Bernard Bœuf a été, durant de longues années, présent à Mirmande et trésorier de l’association culturelle Marcel Légaut. Je me souviens de l’un ou l’autre de ses « topos » dont un sur la mort et ce qu’il peut
y avoir après, selon Marcel Légaut.Il avait relu l’oeuvre de Légaut pour cela. Il est vrai que c’était une question fondamentale pour lui, après ce qu’il avait vécu. Puis il a tenu à me passer la trésorerie de l’ association, prévoyant une campagne de dons qui permettrait de faire la remise en état de la Magnanerie, où il est revenu. A cette occasion, je suis passé à Brunstadt, et avec lui, me suis recueilli sur la tombe où l’attendaient ses êtres chers qu’il a rejoints. Il avait demandé à son fils Gilles de transmettre à Mirmande ses archives et sa bibliothèque de spiritualité.C’est ce qui permet de donner chair, sous trois aspects , à son itinéraire qu’il notait ainsi : je suis né catholique dans une famille ordinaire. Catéchisme puis indifférence jusqu’à l’âge de 50 ans. Redécouverte de Jésus grâce à Marcel Légaut. Ce qui compte pour moi, c’est l’esprit de l’Évangile. La Trinité, la Résurrection, c’est impossible, c’est hors du message. S’appuyant sur Karl Rahner, Expérience d’un théologien (1984), il exprime la « vacuité de [ses] concepts théologiques ». Cet ancien inspecteur des impôts a rédigé deux souvenirs et l’analyse de sa bibliothèque nous fait entrer dans une reflexion dûment datée, 1975-2018 .
Une scolarité en Haute Saöne interrompue par l’arrivée des Nazis en mai 1944
« D’abord interne à l’école Menans[1] de Gy jusqu’à sa réquisition par les autorités militaires pour en faire un hôpital, j’ai accompagné le transfert de cet établissement dans les locaux de l’école Saint-Pierre-Fourrier de Gray en septembre 1939. La nouvelle école appelée « Menans-Saint-Pierre-Fourrier » n’assurant les cours que jusqu’à la classe de 3ème, j’ai dû m’inscrire, à partir de la seconde, soit à la rentrée 1941, au collège A. Cournot également à Gray. Mais, avec l’accord de M. Joseph Fimbel, religieux de l’ordre des Marianistes et directeur de « Menans-Saint-Pierre-Fourrier », j’ai pu continuer à prendre pension dans son établissement, moyennent l’obligation d’y accomplir quelques tâches, dont la surveillance d’un dortoir. C’est à ce titre que je me trouvais donc en train de dormir, une nuit de début mai 1944, dans le « cagibi » réservé au surveillant, séparé des élèves par un simple rideau. Il devait être autour de cinq heures du matin lorsque mon sommeil a été brutalement interrompu par l’ordre donné en Allemand d’avoir à me lever immédiatement. Une mitraillette était braquée sur moi et un chien berger menaçant dressé sur mon lit. Malgré mon état d’esprit « résistant » de l’époque, il m’a bien fallu obtempérer, m’habiller très rapidement et me laisser conduire dans le bureau du directeur situé au rez-de-chaussée. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience que l’établissement était totalement investi par une troupe nombreuse composée de membres de la Gestapo et de la Feldgendarmerie, mais aussi hélas de miliciens français revêtus d’uniformes allemands.
Très vite les autres surveillants, mais aussi les professeurs et M. Fimbel lui-même, furent rassemblés dans le bureau directorial sous la surveillance d’un seul homme, pendant que le reste de la troupe procédait à la fouille généralisée de l’ensemble des locaux. Avec un sang-froid et une aisance incroyables, M. Fimbel prit place à son bureau et commença à ouvrir successivement les tiroirs d’où il extirpa plusieurs documents qu’il déchira en petits morceaux et jeta dans la corbeille à papiers sans que le milicien qui nous gardait réagisse le moins du monde. À un moment donné, peut-être vers 9 heures, plusieurs gradés allemands pénétrèrent à nouveau dans le bureau. Je reconnus alors un sous-officier de la Feldgendarmerie qui passait assez fréquemment avec sa brigade cycliste à la fromagerie gérée par mon père à Montagney[2] pour se ravitailler en produits laitiers (beurre-fromage) sans tickets de rationnement. Je résolus alors de lui parler ! Cette démarche fut couronnée de succès puisqu’il obtint d’un officier qu’on me relâche de suite. Aussitôt je me rendis dans ma chambre que je trouvai complètement bouleversée par la fouille. Je rassemblai quelques livres et cahiers de cours, sautai sur mon vélo et regagnai la maison familiale à Montagney sans demander mon reste !
