L’œuvre de Marcel Légaut, en partie témoignage discret du fait de l’abstraction, en partie interrogations amenant le lecteur à se dévoiler, a marqué une période (1950 – 1990). Approchant l’exigence d’être disciple de Jésus en questionnant inlassablement les Évangiles, il a mûri cette œuvre en travaillant de ses mains dans une exploitation sylvo-pastorale à 1.000 m d’altitude dans le Diois, après 1940, aux Granges-de-Lesches. Lui, l’élève de Normale Supérieure rue d’Ulm, le professeur d’université en mathématiques à Nancy, Rennes, Lyon, prend un congé de longue durée et résiste, au nom de sa mission, à tout retour. Toutefois cette aventure ne peut s’expliquer sans la présence à ses côtés, continue, d’une épouse attentionnée et ô combien solide, et d’un groupe. Que ce soit à Paris, ou durant l’été à Chadefaud-Scourdois, il y a eu puissance d’écoute: des auditeurs attentifs qui, disait-il, le rendent intelligent. Aux Granges-de-Lesches aussi, après 1945, le groupe est bien présent dans sa réflexion, dans la nécessaire réorientation des sujets ou de la manière de les traiter. L’œuvre s’élaborant progressivement, il a là des amis attentifs et critiques : tel topo sur le « fatal » est tombé vraisemblablement à plat et ne réapparaît pas dans ses ouvrages; tel autre topo sur la messe est repris à plusieurs reprises, devient une conférence, puis un chapitre de livre.
Et se révèlent des aidants variés, à côté des écoutants : tel va garder le troupeau du berger pour que celui-ci puisse achever tel chapitre (Pierre Renevier, Guy Lecomte), tel autre va accueillir l’un ou l’autre enfant du couple, afin d’aider à sa scolarité (Barbazanges, Raynal), telle autre (Yvonne Masson), inlassablement, martyrise sa machine à écrire et fournit les multiples tapuscrits à partir de manuscrits à l’écriture si fine, tapuscrits corrigés à leur tour. Tel autre va amener l’eau par des conduites en métal ou un véhicule tout terrain, une Jeep (René Raynal), tel autre prépare le repas et recopiera un manuscrit amené à être retouché. J’affirme donc, quelle que soit la grandeur du spirituel qu’est Marcel Légaut, que ce qui fait une de ses originalités, c’est d’avoir porté (parfois difficilement) un groupe avec des éléments passants et des fidélités à longueur de vie.
L’idée posée, l’essentiel reste à faire : trouver les archives privées qui permettent d’éclairer cette question, posée non seulement pour la vie de Marcel Légaut (+ 1990) mais aussi pour la mise à disposition de son œuvre, que ce soit Thérèse de Scott recueillant bien des témoignages de Marcel Légaut, Raymond Bourrat et Guy Lecomte, plus tard François Bonnefous qui ont fédéré des équipes, tenu La Magnanerie de Mirmande, lancé et diffusé trois colloques, deux dans le milieu catholique, un aux Archives nationales, lieu de mémoire.Le mouvement, induit par la mise aux Archives nationales des archives dont disposait l’Association Culturelle Marcel Légaut, a amené nombre d’archives personnelles à sortir de leur retraite et à permettre des travaux préparatoires. La famille Gaudefroy, l’un des membres du trio d’amitié entre Teilhard de Chardin et l’abbé Breuil, a su retrouver une valise de documents au grenier. Jean Coeurdevey, fils d’Édouard Coeurdevey, édite dans la collection Terre Humaine les Carnets de guerre de 14/18 de son père et transmet des pièces. Thérèse Lecomte dépose la correspondance des Girard, une grande famille habituée des Granges. Lors du tri, des dossiers peuvent être constitués, permettant ainsi de sortir de l’ombre un pilier, Pierre Voirin. D’autres ont rédigé quelques ouvrages ou articles (Abéla, Guy Sohier1, Raynal, Zadou-Naisky, Marie-Thérèse Perrin). Mais l’on bute aussi sur des obstacles majeurs pour d’autres piliers : à l’heure actuelle, et malgré des courriers aux familles ou aux différentes archives, trop peu d’éléments voire rien sur des piliers essentiels (Marguerite Miolane, Jean Ehrhard, Masson, le père d’Ouince…). Dans quelques cas existe un veto de la famille : c’est le cas pour la correspondance abondante de Gérard Soulages2.
Ce tissu d’amitié rend compte de la longévité de la vie du groupe, moins dans des groupes « provinciaux » (encore que Dijon, Rennes, Montpellier, Saint-Étienne vivent ; Annecy vient de s’éteindre), plus à Mirmande où se prépare , 2025, le centenaire du groupe. Là s’emboîtent les générations, plutôt au moment de la retraite, mais avec d’heureuses forces vives.
