Soutenu financièrement un temps par la papauté et Pie X, le réseau de Mgr Benigni (1862-1934) a diffusé un brûlot antisémite mortel dont le succès planétaire perdure actuellement.
Membre de la Curie Romaine et au service de la Secrétairerie d’État (Mgr Merry del Val) au 5ème rang, Mgr Benigni appartenait à un courant complexe : catholicisme intégral, antimoderniste, antisémite, contre-révolutionnaire, refusant le Ralliement de l’Église française à la République, enseignant qui eut Pie XII comme élève, il se rapproche du fascisme dont il devient un informateur.
Le brûlot est Les Protocoles des sages de Sion, de fabrication russe en 1903-1904, serait le compte rendu « authentique » (22 à 27 points) d’une réunion d’un gouvernement juif mondial planifiant une stratégie de domination planétaire par différents moyens, tels que la subversion révolutionnaire contre les anciens régimes. Avec la révolution russe de 1917, il a pris le chemin de l’exil des Russes blancs et il est racheté par le parti national-socialiste. Une première version allemande est publiée en 1920, en même temps qu’une version anglaise. En 1921, le Times dévoile que ce faux antisémite a été copié sur un pamphlet anti-bonapartiste publié à Bruxelles en 1864 par Maurice Joly. Grasset (éditeur de Prières d’un croyant) le publie en 1921. Janin, curé de Saint-Augustin à Paris en 1920 le diffuse. Puis il passe en Italie (10.000 exemplaires pour la revue Fede e Ragione).
Cette diffusion capillaire de l’antisémitisme touche les États-Unis avec un exemplaire personnel dont un médecin militaire fait publier une version en 1920 à New-York, puis une autre à Boston à 4.000 exemplaires. Grâce à Henry Ford, une diffusion de masse a lieu à Detroit avec 300.000 exemplaires. Les Protocoles des sages de Sion sont alors traduits en espagnol, en russe et en allemand . L’ ouvrage de Ford The International Jew est tiré à 500.000 exemplaires. Ces Protocoles deviennent un classique de la littérature nationale-socialiste. En Angleterre, le Morning Post le diffuse en 1920 et rejoint le club « Britain for Britains » en 1919 dont la revue est The Hidden Hand (« la Grande-Bretagne aux Britanniques », « la main cachée/invisible », cela évoque-t-il quelque chose en 2020 ?).
La circulation des Protocoles des sages de Sion amorce solidement le groupe du catholiciisme intégral dans les réseaux transnationaux de l’antisémitisme[1]. Il est décliné en circuits d’information, amène à la formation d’une entente transnationale (1923), à la politisation d’un réseau très proche du fascisme.
La hantise de la judéo-maçonnerie étant devenue la hantise judéo-bolchévique, Israël est devenu, pour ces réseaux et ses affiliés, la plus grande menace antisociale : un dragon à deux têtes, celle du veau d’or (la banque) et celle du loup rouge (le bolchévisme). Incontestablement,le danger fasciste ou nazi passe en troisième position.
Émile Poulat nous avait décrit le réseau de délation que fut « La Sapinière ». Du fait de l’ouverture anormalement tardives des archives du Vatican (celles de Pie XI ont été ouvertes en 2006, celles de Pie XII viennent d’ouvrir), on ne mesurerait pas l’importance de ce deuxième réseau, celui de Mgr Benigni, étudié par Nina Valbousquet[2], qui interpelle sur la politique menée par le Vatican dans l’entre-deux-guerres.
Dominique LERCH
[1] POULAT (Émile), Intégrisme et catholicisme intégral. Un réseau secret international antimoderniste : « La Sapinière » (1909-1921), Casterman, 1969, 626 p.
[2] VALBOUSQUET (Nina), Catholique et antisémite, le réseau de Mgr Benigni, 1918-1934, Éditions CNRS, 2020, 322 p.