Nous étions alors à quelques jours des épreuves du bac et je ne remis plus les pieds dans l’établissement, révisant mes cours à la maison. Je n’ai donc pas assisté à la suite des événements de cette fameuse journée et je ne peux donc pas apporter de témoignage direct à leur déroulement.
Après avoir échoué aux épreuves du bac de juin 1944, j’ai passé l’été à Montagney chez mes parents et me suis présenté avec succès cette fois, à la session de rattrapage organisée à Besançon après la Libération.
Engagé aussitôt après dans une unité d’infanterie de Marine de la Ière Armée Française commandée par De Lattre de Tassigny, j’ai participé aux campagnes d’Alsace et d’Allemagne, puis à l’occupation de celle-ci. Lors d’une permission obtenue en juillet 1945 avant mon départ pour l’Extrême-Orient, j’ai eu l’occasion de rencontrer M. Fimbel à l’hôpital de Gray où il était soigné pour un typhus contracté en camp de concentration. Il n’avait rien perdu de son extraordinaire énergie !
Pour en terminer avec ce petit témoignage, je voudrais encore faire état d’une sorte d’ « acte de résistance », minime j’en conviens mais révélateur de l’état d’esprit des jeunes de l’époque !
Chaque semaine, M. Fimbel, par ailleurs maire de Gray depuis juin 1940, invitait à sa table, dans la salle à manger des professeurs, les officiers allemands de la Kommandantur. Le service était assuré à tour de rôle par les grands élèves, nous en profitions pour cracher copieusement dans les plats sur le parcours entre la cuisine et la salle à manger.
Un engagement dans la Première Armée française qui le mène en Indochine
« À l’automne 1944, âgé de 19 ans et tout jeune bachelier, j’ai signé mon engagement[3] dans la Première Armée Française[4] qui avait débarqué en Provence le 15 août précédant et venait de libérer Besançon et ma région d’origine : la Franche-Comté. C’était un engagement « pour la durée de la guerre en Europe et Extrême-Orient ». Il était prévu qu’après la capitulation de l’Allemagne, la 9e DIC (Division d’Infanterie Coloniale) au titre de laquelle j’avais signé, serait transférée aux USA (en Floride) pour y être intégrée dans le corps des « Marines » et débarquer avec eux au Japon. Mais comme toujours, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. En août 1945, alors que la Division participait à l’occupation de l’Allemagne en attendant l’ordre d’embarquer, le Japon a capitulé plus tôt que prévu en raison de l’utilisation de la bombe A par les Américains.
Alors tout le monde a pensé que nous allions être renvoyés à la maison. Mais le gouvernement a décidé au contraire de nous envoyer en Indochine (devenue plus tard le Vietnam), alors colonie française occupée par les japonais et qui manifestait des velléités d’indépendance. Durant les combats en Alsace (hiver 44/45) et en Allemagne (printemps 45), j’étais affecté au 21e RIC et c’est seulement en juin 1945 que j’ai rejoint les mortiers de 81 mm du 1er bataillon du 23e RIC où servait Pierre Quitat […] [C’est le] VICTORY », transport de troupes américain de 8.000 T, qui a effectué le trajet Marseille-Saïgon en 22 jours.
De novembre 1945 à début mars 1946, nous avons pris part à de multiples opérations dans le delta du Mékong, pataugeant dans la boue des rizières et la vase des « arroyos » et faisant connaissance avec les sangsues et autres bestioles piquantes et urticantes. Pierre Quitat et moi avons développé une grande amitié pendant toute cette période, et bien sûr une grande confiance l’un envers l’autre. Je l’appelais familièrement « vieux crabe de rizière ». Nous étions toujours ensemble y compris dans les opérations nocturnes où nos chefs nous plaçaient en tête de colonne. Pierre était réputé pour son excellente vision dans l’obscurité et moi pour mon sens de l’orientation. En outre, chacun de nous était capable d’interpréter le moindre geste de l’autre.
