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Prières d'homme et Marcel Légaut

par Domingo Melero [1]

1.         Le livre Prières d'homme de M. Légaut comporte deux parties bien distinctes: un texte d'introduction qui traite de la prière et onze textes de prière ou pour la prière dont le style s'approche davantage de la poésie. Le premier texte est écrit en prose, il s'agit d'un texte simple et sans fioritures qui aborde le sujet sans autre ordre que celui de ses idées (pro-sum). Les autres textes sont des écrits travaillés d'une autre façon car, eux aussi, expriment des idées mais, en même temps, ils sont écrits un peu plus imaginativement et en vers (avec des mots qui reviennent sur le discours: versus). Leur forme est non seulement noétique mais aussi poétique: leur richesse vient non seulement de la clarté mais de la mémoire où, dans l'audition, même seulement interne, il advient l'union d'un son avec le souvenir d'un son antérieur, et on y sent le temps du discours, qui passe.

Dans cette étude, nous commenterons certaines caractéristiques de ces deux types de texte chez Légaut. 

2.         Tout d'abord, ils ont une caractéristique commune: ils sont issus d'une exigence radicale – propre de la vie spirituelle – qui était le motif pour lequel Légaut s'est mis à l'écriture:

"La vie spirituelle exige le tout de l'homme et, chez les croyants qui en sont capables, la conscience claire de ce qu'ils portent en eux. Aussi, quand cela leur est donné, et ainsi rendu possible, ils doivent témoigner de ce qu'ils vivent en des termes personnels recréés par eux, et non pas seulement se laisser aller à user d'expressions officielles et conventionnelles, par paresse, par respect humain ou par crainte de ne pas correspondre à ce qu'on attend d'eux mondainement ou ecclésiastiquement". [2]

"Quand, par le fait des circonstances, ou encore grâce aux possibilités personnelles, on est capable d'avoir accès à quelque lucidité sur soi, il est nécessaire d'y atteindre parce que le tout de l'homme doit être présent dans la prière (...)" [3]

Comment ne pas relier cette exigence du «don total» de l'homme, incluant ses capacités intellectuelles (de réflexion et d'expression), avec la précision sur le "premier et le plus grand commandement" que l'on trouve en Mt 22, 37: aimer Dieu "de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit"? Cette précision de Mathieu ne se réfère pas à la vie spirituelle (comme dit Légaut) mais bien à l'amour ("tu aimeras le Seigneur, ton Dieu") qui, curieusement, est l'objet d'un commandement de la Loi, s'adressant à tous les juifs. Alors, le paradoxe de cet "amour" personel qui est commandé à tous nous fait penser que ce texte, ancien de vingt siècles et qui nous vient du Deutéronome, plus ancien encore, nécessite une nouvelle interprétation dont l'un des points serait l'affinité entre la radicalité de la précision de Mathieu (de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit) et l'exigence du «don total» dans la vie spirituelle, au sein de laquelle l'activité intellectuelle doit être présente.

3.         Quant aux textes sur la prière (l'usage du pluriel, pour parler des textes, est dû au fait que Légaut a écrit sur la prière à plusieurs reprises [4]), l'exigence intellectuelle commande de: réfléchir sur ce qui est reçu; dire honnêtement ce que la prière comporte et ne comporte pas; et inventer une représentation la plus adéquate possible (même si c'est toujours approximatif) de qu'on croit être la prière et de ce qu'on fait lorsque l'on entre en prière.

Légaut, dans la mesure où il ressent cette exigence intellectuelle, se demande: la prière, en moi, qu'est-ce que c'est ? En quoi consiste-t-elle ? Est-ce un état ? Est-ce une activité ? Que se passe-t-il quand on prie ? Quelle relation a-t-elle avec les croyances et en quoi est-elle antérieure ou indépendante de celles-ci ? Quelle est l'importance d'une expression juste lorsque l'on prie ? Comment user des expressions utilisées par les autres ? La prière – cette action liée à une tradition mais cependant si personnelle – et qui est, à la fois, gestuelle, orale, mentale, mais aussi et surtout spirituelle –, quel sens a-t-elle ? C'est-à-dire, entre autres choses, en quoi est-ce "un monologue vivant qui résonne en soi comme un dialogue véritable avec Dieu" [5] ? Et, en plus, que penser de son "efficacité", non seulement pour le priant (efficacité pas seulement psychologique, il va sans dire) mais aussi dans le monde et chez les autres, et surtout en Dieu ?

4.         La réflexion de Légaut, cependant, n'est pas le résultat d'une étude sociologique et historique, de type général, propre aux sciences humaines. Une semblable étude n'est nécessaire qu'en autant qu'elle fournit des informations qui aident à penser et à situer ce phénomène de la prière, qui, même s'il s'agit d'une réalité très personnelle, a été vécu dans des époques et des lieux très divers et de manières très différentes. De plus, à notre époque, la prière peut se vivre selon des formes qu'autrefois on ne reconnaissait pas comme telles et qui pourtant étaient prière.

 Une autre information aidant à penser la prière est, par exemple, le fait que, initialement, selon la réalité sociale, la prière était plus une activité collective que personnelle, un rite social dans lequel le collectif primait sur l'individuel: hymnes ou chants prononcés par tous ou par un chef représentant le groupe. En ce sens, anciennement, dans beaucoup de traditions religieuses, au cours de certaines circonstances sacrées, il n'était pas permis au simple fidèle, à l'homme du commun – et encore moins à la femme –, de prier. Ainsi la prière supposait alors un accès à Dieu dont seulement étaient jugées dignes les personnes consacrées, les personnes sans taches ou les plus âgées. Au sein de notre vaste et complexe tradition religieuse prenons, par exemple, la différence qu'il y avait dans le judaisme entre le culte sacerdotal du temple et le culte rabbinique de la synagogue; cette même distinction existait dans la religion de Rome et de la Grèce antiques; ainsi que la prééminence séculaire des religieux et du clergé dans le christianisme, grâce à leur "consécration" qui leur conférait un rôle de médiateurs et d'intercesseurs supposés dignes d'après une certaine idée de Dieu (pontifex).

Une autre de ces informations significatives – liée à celle évoquée précédemment – est le fait que la prière s'adressait à Dieu avec une familiarité étonnante (pensons à l'usage du tutoiement), ce qui laisse supposer que plus que de familiarité il s'agissait d'une manière utilitaire de prier, puisqu'en ces temps anciens, la prière était une manière d'avoir du pouvoir ou de l'influence sur les puissances divines, indomptées et menaçantes de par sa grandeur, qu'on croyait être la cause des phénomènes inexpliqués. De fait, n'est-ce pas ainsi qu'encore beaucoup conçoivent l'efficacité de la prière, et partant sa raison d'être? Au lieu de nous savoir et d'être "devant Dieu" dans une relation gratuite de communion et d'amitié, et non pour un intérêt égocentré, combien de fois ne concevons-nous pas la prière comme "un apport supplémentaire à l'activité humaine pour que celle-ci bénéficie d'une plus grande efficacité", ou comme "un dernier recours pour obtenir – à condition d'être exaucée – ce que nos efforts ordinaires ne peuvent atteindre, c'est-à-dire une espèce de prolongation magique de l'action humaine lorsque celle-ci n'a plus de moyens vraiment efficaces ? [6]

Finalement, une troisième information intéressante est la constatation que, malgré les possibles régressions et en dépit d'avancées faites au travers de déviations, la prière a évolué vers une spiritualisation et une individualisation constante, en partie dûes à la culture de l'écrit. En ce sens, à titre d'exemple, le protestantisme libéral des débuts du siècle tendait à considérer la prière (non sans raisons) comme le centre de la religion, c'est-à-dire comme la "religion en acte", par opposition aux rites sacramentels, plutôt catholiques. Et, pour sa part, au sein du catholicisme, où ces rites occupent toujours une place centrale, l'évolution a été dans le même sens quoiqu'avec des éléments qui plus tard ont été critiqués: par exemple, avant Vatican II, même si on n'encourageait pas la lecture de la Bible comme dans le protestantisme, le temps de la messe, par contre, était vécu comme un temps de piété et de prière individuelle – abstraction faite, comme je l'ai dit précédemment, de la déviation faisant que l'individuel prévalait sur le collectif, et surtout que ce collectif (ou public) soit interprété plus comme une réalité de groupe que comme une réalité communautaire, selon la distinction très critique faite par Légaut à ce sujet. [7]