Un centenaire bientôt ? Oui, grâce à Édouard Coeurdevey et au père Portal, Marcel Légaut pénètre en 1925 le milieu de Saint-Cloud, la clé de voûte de l’ordre primaire : l’ACML aura donc à porter un centenaire bien vivant, un lieu d’écoute et de parole, sur le parvis de l’Église, ici dans le sens de l’entrée… À la fin de sa vie, Marcel Légaut affirmait son appartenance à l’Église catholique , mais au fond de l’église…
Dans le contexte évoqué des archives privées, gardées, accessibles, nous essayerons de cheminer de manière typologique pour varier l’attention. Dans ce qui suit, une lettre (fictive) s’adresse à Marguerite Miolane, dont les archives ont disparu. Quelques notes esquissent la personnalité de Pierre Voirin, présent aux Granges comme à Mirmande. Édouard Coeurdevey, l’abbé Gaudefroy, Marie-Thérèse Perrin peuvent représenter le milieu enseignant, des clercs ou le social. Quelques lueurs sur ceux que l’on côtoyait à Chadefaud, aux Granges, puis à Mirmande, au milieu de tant d’autres.
A/ Quelques très rares lueurs sur une enseignante du premier degré, Marguerite Miolane. Ou la limite des archives privées.
Ma chère Marguerite Miolane,
Vous faites le désespoir des historiens ! Eh oui, Légaut vous désignant à Mirmande, me parlait d’un pilier du groupe. Et l’on sait si peu de vous. Née le 22 avril 1902 à Saint-Chamond (Loire), vous êtes normalienne à Saint-Étienne de 1918 à 1921. Vous y avez passé le Brevet Supérieur en 1920, puis, une année après, le certificat d’aptitude pédagogique. Vous êtes donc de la génération de Marcel Légaut (né en 1900) et votre amitié avec Pierre Renevier est presque celle d’un contemporain puisqu’il est né en 1895 mais a été normalien à Montbrison. Puis c’est l’exercice du métier d’institutrice : un an dans un premier poste (Saint-Bonnet-le-Courreau), deux ans dans le second (Essertines-en-Donzy), neuf ans dans le troisième à Saint-Martin-en-Coailleux. Vous devenez directrice d’école au poste suivant, Saint-Julien-en-Jarez de 1934 à 1941, et enfin, le cinquième poste est celui que vous occupez jusqu’à la retraite comme directrice à Saint-Chamond à partir de 19413.
Mais votre dossier professionnel ne donne aucun autre renseignement4 : courrier à l’administration, congés, inspections. Il faut donc frapper à quatre autres portes :
- Vous êtes, avec Pierre Renevier, la secrétaire, dans la Loire, de l’Union des membres de l’Enseignement public5 fondé par Jacques Chevalier en 1925. Catholique, vous avez senti là un lien où l’on tient compte du sérieux du métier, de possibles maltraitances pour la pratique religieuse6. L’engagement à Vichy de forces vives de ce syndicat est connu, ainsi le frère de Pierre Renevier. J’évoque là Marcel Renevier ,qui fut le secrétaire du ministre Jacques Chevalier, l’un des responsables de la Légion française des combattants de la Loire et durement épuré à la Libération.
- En 1940, c’est à Saint-Chamond que se marie Marcel Légaut avec Marguerite Rossignol, en présence d’un témoin, Santoire. Et c’est chez vous qu’a lieu le repas de mariage.
- Je vous retrouve à Noël 1942 aux Granges : vous y recevez un ouvrage de Paul Valéry, Eupalinos ou l’architecte, précédé de l’âme et la danse, Gallimard, 1924, 221 pages. À cette date, un livre, compte tenu de la pénurie de papier, est un beau cadeau. Vous l’avez soigneusement entouré avec du papier peint, et lorsque vous êtes décédée, l’ouvrage a rejoint la bibliothèque de la communauté. Vous avez lu l’ouvrage et, au crayon, proposé à Paul Valéry une modification (p. 103). De même, vous possédiez Les deux sources de la morale et de la religion par Henri Bergson, réédition de 1941. S’agit-il d’un livre, couvert en bleu, classé au numéro 27 dans la bibliothèque du groupe Légaut à Paris ? Des passages soulignés rappellent votre lecture.