Dans les premiers jours de mars 1946, retour à Saïgon et embarquement à bord de l’ERIDAN qui met le cap sur le golfe du Tonkin. Le 6 mars, en pleine mer, transfert sur les péniches de débarquement[5], nous fonçons alors directement vers le port d’Haï-Phong, où nous seront reçus de façon très « orageuse » par les troupes chinoises « nationalistes » du général Lou-Han[6].
Début avril suivant, notre bataillon sera transporté par camions, avec « escale » à Hanoï. Quelques jours après notre arrivée, une rumeur court au bataillon : « les cadres français de la SCT invitent volontiers les militaires ! ». Un soir, à quatre camarades (P. Quitat, A. Feltrin, A. Roth, B. Bœuf), nous décidons d’aller faire une « virée » dans le quartier européen pour en vérifier la réalité. Et bien la rumeur ne mentait pas ! Rapidement nous croisons dans la rue une française qui nous invite à prendre l’apéritif chez elle : nous sommes chez M. Philippe Gasser, directeur de filature à la SCT[7]. Pendant plusieurs mois et presque chaque jour, le « groupe des quatre » trouvera porte et table ouvertes dans cette famille extraordinairement accueillante !
J’ai quitté Nam-Dinh fin août 1946 en compagnie de l’ami grenoblois Feltrin. Nous avons tous deux bénéficié d’une mesure de rapatriement prioritaire prise en faveur des étudiants. Le voyage s’est effectué à bord du vieux paquebot Maréchal Joffre qui a mis 35 jours pour relier Haï-Phong à Toulon où nous avons été démobilisés. Pierre Quitat, lui, n’est rentré en France qu’en 1947.
Lorsque j’ai dit « au revoir » à la famille Gasser, je n’avais aucune arrière-pensée et pensais que c’était en fait un « adieu » définitif ! Et pourtant… cinq ans plus tard j’épousais leur fille aînée Monique… Mais ceci est une autre histoire. Amenée à me présenter, (ma belle-mère] le faisait immuablement de la même manière : « Je vous présente mon gendre, Bernard Bœuf, que j’ai ramassé un soir, en compagnie de trois autres militaires, dans une rue de Nam-Dinh, au Tonkin ».
Si je suis les quelques documents qu’il a laissés, il se retrouve pleinement dans la description de Bernard Feillet qu’il a soulignée :
« [...] Je pense à ces hommes qui, au-delà de la quarantaine, après avoir reçu une stricte éducation religieuse, avoir exploré par un travail intellectuel la tradition de l’Église et s’être compromis dans ses entreprises, se découvrent à marée basse, quand la trace de la procession s’est effacée sur le sable, seuls devant la mer. Ils se demandent avec qui partager l’intuition évangélique qui les a depuis toujours maintenus en alerte. Ces hommes ne sont pas seuls pour construire leur vie et accomplir leur tâche. Ils sont le plus souvent, bien au contraire, très présents dans les responsabilités de leur entreprise, l’expression du politique, le réseau des liens sociaux, les vibrations de la culture. Mais s’ils cherchent une communauté chrétienne qui non seulement reconnaisse leur différence, mais qui aussi la sollicite, ils n’en trouvent pas. Et s’il leur arrive, un jour de fête, d’entrer dans une église pour rejoindre une assemblée de croyants, pour s’associer à ceux qui se souviennent de Jésus-Christ et célébrer avec d’autres le mystère de sa présence dont ils se savent toujours habités, ils sont à nouveau déconcertés par les certitudes simplifiantes du discours chrétien. Ils y manquent d’espace et se sentent saturés par le trop-plein de ceux qui se présentent comme les témoins de l’infini. Peut-être ne sont-ils pas assez modestes pour ne pas y attacher trop d’importance ? Mais peut-on être modeste, quand on estime que le mystère de Dieu s’en trouve, en soi-même, méconnu ou abîmé ?