5.            D'autre part, la réflexion de Légaut n'est pas une réflexion théologique faite à partir d'une doctrine générale qui s'applique ensuite à un domaine particulier. Cependant cela n'empêche pas Légaut de réfléchir sur la relation existant entre la conception que l'on se fait de Dieu et le type de prière que l'on pratique. Parce que, en effet, en scrutant sa propre prière et ses présupposés implicites, nous pouvons entrevoir quelle est la conception de Dieu que nous avons réellement. [8]

Cette réflexion de Légaut sur la prière ne consiste pas non plus en un développement systématique, cette fois de type pratique, autour des techniques et conditions favorables à la prière, à la manière des livres d'ascèse d'autrefois ou d'autres traditions religieuses également anciennes mais aujourd'hui plus acceptées, comme les orientales. Ces techniques et ces conditions apparaissent à Légaut secondes bien que pas secondaires. Insister sur celles-ci lui semble moins important que de clarifier l'essentiel qui, selon lui, est de mettre en relation la  prière avec l'être et la mission de chacun. [9]

La réflexion de Légaut sur la prière provient de ce qu'il se rappelle, rendu déjà vieux, de son rêve de jeunesse. Souvenir oublié mais plus tard réalisé sans que cela soit le fruit d'un projet maintenu volontairement, son rêve était de pouvoir traiter de la vie spirituelle "en évitant l'inflation sentimentale et la systématisation intellectuelle. (...) Dire modestement, dans l'honnêteté de l'esprit, juste ce que je vis (...), pas plus, pas moins. Ne pas fuire ni taire ce qui est, au nom de ce qui devrait être, comme le font tant de livres qui traitent de la religion." Et, de plus, "se tenir dans une indépendance radicale à l'égard de la manière dont cela pourrait être reçu." [10]

En ce sens, ses textes sur la prière ne sont pas, non plus, des traités de "spiritualité". Légaut, qui disait de lui "je suis un sauvage" pour mettre en évidence la singularité de ses écrits, aurait pu intituler son livre "Prières d'un homme". Cependant, il supprima l'article parce que, tel qu'il l'exprime dans la préface de HRH, "tout individuelle que soit cette manière de voir et de vivre, l'auteur pense qu'elle est enracinée suffisamment en lui pour que nombre d'hommes s'y reconnaissent" puisque "l'universel n'est perçu qu'à travers le particulier."[11] Particulier qui, d'autre part, s'exprime mieux en termes abstraits tant par discrétion que pour laisser l'autre libre. L'exigence de totalité de la vie spirituelle (qui, comme nous le verrons, nous conduit au genre du témoignage) connaît le sens de la pudeur et ne promeut pas l'exhibitionisme du "je". Tout en étant juste et nécessaire de rendre ce témoignage, il laisse toujours un goût comme d'imposture que, curieusement, les professeurs et les vulgarisateurs souvent ignorent . [12]

 Aussi, si Légaut intitule son livre "Prières d'homme", c'est pour souligner l'importance de partir de la prière humaine de base qui n'a pas à être expressément religieuse, qui est indépendante et première, face à toute adhésion idéologique ou confessionnelle, croyante ou non (prière "adamique" nous pourrions dire, avant d'être juive, boudique, chrétienne, etc.).

 Ce qui, toutefois, n'a pas empêché Légaut de reconnaître sa relation spéciale avec le christianisme. Cependant, sa rupture biographique des années quarante l'a amené à une recherche suffisamment libre pour tout reprendre à la base, comme il reprit la terre abandonnée des Granges dont il reconstruisit les bâtiments et remit en culture les champs en friche depuis vingt ans, lorsqu'il opéra sa "descente" d'une carrière universitaire à la simple vie de paysan. L'homme est "héritier d'un labeur immense" (comme il dit dans sa prière V) mais aussi d'un abandon non moins grand; d'avancées et de réussites valeureuses mais aussi de régressions et d'échecs cuisants. D'une certaine manière, tout est à refaire à chaque génération sans qu'on puisse se considérer moralement meilleur que nos prédécesseurs, étant donné que, si nous pouvons découvrir le feu qui nous brûle, c'est précisément grâce à eux. [13] Être dans et être d'une tradition est d'un autre ordre que d'appartenir à une institution ou être membre d'une organisation.

6.         En résumé, les textes de Légaut sur la prière, incluant la Préface de ce livre, ne sont pas une étude scientifique, pas plus qu'un traité systématique réalisé par quelqu'un dans le cadre de son travail académique, mais bien un genre de témoignage personnel, fruit de plusieurs années non pas d'étude mais de solitude, non pas de recherches bibliographiques mais de réflexion continue. Il s'agit donc du partage de quelques affirmations de base qui manifestent clairement et sans équivoques ce qu'est pour lui la prière, en totale indépendance de ce que les autres pourraient en penser, voire même condamner. [14]

7.         Mais qu'est-ce, au juste, cette "espèce de témoignage" ? Et conséquemment, comment faut-il lire les textes de Légaut sur la prière ainsi que tous ses autres textes en prose ? Pour répondre à ces questions, deux fragments illustrent "l'incipit" de l'étape d'écriture qui a bien germé et s'est bien enraciné en Légaut durant ce temps de jachère intellectuelle qu'ont été notamment les dix premières années de son travail paysan:

 "Depuis que je vis séparé de vous dans ma solitude au milieu des montagnes, combien de fois j'ai pensé à ce que j'allais vous dire ! (...) Combien de fois j'ai composé dans ma tête ce témoignage personnel que je vous écris maintenant ! Parce que maintenant alors que j'ai rarement un auditoire, moi qui avais l'habitude de méditer à voix haute devant vous, je suis submergé par mon verbe intérieur." [15]

"Pendant les longues heures que je passe à garder mon troupeau en montagne, que de fois ai-je pensé au mystère de notre impuissance à ouvrir autrui sur ce qui nous est essentiel et dont il a si peu part !" [16]

  Cette expérience singulière, Légaut l'élève au niveau de l'universel lorsque, deux années plus tard, il écrit un article intitulé "Le témoignage de l'adulte" que nous avons cité précédemment. Il l'élève dans un paragraphe qui, sans le savoir, fut prophétique de ce qui allait être son activité principale durant la trentaine d'années qui lui restait à vivre.

 "La vie spirituelle, comme toute vie, aspire à se communiquer; c'est son instinct profond. Le besoin de communication mesure son intensité; à certaines heures, le plus solitaire des hommes est poussé à dialoguer intérieurement avec ceux qu'il a connus jadis, avec ceux qui l'entendirent et l'accueillirent un jour. Parler et se dire à soi et à son Dieu, parler et se dire à autrui, sont les deux temps de la respiration spirituelle de l'homme." [17]

Nous devons commenter ce paragraphe pour répondre aux questions posées quant au genre d'écrit auquel appartient le témoignage, utilisé par Légaut dans ses textes sur la prière. Nous verrons aussi la relation entre ce type de texte et deux autres genres utilisés par Légaut: la méditation et la prière proprement dite.

Ce paragraphe de Légaut commence par une affirmation forte et fondamentale sur la communication et donc sur l'expression: "la vie spirituelle, comme toute vie, aspire à se communiquer". Ainsi, la communication (et nécessairement l'expression) n'est pas un ajout, quelque chose d'extérieur à la vie spirituelle mais bien un élément intrinsèque au mouvement-même de l'expérience et de la conscience. L'expression fait partie de l'expérience. De fait, vivre est une forme d'expression et, sans l'expression voulue, linguistique, l'expérience et la conscience ne sont pas aussi pleines qu'elles peuvent l'être. Cela se constate dans les situations limites au cours desquelles être coincide avec dire: "à certaines heures, le plus solitaire des hommes est poussé à dialoguer intérieurement...".

