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CHEMINS

Esquelbec, Dunkerque, Paris, Valence, Montélimar… Traverser la France pour découvrir un lieu perdu dans la Drôme, balayé par le vent et le soleil, fort de l’empreinte de Graf Durckheim et Marcel Légaut, deux sages du 20ème siècle en quête d’humanité. Nous voici réunis chez ce dernier pour une rencontre en petit comité autour du philosophe Bernard Stiegler et sa réflexion sur l’art pour sauver le monde.

La magnanerie m’invite immédiatement à un voyage « bas les masques » : son charme désuet fleure bon un temps passé, à explorer, à ressusciter ; le jardin  prête à rêver, à se déposer, à prêter attention à ce qui voudra bien émerger ; l’accueil, surtout, chaleureux et discret, parait nous remercier de notre présence alors qu’au fil de la semaine une gratitude s’est imposée. Tout ne fut pas facile pourtant. Bernard Stiegler a une pensée exigeante, aride parfois, et je me suis bagarrée avec des « Pourquoi ? Je ne comprends pas. Paul, pourrais-tu s’il te plait ?… » Je tente de fuir une démarche trop intellectuelle craignant de m’y noyer. L’animateur, qui ne s’est jamais départi de sa patience,  fait preuve d’une belle pédagogie pour alimenter notre réflexion :

-  Qu’est  ce qu’une bonne vie d’homme en ce début de 21ème siècle ?  interroge t-il en se référant à Aristote, Dominique Bourg et Bernard Stiegler. Aujourd’hui, la société de consommation donne l’illusion d’un « infini » qui se substitue à « l’infini de Dieu » tel que nous l’ont transmis les générations passées. Gardons une vigilance vis-à-vis du prêt-à-penser qu’offre le marketing dans notre monde globalisé, au risque de perdre les liens sociaux, l’estime de soi, le sens de la vie. Veillons  à nous « écarter des routines devenues automatismes ».

B. Stiegler pointe du doigt combien notre société prend le contrôle de nos vies au  bénéfice d’un système souvent  destructeur. Son diagnostic inquiétant nous confronte et nous pousse dans nos retranchements. Mais en nous interrogeant sur comment rendre hommage au monde qui a perdu le sens du divin, il propose des pistes telles qu’accueillir l’inattendu de la musique, de l’art, de la figure de l’amateur et  redonner  place à « l’incalculable », à « l’infini ».  Creuser la notion de l’art - qui par essence gratuit- touche le sacré m’a paru un essentiel. Un autre fut de découvrir Marcel Légaut. Alors que j’écris ces quelques lignes dans un TGV, de retour de montagne, j’ouvre Une pensée par jour, 22 juillet :

-  Quand on a beaucoup marché, il ne faut pas s’étonner d’être seul, ni le reprocher à ceux qui n’ont pas suivi le même chemin, ou qui l’ont parcouru à une autre allure.

Ceci fait écho aux quelques jours passés  chez mes amis  et résonne juste. « La vie spirituelle se nourrit de ses propres fruits », dit encore Marcel Légaut.

Des petites graines grandissent en moi et me renvoient à la Magnanerie.

-   Quelle est - Paul, Chantal, Armand - la spécificité de Marcel Légaut ? Qu’est ce qui le différencie d’autres penseurs de son époque ?

Je vous ai senti pensifs, pas forcément à l’aise, et avec le recul, me demande si je n’ai pas eu tort d’avoir posé ces questions : la complexité d’une œuvre ne se résume pas en quelques mots et gagne à être abordée humblement, dans un vrai silence. D’ailleurs, me proposera Paul dans un échange de courriels : « Légaut se refuse à tout ‘embrigadement’. Par son œuvre écrite ou transmise de ‘cœur à cœur’,  il se contente de suggérer, d’entrer en ‘relation avec nous’, ‘de co-individuer’ ! »

Je le reçois comme une voie à suivre et remercie la vie.

Anne-Sophie Boutry – 24/07/2017

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