Marcel Légaut est-il difficile à lire ? On le dit. Et les arguments ne manquent pas aux plaignants : phrases trop longues qui font perdre le fil des idées et découragent de poursuivre la lecture, pensée ramassée et concise à longueur de pages où tous les mots comptent, ce qui demande au lecteur un effort soutenu d’attention et de concentration, style qualifié impersonnel d’où est absente toute confidence et anecdote sur la vie et le cheminement de l’auteur, passages franchement obscurs qu’on a beau reprendre mais qui demeurent incompréhensibles, vocabulaire particulier à l’auteur dont il faut appréhender la signification précise pour éviter contre sens et faux-sens, langue austère qui se tient en permanence sur le registre de la sobriété… Les mêmes plaignants ne sont pas sans comparer Légaut à d’autres auteurs spirituels dont les écrits couleraient de source tandis que ceux du berger des Granges compliqueraient inutilement la formulation de sa pensée. Il écrirait, d’après eux, pour une élite.
Marcel Légaut était conscient des reproches qu’on lui adressait mais il répondait qu’il ne pouvait écrire autrement. L’exigence d’exprimer au plus près la profondeur de son expérience spirituelle, en évitant l’inflation verbale, l’obligeait, disait-il, à une expression rigoureuse et précise. Par ailleurs, l’apparente impersonnalité de son écriture était, selon lui, une manière de signifier ce que pouvait avoir d’universel la singularité de son expérience et de rejoindre ainsi en son intime le lecteur en attente spirituelle.
Alors, à quelles conditions Légaut peut-il être lisible par le plus grand nombre (car il est totalement faux de prétendre que Légaut écrive pour une élite puisqu’il invite chacun à vivre avec le plus d’authenticité sa propre existence) ?
Il est d’abord des dispositions intérieures tout à fait nécessaires. En effet, la prose de Légaut ne se laisse découvrir que par des hommes et des femmes qui, ayant entrevu la richesse de sa pensée par quelques phrases glanées au hasard (sur ce site peut-être) ou par le témoignage d’un lecteur, acceptent d’avancer au pas dans un univers inconnu dont ils pressentent qu’il recèle des sources d’eau vive capable d’étancher leur soif de sens.
S’il fallait donner quelques conseils à des lecteurs de Légaut un peu essoufflés ou à de futurs lecteurs, j’oserais dire ceci par expérience :
Commencez par un livre des plus accessibles, comme Patience et Passion d’un croyant (Cerf) ou Questions à, réponses de…Marcel Légaut (Aubier). Ou bien encore par les dossiers où se trouvent transcrites de nombreuses conférences de Légaut. Leur style oral est très abordable. Vous pouvez aussi choisir Chercher Jésus (Cerf) qui est une anthologie de textes de Légaut, remarquablement introduite par trois fins connaisseurs de son oeuvre.
Puis entrez lentement dans un livre comme L’homme à la recherche de son humanité (Aubier, réédité récemment par l’Association Culturelle Marcel Légaut) ou Devenir soi et rechercher le sens de sa propre vie (Cerf). On y trouve la quintessence de sa pensée. Lisez à petits pas, le crayon à la main, sans vouloir dévorer le livre en peu de temps. Rester une année sur un livre n’a rien d’anormal. N’oubliez jamais que ce qui est exprimé n’est pas un discours général sur l’homme mais le témoignage du cheminement intérieur de son auteur, le fruit longuement mûri de sa démarche spirituelle. Cochez dans la marge, notez sur un cahier les phrases qui font écho en vous. Relisez ce qui résiste à votre compréhension. Demandez de l’aide si besoin à un ami lecteur de Légaut ou adressez vous au site et posez vos questions. On vous répondra. Il y a peut-être un groupe de lecture de Légaut non loin de chez vous. Si vous souhaitez y entrer, renseignez-vous sur le site. Durant l’été, vous pouvez aussi participer à des séjours à Mirmande dans la Drôme, consacrés à l’étude de la démarche de Légaut.
Marcel Légaut a écrit une vingtaine d’ouvrages, recensés dans le site. C’est une mine inépuisable. Personnellement, ayant avec enthousiasme découvert Légaut en 1970 avec Introduction à l’intelligence du passé et de l’avenir du christianisme (Aubier), je n’ai cessé de me ressourcer à son oeuvre depuis quarante ans. Chaque nouvelle lecture personnelle ou en groupe aiguise en moi la conscience de l’essentiel, me confirme, me questionne, me tire en avant. Bien d’autres lecteurs de Légaut pourraient témoigner pareillement. Je les invite vivement à prendre la parole à la suite de cet éditorial et exprimer leur propre expérience de la lecture de Légaut.