Nous n'ajouterons qu'un seul commentaire à cette constatation: le mouvement intérieur de communiquer n'utilise pas seulement la voie de la parole dite mais aussi celle de la parole écrite qui, en plus de dépasser les limites de l'espace et du temps qui souvent nous séparent (comme la distance et l'empressement), est un moyen privilégié d'attention et de recueillement. Légaut a connu par expérience ce que disait Cervantes: «la plume est la langue de l'âme». Ainsi l'âme devient-elle davantage elle-même quand elle se communique par l'effort de l'écriture. "Dure ascèse" dont Augustin d'Hippone connaissait déjà le fruit, lui qui écrivit ses Confessions avec la langue de sa plume (lingua calami).

Après cette première affirmation de base, le paragraphe de Légaut fournit un second élément: l'acte de la communication fondamentale peut différer selon qui est son destinataire principal. Alors que la prière est adressée "à soi-même et à son Dieu", le témoignage est adressé à "un autre". Le corollaire est clair: le témoignage est donc un mode d'expression du même ordre que la prière, puisque l'un et l'autre sont "les deux temps de la respiration spirituelle de l'homme", qui ne sont dirigés, à l'origine, qu'à un interlocuteur différent. La prééminence conventionnelle de la prière comme langage spirituel n'est pas en accord avec le commandement de Jésus qui met au même rang l'amour de Dieu et l'amour du prochain, ni avec une idée de Dieu suffisamment raffinée.

Arrivés à ce stade et suivant l'esprit de ce paragraphe capital de Légaut, faisons un pas de plus et abordons un troisième point. Il est évident que dans le premier temps "de la respiration spirituelle de l'homme", il y a le dialogue intérieur que l'homme adresse "à lui-même et à son Dieu" mais, le Dieu de cet homme (son Dieu) lui étant intérieur, ou bien il se dit à lui-même (en sa propre présence) sans mentionner Dieu, ce qui nous donnerait le mode de la méditation (ou de la réflexion spirituelle), ou bien il s'adresse expressément à Lui, ce qui nous mènerait alors au mode d'expression communément appelé prière.

Cependant, quatrièmement, ce qui est intéressant c'est que, dans le second temps "de la respiration spirituelle de l'homme" qui est le témoignage, Légaut ne nomme pas Dieu sinon simplement l'autre: parlant de "se dire à l'autre" il n'ajoute pas et "à Dieu". Pourtant, selon le commandement de l'amour dont nous avons parlé, et selon le niveau de communication où nous nous plaçons, ne devrions-nous pas affirmer qu'il y a un implicite "et à Dieu" à coté de "se dire à l'autre" – un autre, bien entendu, qui nous soit suffisamment intime pour être présent au sein de notre solitude fondamentale?

En effet, se dire à l'autre au niveau du témoignage, n'est-ce pas partager avec lui une parole qui est du même ordre que celui symbolisé dans les actions et "oeuvres de miséricorde" comme donner du pain à l'affamé, de l'eau à l'assoiffé, vêtir la personne dénudée ou visiter le malade ? Le témoignage d'un adulte à un autre, ne serait-il pas, en effet, un agir d'être à être d'une égale qualité ou nécessité ? Ne serait-il pas une action pour laquelle, selon la parabole, le Fils de l'Homme, le dernier jour, celui du jugement final, dira que celui qui l'aura fait à son semblable, "c'est à moi qu'il l'aura fait", tel que relaté en Mathieu 25 ? Pour cela, ce passage évangélique, ne laisse entrevoir en plus que seul restera ce qui relève de la communication d'être à être, de coeur à coeur, et non de l'adhésion à des croyances ou une conformité morale, religieuse ou laique ?

De toute façon, ce qui est clair c'est que le mouvement spirituel de communiquer aux autres ou à soi-même – que ce soit oralement ou par écrit ­– est un acte dans lequel coincident, à la limite, le faire, le dire et l'être-même du sujet. Selon l'interlocuteur qui prédomine ("soi-même", "son Dieu" ou "un autre"), on peut lui donner trois noms différents: méditation, prière ou témoignage. Trois appellations qui sont en rapport, sans coincider exactement, avec les trois genres littéraires: poésie, narration et théâtre, dont la "vie spirituelle" serait le ferment, conscient ou non, qui, selon l'adage ancien, ne les détruirait pas mais les transformerait.

Une fois cela dit, il faut insister sur le fait que, dans l'ordre spirituel, et au plan de l'expression et de son apport à l'expérience, la méditation (ou réflexion personnelle) et le témoignage (fait à quelqu'un) sont du même ordre que la prière et donc, par conséquent, que cette dernière n'est pas l'unique discours spirituel ni l'essentiel ni le seul où la question de Dieu se pose; de telle façon que, si la question de Dieu se posait seulement dans le fait de la prière, la question serait alors mal posée dès le commencement. Comme Dieu nous est invisible alors que l'autre ou soi-même nosus sommes visibles, comment pourrions-nous croire que nous disons "des paroles vraies" à Dieu dans la prière si nous ne parvenions également à nous adresser à nous-mêmes ni aux autres des paroles vraies ?

Dans le cas de Légaut, habituellement ses textes en prose combinent la méditation et le témoignage, et rarement se transforment en prière, mais c'est notable lorsque cela se produit; et d'autre part, ses textes de prière commencent souvent comme méditation avant de devenir proprement prière. Heureusement, et d'une manière ou d'une autre, l'effort d'expression chez Légaut fait partie de son «don total» qui, comme nous l'indiquions au début, est exigé de tout homme par sa vie proprement humaine ou spirituelle. Car, comme nous disions, l'expression fait partie de l'expérience et une expérience qu'on ne réussit pas à formuler n'est pas totalement intégré en soi. Pour cette raison, de même que le repos contemplatif n'est pleinement rayonnant qu'après l'action, de même le silence (devant soi, devant Dieu et devant les autres) n'atteint son niveau d'excellence, comme méditation, prière et témoignage, qu'après l'ascèse active de la parole et de l'écriture. Sans elles, le silence facilement peut obéir à un motif caché où la recherche du vide ne serait pas étrangère à la peur, la paresse ou quelque démission, soit de la volonté ou de l'intellect. [18]

D'autre part, on ne peut caractériser le témoignage (de même que la méditation ou la prière) sans rappeler que celui-ci exige d'être reçu par quelqu'un se situant au même plan que celui qui le livre. À un certain type de parole ou d'écriture correspond un certain type d'audition, de lecture et de présence à soi et aux autres.

Quant au type d'appropriation et "d'efficacité" des textes de méditation et de prière nous en parlerons plus avant. Concernant les textes qui combinent témoignage et méditation (comme les proses de Légaut), il faut affirmer qu'ils font partie d'un mouvement qui, pour une part, ne se développe pas sans les hommes qui en sont les agents et les récepteurs, mais qui, d'autre part, n'est pas seulement d'eux puisque ce mouvement vient de plus loin et va plus loin: il ne s'arrête pas à eux mais il passe en eux et traverse ceux qui, momentanément ne sont que la scène sur laquelle la tradition (une manifestation de ce que certains appellent l'esprit) se transmet dans l'espace et le temps. [19]

 8.            Maintenant que nous avons exploré ce qu'est le témoignage, nous pouvons remarquer qu'une caractéristique du témoignage dont l'objet spécifique est la vie spirituelle c'est qu'il varie selon la vie du témoin. En voici un exemple.