- Aux Granges, vous assuriez une partie importante de l’intendance du groupe, faisant monter une camionnette d’alimentation avant le séjour. Mais, comme à Mirmande, nous n’avons eu, vous et moi, aucun contact, aucun échange. Vous tenez à Mirmande une chronique, brève, en 1969 notamment pour Noël. Les Voirin, Légaut, Lucien, Yvonne et Odile Matthieu, Rigolet, Eygun, M. Poncet, Bd Valette et Marguerite Miolane, soit onze personnes, ont pu se réunir, privilégiés pour Noël. Au programme : séances de lecture de quelques chapitres de Légaut (la foi en soi, l’Amour, la Paternité, le sens de notre mort). À la veillée, Légaut nous lit La Provence mystique de Bremond. Recherche d’une prière communautaire : « Seigneur, nous sommes par vous, en vous, pour vous…
Va en paix, solitaire
Dans la consistance de l’être
Face à face avec toi-même
Avec la présence de ceux que tu aimes
Prêt à passer le seuil. »
- Et vous tenez les comptes, indiquant au passage le versement du denier du culte à l’évêché de Valence. En juillet 1969, du 1er au 21, 30 arrivées et des « passages ». Et huit personnes ont amené 2.060 F pour que le séjour puisse être préparé. le séjour pour les adultes est de 16 F et le repas 8 F, des draps à 3,50 F, les enfants bénéficiant d’un tarif à part.
- Vous disparaissez, après quelques ennuis de santé, le 12 juin 1989 à Saint-Chamond, échangeant des nouvelles avec la famille Girard, preuve d’une amitié de plus de… cinquante ans.
B/ Issu du premier degré, s’élevant de l’ordre primaire grâce à l’École Normale de Saint-Cloud, Édouard Coeurdevey (1882-1955).
Né dans le Doubs, à Verne, à 7 km de Baume-les-Dames, Édouard Coeurdevey7 est l’aîné d’une famille pauvre – son père est agriculteur et cordonnier – de sept enfants. Placé à 15 ans comme valet de chambre chez un sénateur, il obtient son brevet en autodidacte en 1901 et devient instituteur. A Besançon en 1910, il fréquente l’université, notamment deux historiens opposés sur le plan politique, Jean Guiraud – chroniqueur à La Croix – antidreyfusard, et Albert Mathiez, « avocat » de Robespierre ultérieurement à La Sorbonne. L’expérience de la guerre de 14/18 le marque, ses Carnets de guerre. 14/18 et ses observations sur les officiers (« le mépris que je professe pour les vieux galons ») ou sur la conduite de la guerre (irresponsabilité, incompétence, manque de liaison, pagaille) montrent son observation critique. Au sortir de la première guerre mondiale, il reprend son enseignement (Commercy, Metz, Obernai, Mulhouse ), il se marie mais son épouse meurt avec l’enfant lors de l’accouchement : « En cette année 19,je suis un pauvre homme éprouvé qui sent peser la main de Dieu et qui s’incline avec humilité, effroi et incertitude ». Et à 42 ans, le voici boursier à l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud. Inquiet d’étudier dans ce « foyer de l’athéisme primaire », il reçoit deux lettres de recommandation du père jésuite Albert Valensin et, de fil en aiguille, rencontre le père Portal qui le confie à… Marcel Légaut. Laissons à ce dernier la parole, en 1962, dans Histoire du groupe :
« C’est à ce moment-là [en 1925] que je rencontrai pour la première fois Coeurdevey qui fut conduit chez M. Portal par le père Valensin. Coeurdevey était en 3ème année à Saint-Cloud pour préparer l’Inspection Primaire. M. Portal se mit en relation directe avec lui. Coeurdevey assista à nos réunions de prière, mais surtout à nos méditations et il me dit : « Il faut absolument que nous en fassions autant à Saint-Cloud. Coeurdevey étant en 3ème année, ne logeait pas à l’École, il avait une chambre en ville, à Saint-Cloud, et à partir de ce moment-là, je ne peux pas vous préciser la date exactement, j’allais tous les dimanches, ou tous les samedis peut-être, chez Coeurdevey, faire une méditation aux camarades qu’il avait pu toucher parmi les élèves de 1ère ou 2ème année. Chapelle fut le premier contacté, Magnani était de la promotion de Chapelle, et peut-être un ou deux autres dont je ne me souviens pas. Je me souviens que nous faisions une méditation et que, à la fin, nous terminions par un petit verre d’alcool ! » … ou un bock !
A partir de 1925, et pour un temps long jusqu’aux années 60, un des courants de cette École Normale Supérieure porte sur l’expérience religieuse : après Coeurdevey, Jean Ehrhard, Guy Lecomte, Raymond Bourrat y trouvent matière à méditer.
Le contact noué permet de sensibiliser ceux qui le désirent à une exigence de réflexion, liée aux questions posées par le modernisme, dans un climat de silence, d’écoute, de lecture de l’Évangile. Il y a là les futurs professeurs des Écoles normales, des futurs inspecteurs primaires, des futurs directeurs d’Écoles normales. Ce fut le cas d’Édouard Coeurdevey, à la tête de l’École Normale d’Obernai, Bas-Rhin (catholique, n’oublions pas qu’en 1905, en France, au moment de la Séparation des Églises et de l’État, l’Alsace fait partie de l’Empire allemand) durant vingt ans. Le cahier journalier d’Édouard Coeurdevey, déposé aux Archives départementales du Bas-Rhin, le montre dans son activité professionnelle (inspections, réunions avec l’Inspecteur d’Académie, conseils des inspecteurs), son activité culturelle en assistant à une conférence le 19 février 1936 au Foyer de l’Étudiant Chrétien FEC, à une conférence de Mounier ou de Paul Valéry à Strasbourg, mais aussi de réunions à la Paroisse Universitaire ou des passages réguliers de Marcel Légaut :
1930 Séjour de M. Légaut en auto : Mont Sainte Odile, Hohwald, Haut-Koenigsbourg, Dabo, Phalsbourg, Saverne avec déjeuner à Wasselonne.
