui s’y adonne pleinement » (13). En dépit des restrictions que Légaut apporte à sa prise de position, il y a là de quoi étonner : tout se passe comme si Légaut douchait les ardeurs de celui – du jeune notamment – qui, généreusement, s’apprête à se lancer dans l’action – une action dont tout le monde autour de lui approuve la nécessité.

En vérité, Légaut ne veut pas dissuader quiconque de s’engager. Ce contre quoi il met en garde, c’est un engagement issu d’un emballement, ou d’un engouement. Ou encore, un engagement qui résulterait de la pression qu’exerce inévitablement un groupe sur ses membres. Et ce qu’il préconise, à l’inverse, c’est un engagement « qui s’est préparé de loin et s’est développé lentement à mesure que l’on s’est approfondi ». L’engagement est alors « la conséquence d’une véritable progression vers sa propre humanité, le fruit mûri d’une recherche d’intériorité » (1)

En bref, pour Légaut, cette recherche d’intériorité, c’est ce qui prime, c’est le cœur de la vie spirituelle. Et lorsqu’elle a mûri suffisamment, elle fructifie en engagement : « Il n’y a pas de vie spirituelle saine qui ne porte à l’action » (2). Cette action, alors, ne sera pas un feu de paille, ou encore utile peut-être momentanément, mais sans fécondité à long terme. Car, « tant vaut l’homme, tant vaut son engagement, tant vaut ce qui résultera de son action »

Jean-B. Mer 

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(1) Concernant l’engagement, Légaut fait remarquer que « nous n’avons pas à faire tout ce qui est utile et nécessaire, mais il faut que ce qui est utile, urgent [Urgence écologique!] déclenche en nous une exigence intérieure qui nous singularise, qui oriente l’action particulière que nous avons à faire » (Retraites avec Marcel Légaut, 1979, La Grande Chartreuse, Cahier présenté par Xavier Huot, p. 78).
Bobin fait écho à Légaut lorsqu’il écrit, dans le livret, Le plâtrier siffleur, cité plus haut : « Pendant la seconde guerre mondiale, il y a un homme qui ne se soucie pas explicitement de la guerre, c’est Matisse. Il entre dans une grande période de grande simplicité de la peinture et des couleurs, il rejoint la source enfantine de la peinture. Je crois que cet homme-là, par son travail, parce qu’un des effets de la peinture est de nous prendre le cœur et de le laver, a résisté contre le monde enténébré aussi bien que ceux qui prenaient les armes » (p.9).
(2) Marcel Légaut, Patience et Passion d’un croyant, Cerf, 2000, p. 67.