En fait, l’assemblée du dimanche ne peut plus grand-chose pour eux et avec eux. Ce n’est sans doute pas très grave, si l’on veut bien admettre qu’un champ, plus large qu’autrefois, s’ouvrent à ceux qui continuent de se passionner pour l’aventure du christianisme. Cette aventure est devenue trop vaste – grâce à l’Église d’ailleurs –, dans l’espérance des hommes, pour être partagée dans les cadres trop limités d’une Église catholique qui, du moins en France, n’est pas aujourd’hui au meilleur de sa créativité. Pour la plupart, ces hommes dont je parle ne rejoindront pas le protestantisme. Ils n’attachent pas assez d’importance aux confessions chrétiennes pour en changer »[8].
Point d’étonnement aux engagements de Bernard Bœuf : il fréquente le groupe Marcel Légaut, lit et diffuse son œuvre, participe aux rencontres de Mirmande[9], devient le trésorier de l’association qui porte le lieu de rencontres, La Magnanerie à Mirmande, s’active en faveur du colloque de Lyon le 10 novembre 2010[10]. Bernard Bœuf est en lien étroit avec Mary Evely et reçoit la revue Libres Échanges qui maintient la présence d’un vivant ayant pleinement vécu jusqu’à sa mort , Louis Evely. À l’Aube, lieu de rencontre des Evely, Bernard Feillet anime quelques sessions dont Bernard Bœuf a conservé un compte rendu, ainsi celui du 31 mars 1998 :
« Je ne parlerai pas de la fin du christianisme, mais je parlerai, dans une illusion superbe, de la transformation radicale du christianisme, alors que tous les indicateurs sociologiques sont à l’inverse [… et que] nous assistons à sa crispation »[11].
La session de l’Aube en 2001 lui permet de retrouver Gabrielle Gay, Paul et Marie Abéla, Éliane et Xavier Huot, Marie Guillet-Loma, Agnès Munier, également membres du groupe Légaut, comme un tiers des participants à cette session .
Localement à Brunstadt, près de Mulhouse, Bernard Boeuf est en lien avec Paul Kohler et acquiert toute son œuvre, notamment Bois de Cœur, participe à l’Amitié judéo-chrétienne de Mulhouse présidée par le pasteur Diény[12].Ou invite Marcel Légaut pour des conférences à Mulhouse en novembre 1986.[13] Les Cahiers Évangile et Libertés du pasteur Christian Mazel lui parviennent. Il y a là une intervention de Bernard Bœuf : Mgr Elchinger ex-archevêque en retraite, a énormément insisté sur la notion de la grandeur de l’homme. Il a dénoncé l’activisme qui éparpille. Marcel Légaut, à la fin de sa vie, a pris de la distance par rapport à ses convictions antérieures ; donc évolution… Le problème du mal, de la souffrance l’a profondément labouré : perdre une épouse, un enfant… Et là encore, Bernard Feillet lui permet de mettre des mots sur son vécu : telle cette chronique de La Croix non datée intitulée « Nul trouble en votre cœur… » :
Rilke disait : « Il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. » C’est ainsi que je pense à ceux que j’ai aimés et qui sont morts. Je ne cherche pas à les rendre présents, mais ce sont eux qui s’annoncent encore, sans prévenir, dans les petits détails du quotidien. Nous découvrons qu’ils ne nous ont pas quittés. À travers l’infime nous rejoignons l’immense. Ce n’est pas leur mort qui nous éclaire, mais la trace en nous de leur vie et toute l’existence se met à vibrer, comme si nous étions la corde sous l’archet. Cette émotion est d’autant plus heureuse qu’il nous semble souvent que nous avons manqué leur mort. De cet instant, même si nous étions là, nous gardons le regret qu’il ne s’est rien passé, du moins que nous n’avons rien saisi. Plus tard leur souvenir n’éclaire pas la mort mais la vie, notre vie.