Au début des années 70, Légaut, avec ses larges favoris, sa moustache, ses cheveux en bataille, vêtu de son vieil habit, son béret et son cache-nez, devant ses auditoires, parfois nombreux, commençait ou terminait ses conférences, de manière insolite, par l'une de ses prières récitée à voix haute et de mémoire. Ces textes compilés une première fois dans un petit livret édité à Liège en 1974, furent repris dans Prières d'homme (1978) en y ajoutant une Préface portant sur la prière.

Six années plus tard (1984), Prières d'homme fut édité une deuxième fois mais avec une variation importante: Légaut changea douze premiers paragraphes de la Préface. Voyant ce changement, nous avons pensé que, dans l'édition en espagnol (CD7), il serait bien de publier les vingt-quatre paragraphes (les douze originaux et les douze de substitution), ce que nous fîmes avec l'accord de Légaut qui, comme nous l'a-t-il confirmé, ne reniait pas ce qu'il avait écrit originellement. [20] Cet exemple nous confirme donc que le contenu du témoignage dont l'objet est la vie spirituelle varie selon ce qui est vécu par le témoin.

Mais poursuivons avec cet exemple. Quelle était la différence entre les paragraphes supprimés et ceux de substitution ? L'idée fondamentale exprimée dans les paragraphes supprimés était essentiellement que la prière appartient, plus qu'à l'ordre du faire et du dire, à l'ordre de l'être qui, pour Légaut, est celui de la foi en soi et de la mission. Tandis que l'idée fondamentale des nouveaux paragraphes est que la prière est indépendante des croyances qu'on a, et que l'essentiel c'est ce mouvement de fond, ressenti au niveau de son existence, présent même lorsque, par honnêteté intellectuelle, quelqu'un s'affirme comme incroyant vis-à-vis ce que son milieu professe comme croyances d'une religion établie (dans ce cas, le christianisme). [21]

À quoi est dû ce changement d'idée principale ? Une hypothèse pouvant expliquer cette substitution est que les premiers paragraphes partaient davantage des relations fondamentales pour prendre conscience de l'être (ce niveau antérieur et indépendant de toute expression), tandis que le texte de substitution part de la nécessité de distinguer foi et croyances. Si ce changement de perspective correspond à la différence que l'on retrouve entre les premiers chapitres de HRH, où l'attention est davantage portée sur les relations et les expériences humaines fondamentales, et les chapitres suivants qui abordent la distinction entre foi et adhésion idéologique, la substitution des paragraphes de cette Préface, ne serait-elle pas dûe à un changement entre un "premier" Légaut, plus proche de la vie personnelle vécue aux Granges, et un Légaut postérieur, plus itinérant et plus en contact avec le christianisme de ses lecteurs ? Au moment de cette substitution (1984), Légaut venait d'écrire Devenir soi (1981) et était en train de préparer son important texte "Foi et modernité" qui deviendra le premier chapitre de Un homme de foi et son Église (1988), dont le contenu annonçait son dernier livre, publié à titre posthume: Vie spirituelle et modernité (1992); aussi ces textes confirmeraient notre interprétation du changement fait dans la Préface de Prières d'homme. [22]

Ainsi donc, tel que nous l'avions déjà indiqué dans un commentaire précédent, lorsqu'une référence biographique aux années vécues aux Granges nous a aidé à comprendre la prose de Légaut (formée des genres littéraires que sont le témoignage et l'essai au plan spirituel), de même ici, une autre référence biographique (le changement qu'a supposé pour Légaut sortir de sa ferme des Granges pour entrer en contact direct avec ses lecteurs) nous aide à mieux comprendre la modification apportée par Légaut dans son essai sur la prière, dans la seconde édition de Prières d'homme.

9.         Dans ce qui précède, nous avons établi et décrit le genre littéraire des textes en prose de Légaut (entre méditation et témoignage) incluant ceux où il traite de la prière. Et nous avons tenté de comprendre pourquoi il a changé les paragraphes dans la seconde édition de la Préface. Nous voudrions maintenant insister sur ce qu'il y a de commun dans ces deux versions malgré leur différence.

Dans un cas comme dans l'autre, ce qui ne change pas c'est la recherche de ce qui est "antérieur" et à la base des actes seconds: une manière d'être en acte qui est première et indépendante. C'est-à-dire qu'il s'agit d'arriver à entrevoir que, avant et comme à la base de la "prière dite" et de la "prière proprement chrétienne", il y a (ou il n'y a pas), dans l'homme, une "prière silencieuse", une "prière sans la foi" (dans le sens d'indépendante des croyances): une "prière essentielle" [23], qui est fondamentale et qui est une espèce "d'état de prière". Celle-ci, même cachée, est agissante quand la personne a franchi le seuil de la vie spirituelle; seuil qui consiste à prendre la vie au sérieux et à reconnaître le caractère absolu des exigences intérieures, soit par des "refus" ou par des "adhésions" marqués par une certaine finesse, qui caractérise la foi en l'autre et la foi en soi-même [24], soit, par exemple, quand on dit "jamais" et quand on dit "toujours", même si cela prend une forme abrupte.

Cet état de prière, antérieur et postérieur au discours ilocutif adressé à Dieu et au discours représentatif sur Lui, Légaut l'exprime expressément dans les prières V et VI, où cet état unit adversativement notre conscience du tragique et limité de l'existence (voire: notre "carence d'être") avec l'affirmation propre à la "foi en soi" : "Infimes, éphémères mais nécessaires, etc..."

Cette état ou cette prière silencieuse est avant tout une activité spécifique de l'homme; activité qu'on peut qualifier de naturelle et métaphysique, car, comme l'affirme Légaut: "toute recherche qui affecte l'essentiel humain de manière décisive est prière". [25] Cette affirmation de Légaut établissant, en plus, que la prière non seulement est la compagne de la conscience de nos limites (ce qui s'accorde avec la sensibilité philosophique et phénoménologique de l'époque) mais aussi des "moments aériens" à l'occasion desquels, grâce à une espèce de difficile facilité, l'homme survole son existence avec une certaine plénitude et harmonie; il saisit alors non seulement les exigences qui lui sont intérieures mais aussi quelques moments de lumière; et il entre en contact avec lui-même et avec l'autre de manière tellement claire que s'il le nie, il se renie lui-même. [26]

Affirmant ceci Légaut, et selon ces perspectives, combien de poèmes et de textes véritables, qui résument l'humain universel par des paroles dignes d'être gardées dans le trésor de la mémoire et de la tradition, pourrions-nous reconnaître et transformer en prière, même s'ils ne sont pas expressément religieux! "Tous les états intérieurs, toutes les actions de l'homme qui sont la conséquence d'une réponse à l'appel de Dieu et non des déterminismes qui opèrent dans le monde sont ce qui constitue sa prière (...)  Sans prononcer le nom de Dieu, toute formulation est prière si, aidée par elle, l'homme prend davantage conscience de lui-même", tel que l'affirmait Légaut. [27]

 Mais l'état de prière n'est pas seulement antérieur au discours ilocutif adressé à Dieu et au discours représentatif sur Dieu; il est aussi postérieur à eux; il est, en somme, distinct et indépendant. Conséquemment, après les affirmations précédentes, Légaut ajoute celle-ci:

"Toute formulation qui parle de Dieu et de son oeuvre conformément à l'armature des idéologies, peu importe leur caractère infantile, malgré qu'elle ne possède qu'une relation éloignée avec ce qui est réellement vécu et désiré, est déjà une esquisse de prière réelle quand l'homme la dit religieusement dans le recueillement; ainsi, bien que pauvrement, il s'efforce d'aller à la rencontre de lui-même et d'entrer dans sa voie. Les formules de prière, parce qu'elles poussent le croyant à "faire des prières" au-delà d'une simple routine de conformisme revêtu de piété, même si elles sont parfois emphatiques et irréelles, sont déjà une prémisse de la prière fondamentale qui – il faut l'affirmer – se vit au niveau de l'être et puise sa source dans les profondeurs humaines". [28] Qui se risquera, même si on est un théologien radical, à juger la prière d'un autre ? Pour éviter de le faire, il suffit de s'arrêter à ce que dit Légaut, sur Dieu et sur l'homme, dans ses prières III et IV, dans lesquelles il atteint le fond au-delà de la forme.

