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Evidemment, il n’est pas question de revivre aujourd’hui la Cène avec l’intensité des sentiments qu’ont connus les disciples sur le moment même, et aussi les premières fois quand ceux-ci la renouvelèrent dans les communautés qu’ils venaient de fonder. Alors ce qui s’était passé les dernières heures mais aussi les jours qui suivirent la mort de Jésus restait encore puissamment présent à tous comme si tous ils en avaient été eux-mêmes témoins. En ces temps où le retour glorieux de Jésus semblait imminent, le renouvellement de la Cène recevait aussi son actualité de l’attente de la parousie, et peut-être davantage encore que du souvenir vivant d’un passé cependant encore récent…

Néanmoins, maintenant que la parousie s’est éloignée pour ne pas dire évanouie dans l’indéfini des temps et que les distances de tous ordres qui séparent de ce passé deviennent considérables (vingt siècles mais aussi les conditions, les situations, les univers mentaux si différents…), le but à atteindre est de se rendre réelles, autant que cela est possible et donné, la grandeur et la portée de cette action unique où toute la vie de Jésus se trouve concentrée, où son être coïncide avec son acte. Certes, cela demande un cheminement qui ne peut que se prolonger la vie entière et qui se fera parallèlement et conjointement avec l’approfondissement personnel. De toute façon, il permettra seule-ment d’approcher du but.

La messe dite dans l’esprit où est première l’actualisation par la reconstitution, par la reprise de ce qui s’est passé entre Jésus et ses disciples, aide puissamment et sans doute de façon nécessaire à cette approche, capitale pour que chacun devienne disciple à la taille de l’intelligence qu’il atteint de la condition humaine. Aussi une telle manière de célébrer la messe est-elle utile à proposer dès le début, même à celui qui, par manque de maturité, est encore très loin de pouvoir entrevoir quelque peu ce que cette célébration vise à faire découvrir. Mieux la messe sera ainsi vécue en communauté dans cette perspective, et de façon suffisamment fréquente, mieux les participants, même les adolescents, seront en mesure d’entrer puis de progresser dans l’esprit qui convient pour s’ouvrir non seulement sur l’intelligence des derniers moments de Jésus mais aussi sur celle de sa vie tout entière, et conjointement pour favoriser l’écoute de l’appel qui naît pour eux de cette intelligence, pour aider à la réponse que la fidélité exige d’eux.

Marcel Légaut, Intériorité et engagement, p.197-198.