Les mourants sont discrets et cette discrétion nous bouleverse. S’ils évoquent leur mort, de la mort ils ne disent rien. Parfois j’ai recueilli cette confidence : « Je n’ai pas peur ». Cette parole est apaisante. Il me semble que les mourants pensent davantage à ceux qu’ils laissent qu’à leur propre mort. Ils ne veulent pas les inquiéter et retrouvent – comme un message qui vient du fond de l’humanité – cette parole évangélique de tendresse et de force : « Que votre cœur ne se trouble pas ». Auprès des mourants nous guettons une parole sur Dieu. Peut-être sont-ils sur le point de savoir, peut-être vont-ils nous éclairer ? Mais de Dieu, ils parlent si peu. Leur silence est un ultime message. Ils sont au bord et ils se taisent, puisque tout a été dit et qu’ils savent désormais que le mystère est plus vaste. Nous ne pouvons qu’écouter le silence de celui qui meurt. Et ce n’est pas à nous qu’il appartient de combler ce silence […]
Ses compagnons de vie
Bernard Bœuf, de par son appartenance à plusieurs réseaux, a donc des auteurs compagnons de vie. Lisant leurs ouvrages, il se dit, soulignant telle ou telle phrase : « Nous n’avons pas même à être reliés aux autres [personnes] : nous sommes à l’intérieur les uns des autres »[14]. « Quand l’Église ne se laisse pas décoiffer par les séismes salvateurs de l’expérience mystique, [elle devient] le royaume des morts »[15]. Un courrier reçut « forcit » parfois l’ouvrage lu, telle lettre d’un prêtre du diocèse de Nancy, en 2007, qui voit approcher « le temps de la grande misère corporelle » et qui constate que « c’est bien lentement que la pensée de Marcel [Légaut] et de bien d’autres dans les marges de l’Église avance, est reconnue et réjouit. Celles et ceux qui ont tellement le désir de l’homme respecté et de la foi annoncée et vécue autrement »[16].On saisit sa lecture, son écoute et parfois même une mise en forme, comme un état de la question, ainsi le 1er juin 1999, ces quelques phrases dactylographiées :
- « À trente ans, Jésus était « au comble de lui-même », il avait atteint sa plénitude.
- Jésus est devenu lui-même en se séparant de Jean-Baptiste, sans le renier, mais en poussant ses racines plus profond !
- Les parents ont à se réjouir que leurs enfants deviennent de plus en plus eux-mêmes.
- Citation de Marcel Légaut : « tout couple humain est « à l’origine» et inventesa propre loi. Il n’y a pas de loi générale qui s’imposerait à un couple ! Chaque cas est singulier et ne regarde que les deux membres du couple !
- Vis-à-vis de ceux qui sont meurtris par l’existence, seule la « présence » est importante. Nous sommes totalement impuissants en face de telles situations ; toute parole, tout acte, est impuissant !
- Dès que le passé dépasse, dominele présent, on va tout droit vers la mort. C’est pourquoi, si l’Église s’obstine à regarder du côté de son passé, elle ne pourra que disparaître inéluctablement !
- Il n’y a pas de lieu où Dieu réside, son seullieu de présence, c’est nous-même.
- Il a fallu des dizaines de milliers d’années d’évolution pour que de la morsurenaisse le baiser, et du coup de griffe, la caresse. Mais il est étonnant de constater le peu de temps nécessaire pour que le baiser redevienne morsure, et la caresse coup de griffe ».
Outre Bernard Feillet déjà évoqué, comme Paul Kohler[17], Sulivan[18] ou Gérard Bessière, une des tonalités du groupe Légaut se retrouve dans l’étude du passé du christianisme, des 2.000 ans de christianisme chers à Marcel Légaut, soit avec un instrument de travail, la Bible de Jérusalem illustrée, soit avec l’exégète américain Meier (t. I et II), Flavius Josèphe, un Essai sur les origines du christianisme (Nodet/Taylor) ou Les Premiers pas du christianisme (François Vouga), voire des éléments plus enracinants dans la culture juive de Jésus (Jésus parlait araméen d’Éric Edelmann) ou Les Dix commandements (Marc-Alain Ouaknin), L’Enfance du christianisme (Étienne Trocmé). Mais aussi Dieu immédiat (Eugen Drewermann)[19], Jésus (Jean-Christian Petitfils) et l’œuvre de Marie Balmary.