21 décembre 1935 arrivée de Légaut.
29 décembre 1935. journée Légaut avec Lucien Matthieu, professeur de sciences naturelles à l’Ecole Normale d’Obernai et membre ancien du groupe.
Et ceci dans une atmosphère de montée du nazisme. Le 9 octobre 1935, il note la visite d’une dame de Singrist qui lui raconte le conflit qu’elle vit entre ses deux grands-mères : la paternelle est Française et catholique, la grand-mère maternelle est Allemande et nazie.
La guerre amène un bouleversement majeur : l’École Normale d’Obernai est repliée sur Solignac où son aumônier, l’abbé Bengel, résistant, cache des Juifs et sera nommé Juste parmi les Nations. Et au moment où Vichy supprime les écoles normales, qui auraient été l’une des causes, avec les instituteurs, de la défaite de 1940, celle d’Obernai est maintenue et regagne Strasbourg avec son directeur après la guerre… Atteint par la limite d’âge, dans le collimateur du ministre alsacien socialiste de l’Éducation, Naegelen, Édouard Coeurdevey, proche du Mouvement Républicain Populaire, parti « catholique » s’engage alors à l’Alliance nationale contre la dépopulation et pour la natalité française : la mort le saisit lors d’une conférence à Besançon le 28 mai 1955.
Avant guerre, de 1925 à 1940, le lien à Légaut est fort, voire constitutif d’une stratégie par rapport à l’ordre du primaire. De Légaut, il écrivit qu’il donne l’impression d’un saint à l’intelligence lumineuse, mais grâce aux Granges, il côtoie également le père Lebbe, « chrétien des premiers siècles avec la foi d’un docteur de l’Église » ou Teilhard de Chardin qui a entretenu le groupe « magistralement des rapports entre la science et la croyance ». L’influence de Coeurdevey sur les jeunes normaliens est réelle, il en envoie l’un ou l’autre à Paris écouter Légaut ou Mounier, et on retrouve nombre de ses anciens normaliens dans l’Union nationale des membres de l’enseignement public, fondé en 1925, par Jacques Chevalier, et qui s’éteint en 1940. A l’issue de la guerre, on retrouve nombre de ses membres au Syndicat Général de l’Education Nationale,lié à la CFDT. Mais la guerre, avec en outre l’inquiétude folle par rapport à sa seconde épouse, juive, le décès de celle-ci, « la guerre, la maladie et la spoliation » l’ont ruiné. Ce veuf pour la seconde fois , père de quatre enfants, n’a plus le contact avec les Granges où montent à présent des familles.
C/ Un engagement social : la protection judiciaire de la jeunesse avec Pierre Voirin (1907-2000)
Nombre de membres du groupe Légaut sont engagés socialement. A côté de leur métier, ici d’enseignant, là d’ingénieur, Gabriel Rosset8 (1904-1974) fonde le Foyer Notre-Dame des sans-Abri à Lyon en 1950 ; René Raynal9 préside aux destinées d’un orphelinat évoluant vers un institut médico-éducatif ; Marie-Thérèse Perrin10 fonde une structure destinée aux mères (mineures) célibataires en délicatesse avec la justice. Quelques pages sont ici consacrées à Pierre Voirin (1907-2000), monté aux Granges avec son épouse dès 1941 !
Pierre Voirin est né le 22 août 1907 à Marou (Meurthe-et-Moselle). Normalien à Nancy de 1924 à 1927, il prépare l’École Normale de Saint-Cloud et y fait ses études de 1928 à 1930, époque où, depuis 1925, les Cloutiens sont en contact avec Marcel Légaut. Il obtient alors la première partie du professorat des Écoles Normales en lettres, passe un certificat d’histoire du Moyen-Âge (1929), se marie en 1935 avec Jéromine (+ 1998), le couple n’aura pas d’enfants. Avec son diplôme de première partie du professorat de lettres, il enseigne au Cours complémentaire à Paris, boulevard Montparnasse.
