Le récit de l’Annonciation, mais plus encore les textes évangéliques qui évoquent la nuit de Noël, peuplée d’anges en fête, font de la naissance de Jésus un événement « merveilleux » - bien accordé à la sensibilité et à l’imagination enfantines. Légaut lui-même reconnaît avoir connu, dans son enfance, la fascination pour le merveilleux. Loin de la dénigrer, il estime qu’elle peut être, chez l’enfant, un vecteur de « vie personnelle religieuse (…) en quelque mesure déjà spirituelle » (37)
Il en va tout autrement chez l’adulte. Ici, Légaut se fait critique. L’attrait du merveilleux est, chez l’homme fait, une survivance de puérilité dans le domaine religieux. Il peut sans doute intervenir dans l’émergence d’une vie spirituelle, mais, par les ferveurs et les exaltations qui l’accompagnent ordinairement, il risque fort, par la suite, d’engendrer des pratiques religieuses infantiles – qui ne peuvent que compromettre le développement de cette vie spirituelle.
Légaut va plus loin et dénonce ensuite la fascination du merveilleux d’autant plus durement, semblerait-il, qu’il a été indulgent au départ. Première mise en garde : lorsque le merveilleux d’un récit évangélique retient abusivement l’attention, ce ne peut être qu’au détriment du « message plus secret » (qu’il recèle), « le seul précieux » qui mérite qu’on s’y attache : pour le chrétien, « recherche à mener, (…) appel à écouter qui intéressent la totalité de ce qu’il est et qui lui ouvrent le chemin de son humanité » (43)
Lorsque, de surcroît, ce merveilleux est assimilé au « surnaturel » (les guillemets sont de Légaut), il est générateur des égarements les plus funestes. Légaut ici n’a pas de mots trop forts pour dénoncer « l’errance » d’un attrait du merveilleux qui revêt le manteau de la foi, ou encore la « dérive du rêve au nom de la foi » (38). C’est qu’une telle confusion est grave de conséquences, puisqu’elle entraîne, selon Légaut, la dégradation de la vie spirituelle en fanatisme et en sectarisme.
Ainsi donc, cette méditation prend la nativité de Jésus comme simple point de départ, voire comme prétexte, pour développer l’importance de la « fonction critique » de la raison, que l’homme - et singulièrement le chrétien - met en oeuvre, « mû par l’honnêteté de l’esprit », en étant « attentif aux questions qui s’élèvent progressivement en lui » et en consentant à soumettre à examen « les évidences et les certitudes qui lui viennent du passé » et du milieu dans lequel il vit. (40)
L’esprit critique fait partie intégrante de la vie spirituelle d’un croyant adulte. Légaut aimait à dire que la vie spirituelle a deux ailes : la prière – c’est peu étonnant – et l’esprit critique – c’est plus inattendu ! Dans cette méditation, il fait la part belle à la seconde, mais il faut lire son texte jusqu’au bout, pour se rendre compte que Légaut n’oublie pas l’autre « aile » de la vie spirituelle. Il clôt en effet sa méditation par une longue prière à Jésus, dont voici deux extraits :
En ces temps de Noël où, dans la mémoire de votre naissance le passé et l’avenir se joignent, donnez-nous, à travers la pauvre connaissance que nous avons de votre histoire, l’intelligence de votre existence, toute de foi, toute d’espérance.
Introduisez-nous, sans que nous nous laissions entraîner par les faiblesses et les dévergondages de notre imagination, dans la vision de votre glorification, cette lumière d’éternité, qui a visité l’esprit de vos disciples au moment où ils étaient perdus dans la désolation, et qui a rendu à leurs yeux toute chose nouvelle en les transformant eux-mêmes. (51)
Comme on peut le constater, ce qui intéresse Légaut, au plus profond, c’est moins l’enfant Jésus que l’homme Jésus et l’empreinte vive qu’il a laissée au coeur de ses disciples.