Aux Granges, il arrivait qu’il y eût une « panne » de topos. Marcel Légaut arrivait, ses lunettes réparées avec du sparadrap sur les yeux, et son exemplaire de Malicroix, édité chez Gallimard en 1948, qui se trouve toujours dans sa bibliothèque. Et durant une bonne heure, il lisait : Maître Dromiols et oncle Rat apparaissaient, tandis que Martial prenait sa dimension. Interrogé sur son intérêt pour Bosco, Marcel Légaut prenait de la terre sèche des Granges, la lançait en l’air et affirmait que l’atmosphère évoquée par Bosco était insaisissable, et autorisait une lueur sur ce qu’est le mystère.
Je dois donc à Marcel Légaut la lecture de l’oeuvre d’Henri Bosco et, trouvaille de cette année, Le chemin de Montclar, édité en 1962, qui recèle une page sur la religion de cet auteur (p. 250) :
« (…) Mon éducation religieuse n’a rien eu d’astreignant, de pénible, de triste. Cette astreinte, ces peines, cette tristesse, d’autres que moi les ont éprouvées, à ce qu’ils m’ont dit, et plus d’un en a profité pour s’éloigner d’une maison de pain et de prière. Il est vrai que j’ai toujours eu un goût vif pour les sites, les événements, les personnes, où le surnaturel se manifeste. Un goût et, bien plus encore, un besoin profond.
Enfin, la religion m’a été enseignée au début par ma mère. Alors, ce n’étaient que récits, qu’histoires merveilleuses. Or, j’y ai toujours vu plus d’heureuses promesses que de réprobations et d’anathèmes. Jusqu’à la Croix, hélas ! cette vie de Dieu sur la terre, quel plus beau voyage rustique, quelle plus lente et noble transhumance, au bord des lacs, sur les montagnes ?... Et l’on y mange, et l’on y boit, et l’on s’y plaint, et l’on s’y émerveille. Quelquefois, on entend Quelqu’un y dire : « Ils ne filent pas les oiseaux du ciel, et pourtant mon Père céleste les habille plus magnifiquement que, dans sa splendeur, le roi Salomon… »
Ce sont là paroles qui ne s’en vont plus. Il ne s’agit plus de mémoire. Ce qui fut dit est toujours dit, redit sans cesse. Et s’il m’arrive (car cela m’arrive) d’entendre une Voix secrète murmurer encore : « Viens près de moi, approche, tu le sais, mon joug est léger », j’écoute, j’attends.
Car le propre de la vieillesse, ce n’est pas le regret inutile, la désillusion, le renoncement à la vie, mais cette grave attente… »
Dominique Lerch