Il est en congé du 1er octobre 1941 au 30 septembre 1945 : il est à ce moment-là aux Granges et Marcel Légaut le cite dans son projet d’Université en milieu rural adressé au ministère, à Vichy 11. Après son congé, il est détaché à l’Association lorraine de 1945 à 1955, et travaille donc dans le domaine de l’éducation spéciale, en compagnie d’Hélène Haumesser-Albert : « Je rejoignis, le jour de Noël, quelques ‘‘éducateurs’’ aussi neufs que moi-même en rééducation, dans un ancien asile de nuit que le malheur des temps avait promu à la dignité de maison de rééducation. Au plan technique, nous devions assurer l’accueil, l’observation et le triage de 80 garçons de 10 à 18 ans. Humainement, c’était un hâvre de misère physique et morale »12.
L’Inspecteur général directeur de Saint-Cloud le note au moment de son retour à Saint-Cloud pour devenir inspecteur primaire : « Personnalité très attachante, beaucoup de finesse intellectuelle. Un rayonnement moral exceptionnel. De la gentillesse qui n’exclut pas la clairvoyance et la rigueur. A exercé sur la promotion une autorité toute spontanée et souriante, expression d’une très réelle et très sympathique personnalité » (15 novembre 1956). À côté de ce type d’appréciation, une autre, en 1957 : « De l’intelligence, mais des lacunes, n’approfondit pas assez ». Est-ce sa formation d’instituteur (Brevet Supérieur, CAP d’instituteur) qui est en cause ? Compte tenu de son expérience auprès d’enfants qu’on disait alors inadaptés, au Centre d’observation de mineurs délinquants et des enfants en danger moral Louis Sadoul à Nancy-Laxou, il est pressenti avant son admission au certificat d’aptitude à l’inspection primaire au ministère de la Justice, « en vue d’exercer les fonctions d’inspecteur à la Direction de l’Éducation surveillée » 13.
Après avoir exercé à l’Éducation nationale, puis à la Santé et à la population, le voici à la Justice. Titularisé comme inspecteur primaire en 1959, on le retrouve en 1963 à l’ouverture de l’école des cadres, inspecteur de l’Éducation surveillée chargé de la direction de l’École d’éducateurs à Savigny 14. En 1964, il constate l’insuffisance du personnel de service et s’inquiète de la qualité du recrutement des enseignants. Le 4 octobre 1965, il donne la leçon d’ouverture des cours, en examinant les cadres généraux de la formation, insistant sur une « école de recherche et de réflexion personnelle : chacun va librement son chemin au gré de sa curiosité ». En 1966, il propose un projet de réorganisation des études, posant quelques questions de fond : il y a pour certains une « non-motivation pour les études », avec une « aptitude à la culture limitée voire inexistante », un problème de statut. Convient-il d’avoir des enseignants stables, des conférenciers ? Comme dans l’éducation spécialisée à Beaumont-sur-Oise ou à Suresnes, l’internat serait facilitateur. Mai 68 éclate à Savigny comme ailleurs et Pierre Voirin se fait l’écho soit d’une revendication venant des personnels et des éducateurs (autonomie de l’école devant l’Administration, avec élection du directeur), soit de son constat des avantages du personnel enseignant : il souhaite un cadre horaire de 15/17 heures (reprenant la distinction certifiés/agrégés), au cours de journées ne contrariant pas leurs convenances personnelles et en respectant la durée des congés de l’Éducation nationale et non celle de l’Éducation Surveillée. Le directeur quant à lui, faisait régulièrement des conférences sur la pédagogie spécialisée, à raison de 19 par an15. Mais à 61 ans, le 1er octobre 1968, après avoir préparé les Assises nationales des personnels de l’Éducation Surveillée du 28 juin 1968,vraisemblablement viré par son ministre pour ne pas avoir « tenu »ses stagiaires, il s’installe, pour sa retraite, et donne son adresse : La Magnanerie 26 Mirmande Drôme. Avec d’autres, Marguerite Miolane, Marie-Thérèse Perrin, les époux Masson, voire en projet le couple Ehrhard, il entend réaliser le rêve d’une communauté 16 que Marcel Légaut n’a eu de cesse de porter. Et l’appartement Voirin (2 pièces, cuisine, salle de bain) devient un élément de stabilité de la communauté Légaut avec, un temps, un jardin potager et des salades pour l’été 17.
Il lui est donc possible d’intervenir plus fréquemment lors des séjours d’été à Mirmande et l’on trouve ci-dessous un tableau de ses exposés, la majeure partie non datée, avec une prédilection pour une méditation sur le Notre Père et la grandeur de l’homme porteur d’une exigence de recherche de plus être :
- Les étapes de la vie en voie de création, 2 p., s.d., où il explicite le message de Jésus :
« (…) Cette méditation sur notre pauvre vie occupe mes pensées. Elle aurait pu être un point de départ ; elle est, en ce qui me concerne, un point d’arrivée. Faut-il donc atteindre un point de non-retour pour commencer à entrevoir ce qu’aurait dû être le chemin ? Pour moi, le message de Jésus tient en cette triple révélation :
- L’homme se fait au sein d’une démarche qui tend vers un plus être ;
- Afin qu’elle aboutisse, il lui est nécessaire de recevoir la lumière de l’Esprit, présent à sa vie, mais il lui importe de le découvrir ;
- Le chemin qui s’ouvre devant lui dans cette lumière, est celui des Béatitudes.
