En hommage à Gérard Bessière
Ils se levèrent, l’un à la suite de l’autre, depuis Loisy, Lucien Laberthonnière, Jean Steinmann, Marcel Légaut… ces hommes de recherche et de foi que l‘on disait « modernistes ». L’été dernier, mélangé aux foules pieuses de la cathédrale d’Albi, je me suis arrêté un moment, après une recherche ardente, devant la tombe de l’évêque Eudoxe Mignot, si ouvertement « moderniste » et audacieux pour encourager la recherche d’intelligence de la foi. Aujourd’hui, nous sommes en retour de piété au risque de la confiscation de toute pensée critique, c’est-à-dire discernante. Gérard Bessière, prêtre « chercheur » vient de nous quitter, le 8 décembre dernier, à Luzech. Il sera demeuré fidèle à sa terre de Cahors ; il aura passé toute sa vie à transmettre l’évangile non en catéchisme mais comme un Souffle, appuyé par une longue quête intellectuelle. Il aura accompagné les Équipes enseignantes et recherché des médiations en vue de transmettre l’énigme et le mystère : le feu de l’espérance non en un dogme ou une vérité tonitruante à avaler telle quelle, mais comme une nouvelle, bonne pour la santé de l’humain. Il était de ces êtres rares, éblouis, qui diffusent une joie profonde en de toujours si justes mots. Il portait vif le mystère essentiel et se cachait pour vivre vrai. Commencer par se défaire des formules toutes faites. Garder dans le grain de la voix, le soleil qui laisse deviner. User du conte pour mieux dire le secret : il n'est que d'aimer Jésus. Il l'avait déshabillé des théories et des dogmes et son cœur allait tout droit à l'amitié de chaque vivant. Comme il avait estimé Pierre-Joseph Proudhon, inclassable comme lui ! J'ai appris de lui à préparer le foyer, à disposer le bois en travaillant le vide autour. Tout est là : ne pas en rajouter, laisser le vide appeler le feu. L'essentiel ne s'impose pas, il se laisse deviner, il permet de respirer large. Gérard n'aimait pas la coercition et les systèmes clos, il se savait contemporain de l'homme Jésus. Comme dans la finale du film Ben Hur, il n'était qu’un regard ébloui quêtant à son tour celui qui l'avait subjugué dès l'enfance. Théologien-poète, théologien en forme de prière et en mots ensoleillés.
Les éditions Diabase, qui l’ont publié jusqu’au bout ont transmis l’état dernier de sa recherche et la part des questions qu’il portait. Cet éditorial voudrait saluer avec attachement et considération la mémoire de ce prêtre fin et joyeux, éminemment humain, respectueux des démarches de chacun.
Il avait créé, aménagé chez lui dans la dépendance d’une maison familiale, un espace de dialogue, habité de l’humain. Un sourire espiègle, un souci du détail quotidien, une manière d’inventer des attentions inoubliables. Je me contente, pour le cerner, de citer les toutes dernières pages de son « arborescence infinie » (pp. 303-4).
« La divinité de Jésus, je la vois comme une ouverture à l’horizon de l’humain, sur une lumière d’au-delà. Jésus est cet être qui a été plus loin que toutes les avancées des saints personnages du passé. Impossible de le ranger parmi les modèles reconnus. Il était inclassable.
Dans ce dépassement, cet excès, cette nouveauté inassimilable, on a vu le surgissement de l’Ailleurs, de l’Absolu qui aimante l’humanité dans sa marche, depuis des origines obscures. Un visage, des mains, des pieds, une voix rendaient soudaient proche, présent, « humain » … l’Ineffable.
La fermentation, les démarches, les rites des religions allaient l’habiller : culte, théologies, morales ont déferlé sur lui. On l’a adoré et aussi interprété, utilisé parfois.
Aujourd’hui en certains de nos pays, ces revêtements tombent en lambeaux. Peut-être va-t-on rencontrer à neuf celui qui a renversé toutes les barrières et reculé toutes les limites. C’est dans la vie la plus quotidienne, dans les rencontres banales, qu’il déchire nos inconsciences et nos étroitesses pour nous faire vivre de son humanité qui semble plus qu’humaine.
Le mot « divin » vient à l’esprit mais ce sont toujours des hommes qui le balbutient ou le murmurent à l’orée du silence. »
Et de clore ainsi : « Serai-je devant toi, Jésus au bout du chemin d’Emmaüs où je t’ai sans cesse cherché jusqu’à ce que le soir tombe sur ma vie ?
À l’instant où mes yeux se fermeront, te verrai-je en train de nous rompre le pain ? Je ne sais pas, je ne sais rien, j’espère. Mais à jamais je te remercie d’avoir été le berger de toutes mes transhumances. »
Joseph Thomas