Légaut a une manière qui peut sembler assez iconoclaste de penser la messe. D’une part, il était plutôt critique par rapport aux messes paroissiales auxquelles il assistait, où l’obéissance au rituel prenait le pas sur l’approfondissement humain. D’autre part, il relativise la présence réelle, il questionne le rôle du prêtre, et l’interprétation sacrificielle de la messe. Pourtant, il me semble que les réflexions de Légaut sur la Cène, terme qu’il préfère à celui d’eucharistie ou de messe, rejoignent un certain nombre d’orientations données par le concile Vatican II. Ce sont ces points de contacts que je voudrais ici mettre en évidence.
Le premier touche à la participation. Vatican II a la préoccupation d’amener les chrétiens à une participation « pleine, consciente et active » à la liturgie. On a souvent compris qu’il s’agissait de participer physiquement à la liturgie. Pour Légaut, la participation essentielle est d’ordre spirituel. Il s’agit de sortir de la passivité pour entrer dans un souvenir actif qui nous rend présentes la vie et la mission de Jésus. Le concile affirme aussi que c’est toute la vie de Jésus qui est sacrement, signe et moyen de salut. Légaut souhaite que les participants se tournent ensemble vers la vie humaine de Jésus, qui s’est récapitulée dans le moment unique de la dernière cène.
Vatican II a remis en valeur le « nous » des chrétiens : l’essentiel est ce que les baptisés ont en commun avant ce qui les distingue et il règne entre tous une vrai égalité quant à la dignité (LG32). Légaut considère pour sa part qu’une célébration ne peut porter du fruit que si existe une véritable communauté, qui permet « une rencontre fraternelle, en profondeur humaine et chrétienne. »
Légaut regrette l’insistance sur la présence réelle dans l’hostie au détriment d’une compréhension en profondeur de l’acte de la Cène. Vatican II de son côté insiste sur le fait que le but de la messe n’est pas la transformation des espèces eucharistiques, qui n’est certes pas remise en cause par le concile, mais la transformation spirituelle des chrétiens, pour qu’ils deviennent capables de répondre à l’appel de Jésus. Cela rejoint aussi l’insistance de Légaut sur la mission : la prise de conscience de sa mission personnelle est bien le but de la Cène, dans une fidélité de chacun à la fois à Jésus et à son originalité personnelle. Dans la liturgie, l’envoi indique que ce qui vient d’être célébré est maintenant à vivre par chacun, là où Dieu l’appelle. Le concile indique que l’eucharistie est source et sommet de l’évangélisation.
A propos de la présence du Christ dans l’hostie, le Concile la relie à une présence plus large dans l’ensemble de l’Eglise. Lorsque Jésus dit : « ceci est mon corps », il indique que nous pouvons entrer en relation réelle avec lui par la médiation du pain qu’il offre à ses disciples : le corps est bien notre personne en relation avec le monde et les autres. Mais cette rencontre avec Jésus ne peut pas se faire seulement par la piété, insiste Légaut, mais aussi par l’intelligence de ce que Jésus a vécu. La revalorisation de la liturgie de la Parole et de l’homélie voulue par le concile peut aussi aider les chrétiens à progresser dans cette direction, mais aussi toutes les recherches personnelles ou communautaires qu’ils peuvent faire pour comprendre l’Evangile et y découvrir la grandeur et la profondeur de la vie de Jésus.
Père Dominique Bernérias