Celui qui marcherait toute une vie sur le chemin ainsi tracé, c’est-à-dire selon cette triple dimension, suivrait comme un chemin de crête ; il dominerait les sommets de l’Évangile, mais aussi ses gorges profondes ; il serait de plain-pied avec la vie de Dieu et avec celle des hommes, ainsi présent à toute la Création. La transcendance de Dieu ne peut être perçue par les hommes s’ils ne l’accueillent pas au centre même d’une immanence spirituellement assumée. Il me semble comprendre mieux que jamais ce qu’est Jésus pour nous et je crois être un membre fidèle de l’Église sans laquelle je n’aurais pas connu le sens de ma vie. »
- Par les chemins de l’homme, 8 p., s.d.
- Les deux mystères : mystère de l’homme et mystère de Jésus, 11 p., s.d., qui est un exposé qui comporte une tonalité sociale, mais hostile à l’analyse des classes sociales et de leur égoïsme :
« Quand un peuple dans son ensemble se considère comme non concerné par l’existence de masses humaines infortunées, c’est que sa morale est gravement dévaluée et que ses bases mêmes sont menacées. Et lorsque, non démunie de moyens pour vivre, une société se met à sécréter des idéologies pour résoudre ses problèmes, elle se déchire et se défait, car rien n’est plus intolérant qu’une idéologie. Elles représentent dans leur ensemble les projections élémentaires et caricaturales de l’attente inusable qui veille au cœur de l’homme ; toutes prétendent servir sa cause ; elles l’émiettent et la détruisent (…) Une seule cause est la vraie : que ceux dont la vie est assurée, et parfois largement, ne laissent point se dessécher leur esprit et leur cœur dans l’inertie d’un sens humain inoccupé. Ils s’élèveront dans leur humanité et aideront les pauvres et les appauvris à aimer encore la vie si, comprenant le sens des relations humaines, ils s’engagent dans la voie des partages et des échanges (…) »
Cet exposé semble avoir été refait plusieurs fois, et plutôt lu qu’exposé ce dont se souviennent plusieurs auditeurs.
- Notre Père, 5 p., s.d., publication tardive, utilisée pour un journal paroissial en Corse, à Bocognano, où il se retire à la fin de sa vie, une fois devenu veuf en 1998. Je donne ici deux variantes :
- « Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien – Notre corps a besoin de pain. Assure-le-nous chaque jour, et fais-nous comprendre qu’il ne manquerait à aucun de tes enfants si nous étions davantage respectueux de nos frères et si l’ouvrage de nos mains au lieu de nous asservir à nos convoitises respectait davantage ta création.
Notre esprit aussi a soif de vérité. Fasse qu’il la cherche, non pas dans les systèmes et les constructions qui le séduisent mais par une attention à ta présence, qui d’abord le purifie.
Ce travail des mains n’est pas une malédiction, la recherche de ta vérité n’est pas une évasion. Ce sont deux démarches spirituelles conjointes qui se confortent mutuellement et servent l’homme qui aspire à te connaître et à t’aimer. »
- Donne-nous notre pain de chaque jour (manuscrit) :
« Assure-nous chaque jour le pain de notre corps. Il ne manquerait à aucun de tes fils si nous étions davantage respectueux de nos frères, si l’ouvrage de nos mains, au lieu de nous asservir à nos desseins étroits, respectait, pour les servir, la Terre, qui est à tous les hommes. Par toi, avec toi, nous pourrions être aussi des pourvoyeurs de pain. »
- Quelques réflexions à propos du Pater en forme de méditation (Matthieu VI-9), 4 p., s.d.
- Une certaine lecture de l’Évangile, 7 p., août 1979.
- [Parler de Dieu, parler de l’homme, le dessein Jésus], 7 p., juillet 1983 . Domingo Melero se souvient de l'avoir écouté, dans ces années, prononcer un topo sur la figure de Pierre, et voir Légaut se lever tout seul et sortir du salon, très ému par la lecture de P. Voirin, qui avait, certes, une voix comme de baryton et qui a continué son exposé…
- .La réflexion spirituelle de Pierre Voirin est centrée sur l’Évangile, sans souci d’exégèse ni de mise en perspective historique mais en utilisant l’apport d’auteurs variés : Péguy, Sertillanges, Malraux, Henri Guillemin, Pierre Bockel, Sartre, Teilhard de Chardin, Zundel.