10.            L'important, tel que formulé au début, c'est d'abandonner le mode utilitaire et égocentré, voire idéologique, de la prière, dans lequel Dieu paraît être la réponse à ce qui nous manque. Cette façon de voir la prière, qui s'est presqu'imposée comme unique soit pour la défendre ou pour la critiquer, empêche de comprendre que la prière fait partie, comme la méditation et le témoignage, de nos désirs les plus profonds. Le pire de l'idéologie c'est qu'elle masque Dieu. Cependant, quand cet obstacle disparaît et que la possibilité d'un rapport adulte se fait jour, combien alors la prière nous apparaît différente ! Elle est alors perçue non en termes de nécessité (à laquelle l'homme ou bien se soumet, ou bien de laquelle il se rebelle) mais plutôt en termes de désir, c'est-à-dire comme un "amour libre": "Oh amour enfin adulte, amour-sagesse, qui consiste à désirer ce qui est déjà en nous!". (Oh, amor adulto, amor maestro, que consiste en desear lo que ya es nuestro). [29]

Pour libérer la prière et la faire passer du besoin au désir, Légaut pensait qu'une situation culturelle "moderne" comme la nôtre (sans être indispensable) pouvait être favorable, et ceci pour deux raisons: premièrement, parce que la connaissance de la réalité a changé et, avec elle, la connaissance de Dieu et de l'homme. La connaissance de l'homme et de la réalité est maintenant autonome, Dieu n'est plus nécessaire; et deuxièmement, parce que la manière de penser la communication et la relation a également changé: le modèle de référence n'est plus hiérarchique, dans le sens de domination et de soumission, mais interpersonnel, de personne à personne, avec le rejet que cela comporte, non des différences de niveau d'être et de qualité, qui sont un fait, mais de leur dérive, si fréquente, vers des situations d'inégalité et de pouvoir, de dépendance et d'arbitraire. [30] Dieu, n'étant compris ni comme nécessaire ni comme supérieur, peut devenir désirable.

11.            Maintenant passons aux onze textes qui suivent la Préface et qui ne sont pas des textes sur la prière mais sont des prières ou des textes pour la prière. Réfléchissons sur la manière dont Légaut conçoit son élaboration et son usage et faisons-le à l'aide de deux observations.

 En premier lieu, notons combien ces textes sont brefs comparativement à la longueur de ceux qui traitent de la prière. [31] Cela donne à penser que Légaut à la fin de sa vie, ne considérait comme siennes que ces onze prières. Cependant, malgré la pauvreté numérique de cette récolte, n'est-ce pas un indice supplémentaire de leur authenticité et de leur intensité ? La poésie n'est-elle pas, elle aussi, brève lorsqu'elle est réellement "parole essentielle dans le temps", comme disait Antonio Machado ? En second lieu, il peut sembler étrange que ces textes furent (pour ce que nous en savons) des fruits tardifs, mis par écrit autour de ses soixante ans. Car nous sommes enclins à penser que la poésie (et ces textes en sont proches) sont plutôt des oeuvres de jeunesse.

Au contraire de cette idée répandue, l'affinité entre la prière véritable et l'âge adulte se révèle et devient évidente à partir de quelques exemples que Légaut cite dans son Introduction. Ne sont-ils pas des fruits tardifs de leurs créateurs ? Les Psaumes, par exemple, n'apparaissent-ils pas bien tardivement dans la grande épopée racontée par le peuple hébreux ? Et la scène au cours de laquelle les disciples demandent au Maître de leur apprendre à prier, et où celui-ci leur découvre le Notre Père, ne se situe-t-elle pas à un moment avancé de leur vie auprès de Jésus, l'ayant vu de nombreuses fois se retirer pour prier seul, si on se situe au plan biographique bien que ce ne soit pas le critère principal de l'ordre de rédaction des Évangiles ? Le Prologue de l'Évangile de Jean, ne vient-il pas après les trois Évangiles synoptiques, de rédaction plus ancienne, et n'est-il pas une ultime synthèse comme a pu l'être le premier chapitre de la Genèse, qui l'a inspiré, bien que ces deux textes aient été placés au début de leur livre respectif ? Et le Cantique spirituel de Jean de la Croix, ne date-t-il pas de ses dix dernières années de vie, lorsqu'il avait près de quarante ans ?

Il arrive de même en poésie qu'en amitié. Le temps fait son oeuvre de maturation: la qualité augmente quand il y a un fort potentiel au départ, mais rares sont ceux qui perdurent: poèmes, prières ou amitiés. De même que personne n'est prophète en son pays (d'où vient le fameux: "il vaut mieux que je m'en aille"), de même peu d'écrits sont durables et reconnus en leurs temps. Toute fermentation demande un temps caché et sous-terrains, temps de maturation reposant uniquement sur la ténacité. Ainsi, il y a déjà plusieurs années, un bon ami me fit découvrir le commentaire de Jean de La Croix sur le livre de Ben Sira (9, 15): "Le nouvel ami est comme le vin nouveau, laisse-le maturer, tu le boiras plus suavement". En effet, les textes de poésie et de prière qu'on fait nôtres sont comme de vieux amis. "Au long du chemin de la vie (...) seules quelques paroles vraies, échos d'une profondeur qui parfois s'ouvre à lui, peuvent permettre à l'homme de prier avec tout son être. Elles sont filles de pensées justes, montées à l'esprit comme sous l'action d'un indicible ferment (...). Dire des paroles vraies qui soient issues de ce qui a été fortement vécu et ne peut plus ne pas être, de ce qui sera encore essentiel à vivre de la sorte que toujours cela demeurera, est rare. Ces paroles ne sont pas à la disposition de celui qui s'y efforce", comme le dira Légaut. [32]

12.       La pauvreté et la tardiveté de la récolte nous indiquent aussi que les textes de prière ne peuvent être lus comme n'importe quel autre type de textes. De la même manière qu'un recueil de poèmes ne peut être lu comme on lit une nouvelle ou un essai, de même en est-il des prières. Devant un texte narratif, le lecteur participe tant par l'identification avec les personnages comme par la représentation des faits. Devant un essai ou un texte réflexif, le lecteur participe tant par l'examen critique comme par l'assimilation de l'information et par la sympathie envers les idées entrevues dans l'argumentation. Toutefois, le cas des poèmes et des prières est différent. Il ne s'agit pas principalement de participation mais d'utilisation, de "subrogation", au point de les faire siens et de se servir d'eux comme si on les avait composés soi-même. On ne lit les poèmes, on les utilise.

           L'usage des poèmes et des textes de prière est un acte récitatif (rythmique, par coeur) dans lequel (comme l'indique Sánchez Ferlosio) le sujet qui parle et qui emploie le texte occupe la place vide du "je" pronominal du texte. Peu importe que le poème soit créé par un autre qui en serait le premier propriétaire et utilisateur, comme s'il s'agisait d'une maison construite avec des paroles. Lors de son usage, le texte appartient à celui qui l'utilise et qui se dit lui-même à l'aide de ce texte. Pareillement en est-il dans l'usage du pronom de la seconde personne quand le poème est illocutif ou le texte este de priére. Alors, l'interlocuteur de celui qui utilise ce texte (des hommes, des êtres ou Dieu) occupe la place vide du "tu" ou du "vous" pronominal du texte.

Peu à peu, par cette pratique de "subrogation", les poèmes et les textes de prière ou de témoignage qu'on s'approprie se convertissent en formules rituelles personnelles pour exprimer et célébrer son existence d'une manière singulière et mémorable. Ils deviennent une espèce de liturgie, sobre et intime (Mt. 6, 6-8: "retire-toi dans ta chambre", "ferme sur toi la porte", "dans vos prières, ne rabâchez pas").