Des philosophes sont présents : Sénèque, Marc-Aurèle, Montaigne, Spinoza, André Comte-Sponville. Un théologien comme Maurice Bellet (Le Sauvage indigné) se joint à quelques écrivains comme Jean d’Ormesson (Comme un chant d’espérance) ou des spirituels : Paul Clavier, Maître Eckhart, Angélus Silésius. Des poètes l’accompagnent : Jacques Prévert, Saint-John Perse, Claude Vigée. Ou enfin des réflexions sur la vie, que ce soit le Dictionnaire impertinent de la vieillesse, le Décodage biologique et Destin familial, Veuf de J.B. Fournier, Devenez votre propre médecin.
À côté de l’œuvre complète, en plusieurs exemplaires, de Marcel Légaut, les écrivants de son groupe sont présents : Thérèse de Scott, Jacques Musset, Xavier Huot, Paul Abéla.
Témoin d’un lieu, quelques correspondances avec des membres du groupe Légaut ou Olivier Ogé qui tient la Magnanerie de Mirmande[20] : une invitation à passer à Mirmande par Jacques Musset, le compte rendu d’un exposé d’Olivier en septembre 2015, le mot chaleureux de Françoise Servigne, suite à un coup de téléphone de Bernard le 19 octobre 2010 et à une commande de livre de Marcel Légaut (2 exemplaires de L’Homme à la recherche de son humanité, manifestement pour être diffusés ou offerts) : j’ai été très heureuse de t’entendre hier au téléphone. Nous restons très unis à celles et ceux qui ne peuvent plus nous rejoindre physiquement et c’est très souvent que nous évoquons leurs noms. Tu restes très présent au milieu de nous. Et au moment des rencontres ou de l’Assemblée générale, souvent une carte postale partait vers des anciens ne pouvant plus rejoindre Mirmande et attestant d’un lien jusqu’au terme de la vie,ce fut le cas quand Bernard ne put plus rejoindre Mirmande.
Écoutant Marcel Légaut, le lisant ou le relisant, dans ses livres comme dans ses « topos », Bernard Bœuf se dit en soulignant tel ou tel ensemble, voire en y ajoutant un signet : […] Lorsqu’on a beaucoup aimé quelqu’un, on comprend beaucoup mieux ce qu’il a vécu après sa mort, dans la mesure où il est entré vraiment dans notre vie, car la présence physique est, par certains côtés, une distraction de cette présence beaucoup plus mystérieuse et plus stable qu’est celle de l’autre en nous, dans la mesure où nous savons l’accueillir. [21]»
Dominique Lerch
[1] Récit d’une matinée de début mai 1944, telle qu’elle a été vécue par Bernard Bœuf, alors élève au collège de Gray [Haute-Saône].
[2] Commune du Doubs,135 habitants en 2005,à 19 km au Sud Est de Vesoul.
[3] Frères d’arme (Petite histoire d’une grande amitié).
[4] Ceci explique, en 2007, l’adhésion à l’association Rhin et Sundgau , lieu de rencontre d’anciens combattants français et marocains, et de la mémoire des combats de la Libération par la Première Armée Française, des combats de la Forêt de la Hardt, du 28 novembre au 4 décembre 1944 : conférences, souvenirs exposés en milieu scolaire, projet d’un monument commémoratif.
[5]« J’insiste un peu sur les conditions de ce transfert : il s’agit de descendre sur le flanc de l’Éridan, peut-être 10 m, accrochés aux mailles d’un filet et encombrés d’un fardeau incroyable. En ce qui me concerne, sur la poitrine : deux grenades plus un sac spécial contenant quatre obus de mortier ; sur le dos : la plaque de la base du mortier de 81 mm qui pèse 17 kg, plus le sac, plus l’armement individuel ; si on décroche, on coule à pic… à moins d’être écrasé entre la péniche et le bateau. Panique de ma pauvre carcasse ! Je regarde « en douce » Pierrot Quitat : il a l’air calme et déterminé ! Alors allons-y ! Heureusement qu’en bas il y avait des marins aux bras solides experts en récupération »…
[6] Et pourtant le général Leclerc qui dirigeait l’opération, avait promis que tout se passerait dans le calme, puisque nous agissions dans le cadre de l’accord de Yalta signé par les « grands » de l’époque : Roosevelt, Churchill et Staline.