On doit à Pierre Voirin des articles professionnels sur les centres d’observation, la formation des éducateurs de jeunes inadaptés, des habitants de taudis (Sauvegarde, novembre 1950, novembre 1951, janvier-février-mars 1952, octobre 1954 ; Rééducation mai-juin 1954), ou sur la collaboration entre éducateurs et psychiatres (Rééducation, janvier-février 1955), et deux ouvrages-bilans :
- En 1960, avec Henri Michard, directeur du centre de formation et d’étude de l’éducation surveillée (Vaucresson), il réalise un ouvrage nourri de cas personnels sur La connaissance des enfants et adolescents inadaptés, les méthodes d’études de leur personnalité, Toulouse, Privat, 1960, 123 p.
- De la solitude à la présence. La rééducation des jeunes en difficulté, Toulouse, Privat, 1971, 126 p. Dans l’introduction, il situe en fait sa mission, proche de celle de Marie-Thérèse Perrin18 ou d’Hélène Haumesser-Albert19 :
« L’appel que voudraient faire entendre ces pages est celui des jeunes inadaptés, en danger moral ou délinquants, qui ne peuvent sans une aide extérieure prolongée se développer dans le sens des promesses que portait leur première enfance, se réconcilier avec eux-mêmes et leurs semblables et s’insérer dans la société. Qu’ils aient reçu de la société quelque blessure grave, ou que leur vie se heurte à quelque obstacle issu de leur propre individualité, ils expriment de diverses manières leur inconfort et sollicitent indirectement leur entourage pour qu’il leur soit porté secours.
Mais cet appel n’est pas toujours entendu. Un enfant ou un adolescent qui manifeste par des comportements déraisonnables, voire par des conduites antisociales, qu’il ne vit pas en harmonie avec lui-même et avec autrui, arrache les siens à leur quiétude, et son appel est nécessairement reçu, sinon toujours compris. Mais s’il pressent que ses proches, habituellement étrangers à sa propre vie, ne sont pas disposés à l’entendre et continueront à lui opposer leur indifférence, leur ignorance ou leurs jugements a priori, il arrive qu’il se replie et fasse silence sur les difficultés qui l’oppriment. Il en est d’autres qui se débattent au sein d’un univers confus où, après avoir exprimé sous forme de refus et de révolte, une incommodité grave, ils s’efforcent de s’adapter vaille que vaille, en essais tâtonnants et obstinés, à une société dont ils ont conscience d’occuper les marges. Il y a enfin des appels que nul n’entendra jamais parce qu’ils retentissent dans un désert où nul ne conduit ses pas.
L’éducateur, du fait de la proximité que sa profession lui ménage auprès des jeunes semble bien placé pour observer ces débats et comprendre leur signification. Contre toute attente, il n’occupe pas, lui non plus, un poste privilégié. »
Le lecteur de Légaut reconnaîtra la formulation de Pierre Voirin dans cette conclusion : « la présence à soi-même, condition de la présence aux autres ».
D/ « Aumônier » du groupe Légaut ?
Sur trois quarts de siècle, la présence d’un ecclésiastique à Chadefaud, aux séjours d’été aux Granges ou à Mirmande, est manifeste : jusqu’à la période inaugurée par Mirmande (1967), un ecclésiastique préside la messe quotidienne. Au départ, ce fut le père spirituel de Marcel Légaut, le père Portal, puis l’abbé Hemmer, Mgr Beaussart, un des évêques épurés à la Libération. Longtemps, ce fut l’abbé Gaudefroy, suivi du père d’Ouince 20, directeur de 1935 à 1956 des Études. D’autres noms seraient à évoquer. Serrons d’un peu plus près l’abbé Gaudefroy (1878-1971) 21.
Né à Beaucamps-le-Vieux en 1878, dans une famille d’industriels, Christophe Gaudefroy est ordonné prêtre à Amiens en 1902. Brancardier durant la guerre de 14-18, il soutient en 1919 un doctorat ès sciences sur la minéralogie et entre à l’Institut catholique de Paris comme enseignant ainsi qu’à La Sorbonne comme préparateur auxiliaire en laboratoire de la Faculté des Sciences. Président de la société de minéralogie en 1933, il s’est intégré au groupe Légaut grâce au père Portal chez qui il réside et édite notamment Le Montcelet, journal interne du groupe, en 1938-1939… Il obtient en 1944 un prix de l’Académie des Sciences et, à la retraite, en 1948, à 70 ans, il part au Maroc élaborer la carte minéralogique de ce pays où il découvre quelques minerais (non encore répertoriés alors). En 1971, il décède et le père d’Ouince prononce l’homélie funèbre à Beaucamps-le-Vieux.