 13.       Dans l'utilisation des textes de prière, le danger de la routine est tellement grand que Légaut dans son invitation à "prier" insiste, comme nous l'avons signalé antérieurement, que l'essentiel est plus profond et premier que de dire ou de faire des prières; qu'il consiste à vivre une espèce de recueillement habituel ou d'état de prière. Seulement ce recueillement habituel – où l'homme est conscient que la prière comme telle coule à travers lui – permet que la récitation ne débouche pas dans une routine mais dans la profonde familiarité que donne l'habitude.

C'est un état qui ne s'apprend ni ne s'enseigne, ni non plus ne s'atteint par une technique ou des exercices, même si ceux-ci sont les plus indiqués. Ce recueillement et cet état est, par contre, en puissance (et c'est comme si on pouvait le voir venir ou monter) chez celui qui vit avec sérieux sa condition humaine, infime et éphémère mais grande, c'est-à-dire nécessaire et durable. Ce recueillement et cet état se vit au plan de la mission et de l'existence. Pour cette raison, il arrive avec la prière ce qui se passe avec tout ce qui est humain: là où la prière est en acte, même comme recueillement, c'est là où l'on peut mieux comprendre ce qu'est la prière.

14.       En invitant à la prière, Légaut insiste sur un troisième point qui, d'une certaine façon, est la conséquence des deux points antérieurs (tant la subrogation dans les pronoms comme l'importance d'être en état de prière même si elle est imperceptible): utiliser un texte de prière implique, parfois, qu'on se doive de le modifier ou même d'en composer un autre à partir de celui-ci.

Légaut nous montre la responsabilité de cette éventuelle activité créatrice [33] car la raison de celle-ci est de poids: une expression adéquate, juste, n'est pas étrangère à l'efficacité et au sens d'un acte de prière. Autrement dit: l'activité de la prière qui sciemment serait indifférente à la justesse de sa formulation ne se prendrait pas elle-même au sérieux et offenserait la base humaine sur laquelle elle aurait dû s'appuyer. Autant il est important de s'exprimer correctement avec nos semblables, comme eux aussi le font avec nous, autant devrait nous importer notre expression envers Dieu et celle qu'Il nous adresse à nous.

C'est vrai que Légaut nous rappelle dans sa Préface: (a) "Dieu n'écoute pas au niveau du dire et ne voit pas au niveau des actions visibles", et (b) "les comportements qui sont prière ne prétendent pas informer Dieu". Ces énoncés négatifs purifient les excès de notre imagination anthropomorphique qui, à partir de l'utilisation légitime de l'image du dialogue dans la prière (dans sa conception et dans sa pratique), peut facilement attribuer à Dieu les formes "trop humaines" et trop physiques de nos communications interpersonnelles.

 Il est vrai aussi que ces énoncés négatifs de Légaut nous rappellent que l'essentiel est communiqué à Dieu (comme à n'importe quel humain qui nous aime réellement) même lorsque l'expression est inadéquate si on ne peut faire autrement: Lui – comme eux – connaît notre être et sonde notre coeur et nos reins, qui sont la source de l'essentiel. Cependant, ces deux énoncés négatifs ne justifient absolument pas un "ça ne fait rien" quant à l'expression de celui qui pourrait s'exprimer avec plus de justesse si l'homme s'y employait vraiment.

L'efficacité de la prière passe par un travail critique et, si on en est capable, par un travail expressif. Sans ce travail, la prière et le recueillement ne seraient pas pléniers. La foi en l'efficacité de la prière se manifeste, entre autres choses, par le soin donné à une formulation adéquate entre ce qu'on dit, ce qu'on pense et ce qu'on croit à un moment donné. C'est le même soin que celui à donner aux expressions du "symbole de la foi": cet ensemble d'affirmations approximatives de notre tradition qui peuvent nous aider à méditer sur Dieu.

15.       Ce qui est sous-jacent à cette exigence d'une initiative créatrice, mentionnée précédemment, c'est le fait que nous vivons au sein d'une tradition et que nous en sommes responsables. La correspondance nécessaire à une époque et la variabilité des manières de prendre conscience et d'exprimer l'état de prière, voire, l'historicité (personnelle et collective) des formules et des expressions de prière sont les bases de la tradition.

 Il est impensable pour un artiste, qu'il soit poète, architecte ou peintre, de commencer de zéro. Ce zéro ne serait que la négation de ce qui l'a précédé, et sa force de renouvellement ne proviendrait, du moins en partie, que de l'intensité de la réaction provoquée par l'insuffisance ou l'inadéquation des réalisation précédentes, dûes aux "goûts" et aux "sensibilités" d'un temps déjà passé. De même il est impensable qu'un priant ou un homme de foi veuille commencer de zéro et se situer ainsi face à sa tradition; une tradition qui est toujours la somme d'un ensemble de petites traditions, comme un grand fleuve dans lequel se déversent divers affluents. Pour cela, il ne faut pas confondre l'estime pour certaines formes de prière du passé avec un attachement excessif à celles-ci, allant jusqu'à vivre l'anachronisme de maintenir comme actuel, par une simple répétition ou photocopie, le "dépôt" dont on confond la valeur avec son immuabilité, et dont la conservation et l'intégrité se confondent avec sa fixité littérale.

Communiquer et transmettre aux autres non comme doctrine ou commandement mais bien comme tradition, malgré le fait que cela ne peut se faire qu'indirectement, ce n'est pas veiller à la conservation, ni seulement à la répétition. De même qu'il est inconcevable qu'un poète ne renouvelle pas sa tradition, au moins indirectement, de même il est inconcevable qu'un priant s'exempte de tout examen des textes reçus et passe outre à la nécessité de ne plus employer une expression qui, dû aux changements d'époque, est devenue passablement obscure.

            Il s'agit d'autre chose lorsque, sachant certaines formules d'une autre époque, il apparaisse plus opportun de les garder telles quelles que de les adapter vite et superficiellement. Les adaptations véritables ne sont pas le produit d'un projet délibéré que quelqu'un (un individu ou un groupe) pense réaliser d'après sa seule initiative. À chacun revient de discerner les temps, car il y a un temps pour répéter, un autre pour imiter, un autre pour critiquer, un autre pour recréer, et un autre pour conserver les formulations du passé sachant qu'elles sont d'un autre temps.

 Si nous nous référons aux exemples cités par Légaut, les auteurs, n'ont-ils pas recréé des textes venant d'une tradition antérieure afin de se les approprier? Ce faisant, ces auteurs n'ont pas considéré qu'élaborer de nouveau un texte ancien était "rabâcher" ou ne pas tenir compte de l'avertissement que "Dieu sait ce dont vous avez besoin avant même que vous le lui demandiez" (Mt. 6,7-8). Au contraire, leur activité de recréation fut une manière d'honorer cette mise en garde et de rendre à Dieu un hommage dans l'intime.

 Les principaux poèmes de Jean de la Croix, par exemple, ne furent-ils pas une recréation du Cantique des Cantiques ? Les exégètes ne nous illustrent-ils pas en détail tout le travail de réélaboration qu'ont supposé les Psaumes à partir de textes antérieurs, des prophètes persécutés, comme Job ou Jérémie, ou de récits fondateurs, comme l'Exode ou la Genèse, qui, d'autre part, sont à la base du très élaboré Prologue de Jean ? Et ne nous montreraient-ils pas une pareille réélaboration dans le "Notre Père" ou dans les autres hymnes conservés dans les Évangiles qui sont aussi des recréations de textes de l'Ancien Testament ? Et à ces exemples de Légaut ne pourrions-nous pas ajouter les premiers auteurs protestants d'hymnes en langue vernaculaire (contemporains de Jean de la Croix), et celui des grands musiciens européens postérieurs (barroques ou romantiques), comme Bach, Händel et Brahms; de même que les anonymes ou peu connus auteurs afroaméricains de "gospel" de notre temps ?