[7]Société Cotonnière du Tonkin :entreprise textile qui employait 13.000 salariés.
[8] FEILLET (Bernard), L’Errance, DDB, 2000, pp. 92-94.
[9] Ainsi la semaine du 10 au 17 juillet 1999 au milieu d’« anciens » (Guy Lecomte, Paul Abéla, Raymond et Pierrette Bourrat, le couple Belhomme de Belgique, le couple Ostwald) ou de jeunes comme Francis Bonnefous. Abonné à la revue du Parvis,Fédérationdont le groupe Légaut fait partie, il épluche les comptes rendus et acquiert tel ouvrage de Gérard Bessière ou participe aux AG du Parvis, ainsi à Aix-en-Provence en 2003.
[10] Voir les actes de ce colloque Quand renaît le spirituel, Mirmande, 2001, 304 p.
[11] En novembre 1998, la problématique énoncée par Bernard Feillet est assimilable par un lecteur de Légaut : comment repérer « un devenir de la foi qui ne passe plus par le fonctionnement d’une Église mais qui passe par les êtres qui sont autour de nous ».
[12] En 2004, le père Dujardin a présenté son livre, L’Église catholique et le peuple juif, Calmann-Lévy,2003,563p. au couvent de l’Œlenberg près de Mulhouse, en lien avec le père Hubert, bibliothécaire.Il prend position contre la profanation du cimetière juif d’Herrlisheim ( Bas-Rhin) .
[13] Voir le compte rendu dans L’Alsace du 30 novembre 1986 .
[14] SINGER (Christiane), Derniers fragments d’un long voyage, Paris, Albin Michel, 2007, p. 42.
[15] SINGER (Ch.), Éloge du mariage, de l’engagement et autres folies, Poche, 2007, p. 51.
[16] BESSIÈRE (Gérard), L’Éternité affleure, Les Amis de Crespiat, 2014, 154 p. ;Sentiers ; Jésus, le dieu inattendu ; Pierre pape malgré lui.
[17] Berger des ruines, Le Perpétuel et ses bruits de source, Bois de cœur, Bangladesh, La grâce des rencontres. De ce fait,Bernard Boeuf suit et finance l’aide au Bangla Desh.
[18] L’Écart et l’Alliance, Rencontre n° 12, Matinales, L’Arbre dans la mer et L’Étincelle du divin.. Lisant L’Écart et l’Alliance, fragments inachevés de Jean Sulivan (Gallimard, 1981, 154 p.), Bernard Bœuf trouve des phrases qui résonnent en lui, il les souligne : « Demeurer fidèle à ses origines […] pour cela qu’il faut s’expatrier, consentir à l’exil intérieur, donc à la solitude » (p. 16) ; « Si vous n’avez pas été au bord du suicide ou prêt à tuer, ou humilié, anéanti, si votre mensonge ne vous a pas été révélé, comment pouvez-vous espérer comprendre qui que ce soit » (p. 32) ; « Consentir au paradoxe chrétien qui est de naître à un âge avancé » (p. 32) ; « La faute capitale des Églises, : s’être servi sans pudeur de la douleur, du mal et de la culpabilité pour avoir prise » (p. 88) ; « Cependant survit un petit nombre de disciples. Ce sont les hommes de l’approche, de la conversion intime et de la liberté spirituelle. Pour eux, n’a de réalité spirituelle que ce qui naît du dedans et s’exprime dans une expérience concrète individuelle ou communautaire » (p. 95).
[19] Le groupe Légaut a été un des lieux de réception et d’examen de ce clerc allemand rejeté.Que ce soit Jean Baptiste Ehrhard intervenant dans des topos, dans le bulletin interne Quelques Nouvelles,ou , avec Eugène Weber, la traduction de Fonctionnaires deDieu .
[20] On trouve plusieurs exemplaires d’une réflexion de ce dernier auteur (Bonjour Sagesse ) dans la bibliothèque de Bernard Bœuf.
[21] Mazille, Pâques 1983, La vie spirituelle. Retraites avec Marcel Légaut, Guy Sohier et Xavier Huot, 4ème dossier.