L’abbé Gaudefroy accompagne donc le groupe Légaut des années 1930 à 1948 et les descriptions de sa liturgie avant le concile Vatican II (prière en français, officiant tourné vers les « fidèles », chants) rappellent que ce groupe fut sa « paroisse ». Aumônier discret, laissant Marcel Légaut mener le groupe comme il l’entendait, ce professeur de minéralogie est étroitement lié à Teilhard de Chardin et à l’abbé Breuil, autre picard. En dialogue discret avec le modernisme, il cite ceux qui eurent une rectitude intellectuelle dans l’Église il y a 30 ans (en 1938). La correspondance avec l’abbé Breuil montre sa réflexion personnelle : « Je me demande surtout si nous ne pourrons aboutir à une autre forme d’expression de notre religion qui consisterait à nous donner le goût du présent, indépendamment des longues perspectives d’avenir » (1957). Par son attitude scientifique, sa discrétion, sa fidélité, il est une présence lumineuse dans le groupe Légaut, au milieu des enfants. De sa correspondance avec l’abbé Breuil qui se trouve au Museum d’histoire naturelle, j’extraie trois passages qui situent la réflexion dont il est porteur.
- Le 16 mai 1920, un enseignant de l’Institut catholique de Paris, Touzard, est condamné par le Saint-Office pour un article sur Moïse et Josué publié dans un dictionnaire d’apologétique, résumé d’une thèse approuvée par tous les professeurs dudit institut. Le 14 mai, l’abbé Gaudefroy écrit à l’abbé Breuil :
« (…) Quoi qu’il fasse [Touzard], son enseignement est compromis et le seul moyen de sortir honorablement est de prendre l’initiative d’une retraite. Sans doute vous avez raison lorsque vous dites que seul un mouvement populaire aurait un sens contre les tyrans. Cependant supposez que le coup de bâton soit tombé sur un héros, comme autrefois sur Tyrrell, c’eût été une défaite pour l’agresseur, comme ce fut une défaite pour les persécuteurs de Tyrrell… Je ne vois pas bien où vous prenez la possibilité d’une révolution générale. Nous en recauserons (…) ».
- Le 13 septembre 1920, il partage son analyse de l’encyclique Humani generis :
« Cette encyclique est un acte de mauvaise humeur, de menaces, mais elle reste dans le vague doctrinal sauf sur un point : le polygénisme (…). Deux groupes de professeurs ont été décimés, dès avant l’encyclique : les groupes des professeurs de Fourvière, jésuites, et le groupe d’Étignoles, les dominicains. Le plus connu des professeurs mis à pied est le père de Lubac (…) [Les rédacteurs] ignorent tout de ce que signifie une théorie scientifique (…). D’abord le pape est inexistant, il y a guerre dans le palais entre congrégations romaines (…). Il y a une opinion générale dans le monde catholique contraire aux nouveautés françaises. Et l’encyclique vise la France sans la nommer (…). La bonne politique sera peut-être de faire agir le Quai d’Orsay puisque ça prend. Dans cette politique joue probablement une jalousie. Jalousie générale de l’Italie contre la France ? Mais au moins jalousie des universités romaines contre les universités françaises, celles qui se sont créé un renom ces dernières années par leurs productions scientifiques, historiques. Vous voyez bien, ils ne publient rien là-bas et sont établis dans le statu quo. Les étudiants romains, peu ou prou, doivent lire les œuvres admirables du père de Lubac, et autres (…). Le procédé de raisonnement est ici le même qu’il y a trois siècles, avant la naissance du sens historique : un dogme défini par le Concile de Trente entraîne l’existence de tout ce qui le rend possible (…) la peur (…) Je reconnais que pour une âme anxieuse de sécurité, le mouvement actuel est un départ vers l’inconnu (…). [Si le dogme d’Adam est remis en cause] ce sont les dogmes plus anciens que Trente, c’est le système dogmatique des conciles qui est remis en question, c’est-à-dire, pour les âmes timorées, bien plus que l’Évangile car c’est l’autorité ecclésiastique qui est la souche de l’Écriture (…). »
- Le 30 janvier 1957, le tome II des œuvres de Teilhard est paru. Et l’abbé Gaudefroy de commenter avec un pareil comité scientifique, étranger aussi bien que français : « (…) les opposants seront plus réservés, on dit que le pape [Pie XII] a peur d’une nouvelle affaire Galilée. La crainte est le commencement de la sagesse (…) »
Inséré dans le mouvement scientifique, lucide sur les limites intellectuelles des Offices romains et du climat de délation, il pratique une sagesse toute portalienne : Nous travaillons. Et donc enseigner, servir la science à un bon niveau et vivre en lien profond avec le groupe Légaut et Marcel Légaut qui lui avait écrit des Granges, en novembre 1941 : « Un seul nous manque pour que notre vie spirituelle puisse imprégner profondément notre vie de pionnier : vous-même ! Si vous étiez là, vous ne pourriez pas douter que l’âme même de ce que vous avez aimé dans notre fraternité est ici. »