Cet esprit de tradition, plus que de conservation ou d'institution, est celui qui a animé Légaut dans ses prières et qui l'a conduit à ne pas utiliser, par exemple, les expressions de la faute et du pardon, du péché et de la grâce, de la perdition et du salut, toujours entrevues dans le prisme d'une relation de maître à serviteur. Ses prières parlent, en contre partie, de l'aspect tragique, dur, limité et comme raté de notre condition: ce qui, de fait, porté dans la dignité, nous unit fraternellement à l'ensemble des hommes et nous rend présents à nous-mêmes devant Dieu. Ce qui, selon Légaut, fut ce que Jésus vécut, ce à quoi il nous invite et à quoi il nous aide.

 D'autre part, Légaut comme nous l'avons déjà indiqué ne s'est pas limité au caractère d'invocation qui souvent nous paraît intrinsèque à la prière. Si nous lisons à la suite les textes de Légaut, nous nous apercevons qu'il tarde à nommer un "tu" auquel s'adresser. Il prend son temps, il parcourt avant un chemin méditatif et réflexif. Il faut attendre la fin de la troisième et de la cinquième prière pour y trouver un "tu", et celui-ci ne comporte pas de sentimentalisme ou d'intentions éloignant de l'essentiel mais, au contraire, s'enveloppe de discrétion, de retenue, dans l'ignorance acquise et le sens du mystère. Les élans plus affectifs témoignant d'un attachement sensible semble devoir demeurer secrets et ne sont entrevus que dans les prières VIII et IX.

16.            "L'homme, au long de sa vie, en arrive à remplacer, par une intuition réfléchie bien qu'encore tâtonnante, sa croyance spontanée et assurée sur Dieu; intuition qui prend progressivement consistance" [34]. Les prières finales, X et XI, expriment bien cette consistance progressive de l'intuition d'un Dieu autre. Même si ces deux prières ne sont pas dans l'édition de 1984 parce qu'elles ont été le fruit des dernières années de sa vie, nous les avons incorporées, étant assurés que l'idée lui aurait plu. [35]

 Le poème de Catherine Pozzi que Légaut utilise presque tel quel et le dernier texte, qui est de sa propre plume, s'harmonisent et se complètent. Le poème, dynamique et aérien; le texte de Légaut, empreint de questionnement et d'ouverture; chacun exprimant cette "intuition réfléchie bien qu'encore tâtonnante" et progressivement consistante qui synthétise bien le mouvement d'attente et de recherche avec lequel Légaut termine L'homme à la recherche de son humanité. [36]

Pour cette raison, nous voulions terminer cette étude en rappelant  les paroles de Légaut lui-même, lui, que nous avons vu et entendu dire ces deux prières au cours de ses dernières visites en Espagne. Rien n'est plus inspirant que de voir un vieillard s'approcher de sa fin dans la stabilité de son être. Et si l'ancien, en plus d'être un contemplatif, est un véritable priant par la cohérence de son intériorité et de ses actes, alors, son témoignage, nécessairement indirect, aide, celui qui le perçoit et le reçoit, par le fait qu'il provient de quelqu'un qui est déjà un peu "de l'autre côté" et un peu plus "au sommet", non seulement à comprendre ce qu'est la prière au-delà de soi et du monde, mais aussi que la prière est. On l'a vu "être" chez cet ancien qui est priant: elle existe, et en elle, existent le vieillard et son Dieu. Nous ne pouvons voir la vie directement mais seulement de façon indirecte par le fait de voir un être vivre (bouger, avancer, parler, être en relation); de même en est-il pour la vie spirituelle et ses composantes: nous ne la voyons qu'indirectement chez celui qui la vit et c'est ainsi qu'elle nous attire.

Voir un ancien devant son Dieu, "face à face comme s'adresse quelq'un à son ami" (Ex. 33, 11), est une représentation qui aide à entrevoir le sens et l'efficacité de la prière au plan réellement spirituel: une efficacité non pas extérieure à la volonté de l'autre (comme on la retrouve dans les textes anciens où il est question de pouvoir et d'intercessions et non de dialogue) mais intérieure à celui qui est parvenu à être lui-même grâce à ce que son ami est (car il lui révèle, l'inspire, l'aide); lui qui, à son tour, révèle, inspire et aide le premier, par son propre "ascendant", à demeurer fidèle à son être créateur. Ainsi agit le témoin qui assiste, inspire et influence l'activité créatrice d'un autre parce qu'entre eux coule l'amitié.    Légaut nous a laissé des pages magnifiques tant sur ce type d'efficacité spirituelle que sur la représentation de celle-ci, telle que nous venons d'en traiter. Premièrement citons trois paragraphes sur l'efficacité propre à la prière:

 "Pour ne pas trahir l'originalité foncière de son action quand celle-ci est proprement créatrice et qu'elle ne relève pas directement, comme ses autres activités, de son initiative et des possibilités ordinaires, l'homme est conduit à affirmer qu'elle est en relation particulière avec la présence agissante de Dieu en lui. Il est le siège de cette action plus encore que l'agent. Il reçoit alors plus qu'il ne donne et c'est parce qu'il reçoit de Dieu qu'il crée.

 "Malgré les difficultés intellectuelles irréductibles qui s'y opposent, il lui est impossible de ne pas penser qu'entre Dieu et lui existe aussi une relation en sens inverse. Quoique le dire à soi-même semble déjà osé jusqu'au ridicule, car nul ne connaît sa véritable grandeur et son éminente dignité s'il n'a pas atteint le niveau de la foi en soi et de la mission, quoique les termes employés ne puissent être qu'impropres même si on les charge d'une valeur exceptionnelle, le croyant se doit d'affirmer que ce qui relève fondamentalement de son humanité n'est pas sans influencer Dieu lui-même.

 "Cette affirmation établit la prière dans sa nature propre. Aux yeux du croyant, elle en justifie l'existence et la lave du soupçon d'être une action irrationnelle et sans portée. Elle n'est cependant en aucune manière la conséquence d'une évidence qui satisfasse l'esprit ni le résultat de constatations qui puissent la rendre vraisemblable. Tout au contraire, rien ne paraît plus insensé à celui qui réfléchit sur cette affirmation sans se sentir directement interpellé par elle. Aucune observation, même favorable ne pourrait d'ailleurs suffire à l'étayer. Par son objet cette affirmation relève de la foi exclusivement. En droit elle est exigée de l'homme quand il croit en lui-même et en Dieu." [37]

  En second lieu, pour terminer, citons trois autres paragraphes de Légaut sur la vision qu'il nous propose concernant l'influence du priant sur Dieu. Évidemment pour lui, il s'agit d'une relation de qualité. Premièrement, il s'agit comme nous l'avons mentionné précédemment, de l'ascendant du témoin, qui par sa seule présence – et éventuellement par quelques apports – , inspire l'artiste dans sa création, même si c'est indirectement. Mais, à côté de cette représentation, souvenons-nous d'une autre image, complémentaire et très utilisée par Légaut: celle de la relation entre un jeune et un ancien au cours de laquelle le jeune, ayant découvert un monde grâce à l'ancien, en arrive à découvrir, tout étonné, que lui aussi, par le simple fait d'exister devant cet ancien qui a été le témoin de sa transformation, influence celui-ci, l'inspire et l'aide à découvrir du neuf; le jeune devenant ainsi, à son tour, créateur indirect de l'oeuvre de cet ancien.

"Cette collaboration, de qualité éminemment humaine, permet, dans les conditions ordinaires, de se représenter de façon assez satisfaisante la relation qui, par la prière, s'établit  dans les deux sens entre Dieu et l'homme. Cette transposition, qui n'a pas la prétention d'être une approximation véritable de l'action de la prière sur Dieu, confirme toutefois le croyant dans le bien-fondé du comportement à l'égard du Monde que lui suggère directement son approfondissement spirituel. Indirectement elle l'aide à se mettre dans l'état qui convient pour prier. D'ailleurs, pour que cette représentation lui soit utile et ne le fourvoie pas dans des attitudes préfabriquées, aussi systématiques qu'irréelles, le croyant doit y être conduit par un itinéraire qui lui soit personnel, car il ne suffit pas d'en avoir connaissance pour se l'approprier. Même s'il ne l'ignore pas, il est nécessaire qu'il la découvre par ses propres moyens, à partir de sa propre expérience. Cette représentation est d'autant plus évocatrice pour lui que, plus intérieur, il devient plus homme de prière.

 "Attentif à sa solidarité avec le Monde où il se sent totalement immergé tout en se sachant pour l'essentiel dans la solitude et l'autonomie de son être, entrevoyant à travers des lois très générales la ligne suivant laquelle se développe la création, inspiré par l'esprit qui préside à sa croissance personnelle et qu'il découvre au fur et à mesure qu'il devient plus conscient et plus intérieur, le croyant communie en aveugle sans doute mais réellement, au projet de Dieu, et d'autant mieux qu'il est plus avancé dans l'invention de son être propre.

 "Ce sens obscur du style fondamental de l'Univers n'est pas imagination due à quelque vagabondage de l'esprit ou du coeur. Il s'inspire d'une certaine sagesse globale lentement acquise grâce à la fidélité d'une vie suffisamment vigoureuse et engagée. Sans atteindre au niveau d'une connaissance proprement dite, ce sens porte cependant plus loin que les idées préconçues, mises en doctrine qui sollicitent les croyants, toujours tentés de retomber de la foi dans les facilités et le confort d'une cosmologie religieuse, primitive ou savante. Dans ce dernier domaine, l'agnosticisme de ce croyant, condition de l'authenticité de son sens cosmique, est aussi la seule attitude qui ne soit pas en porte à faux sur sa foi en Dieu, et qui respecte cette foi dans sa nudité propre sans la vêtir subrepticement de quelque idéologie, aussi intériorisée soit-elle mais toujours accessoire et imparfaite, finalement précaire." [38]



[1] Cet essai, sur la prière dans la pensée et la vie de Légaut, est mis à la fin de l'édition espagnole de Prières d'homme. Publié en 2001, l'auteur l'a revisé en 2015, avant d'être traduit en français par Normand Beaudoin.

[2] Mutation de l'Église et conversion personnelle (MECP, Aubier, 1975), p. 195.

[3] Intériorité et Engagement (IE, Aubier, 1977) p. 84; voir aussi Devenir soi (Aubier, 1980), p. 28-29.

[4] Légaut a écrit à plusieurs reprises sur sa manière de concevoir la prière, tant dans des chapitres consacrés à d'autres questions que dans ceux réservés à ce thème. Citons les références les plus importantes par ordre chronologique, jusqu'à la composition de Prières d'homme (Pd'H, Aubier, 1978, 2e éd., 1984). [1] De 1960, un passage de "La vie de foi" dans Travail de la foi (TF, DDB, 1989), pp. 40-42; [2] de 1962, "La prière essentielle", un exposé fait aux Granges, (dans Cuadernos de la Diáspora, Madrid, AML, # 7, 1997, pp. 23-30; [nous citerons les Cuadernos comme: CD); [3] de 1970, une méditation, concrètement sur l'échec du christianisme, dans le chapitre III de Introduction au passé et à l'avenir du christianisme (IIPAC, Aubier), pp. 75-82 et pp. 85-97 (voire aussi MECP, pp. 87-91); [4] aussi de 1970, "La prière", chapitre VI de IIPAC, pp. 189-209; [5] de 1975, quelques pages de Patience et passion d'un croyant (PPC, Aubier, 1975), pp. 94-104 et pp. 110-114; [6] de 1977, l'entrevue "La prière", dans IE, pp. 71-134.

Il faudrait aussi ajouter à ces références ce que Légaut a écrit sur deux thèmes reliés à la prière: la Cène et la lecture et la méditation des Évangiles et des Écritures. — Sur la Cène, MECP, pp. 216-229; IIPAC, pp. 323-328; IE, pp. 161-239, et Croire à l'Église de l'avenir (CEA, Aubier, 1985) chapitre 3, pp. 127-151. — Sur la lecture des Écritures, il suffit de voir les chapitres I et II de IIPAC.

[5] «La spiritualité  [I]», CD #12, 2001, p. 35; en français: PPC (2ème éd. DDB, 1989), p. 105.

[6] Travail de la foi, p. 40.

[7] Concernant cette différence entre collectivité et communauté, voir dans Croire en l'Église de l'avenir, pp. 52-55.

[8] Prières d'homme (éd. 1984) p. 9-10.

[9] Prières d'homme (éd. 1978) p. 9-10.

[10] Légaut-Varillon, Débat sur la foi, (DDB, 1972), p. 15.

[11] L'homme à la recherche de son humanité (HRH, Aubier, 1971), p. 8.

[12] Sur l'imposture que laisserait le témoignage, voir TF p. 44-45 et 83 et DS pp. 142-144.

[13] Sur la relation de Légaut avec le christianisme, voir HRH pp. 8-9 et DS p. 148. — Sur l'idée de tout reprendre à la base, voir, par exemple, HRH, p. 227 ; IIPAC, p. 140. Cette idée est reliée à une autre idée chère à Légaut: il est plus important de méditer sur le passé récent du christianisme que sur le passé d'Israël, qui nous affecte moins, celui-ci appartenant à un autre univers mental. Sur ce thème, voir aussi les références citées dans la Note 4 [3].

[14] Sur la différence, selon Légaut, entre l'erreur du témoin et l'erreur de l'intellectuel, voir IIPAC, p. 7.

[15] Lettres aux Granges, inédit, 2e lettre (25 janvier, 1945), p. 6.

[16] Travail de la foi, p. 23.

[17] Travail de la foi, p. 75.

[18] Légaut était sensible a l'anti-intellectualisme de quelques mouvements spirituels. J'ai exposé cette même idée dans CD #4, 1995, p. 101. Sur la ressemblance entre les passages du témoignage au silence et de la méditation à la contemplation, voir Travail de la foi, p. 87.

[19] Voir ces idées dans "Comentarios a una Nota de Légaut", CD #2, 1995, pp. 93-128. La Note commenté est dans IE, pp. 61-63.

[20] Dans l'édition espagnole et catalane de Prières d'homme, nous avons indiqué en note les jonctions faites afin d'éviter certaines répétitions.

[21] Sur la "foi en soi", voir les références de la Note 24. Sur l'idée de "mission" chez Légaut, voir le chapitre X de HRH. Pour le concept "d'existence", HRH, p. 75.

[22] Un homme de foi et son Église, DDB, 1988, chap. 1: «Foi et modernité», pp. 15-55.

[23] Voir un Topo de Légaut au Granges: "La prière essentielle", août 1962, inédit.

[24] Sur la "foi en soi" voir le chapitre I de HRH et la "Note sur la foi en soi et la foi en Dieu" dans MECP, pp. 32-34. Sur les "seuils de la vie spirituelle" voir Ibid, pp. 285-289.

[25] IIPAC, pp. 199-200.

[26] Voir IIPAC, pp. 80, 158, 167 et HRH pp. 36 et 40.

[27] IIPAC, pp. 199-201.

[28] IIPAC, p. 201-202.

[29] Agustín García Calvo, Valorio 42 veces, poema II, Madrid, Lucina, 1986.

[30] Voir «Foi et modernité», cité dans la Note 22.

[31] Voir les textes en prose cités dans la Note 4.

[32] Prières d'homme (éd. 1984) p. 14-15.

[34] Prières d'homme (1984), p. 11.

[35] Dans l'édition en castillan et catalan sont celles qui commencent: «Tès haut amour, / s'il se peut que je meure…» et «Vie et mort de Jésus couronnées par la Croix…».

[36] HRH, p. 272-275.

[37] IIPAC, pp. 158-159.

[38] IIPAC, pp. 163-164.